Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Unisite a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 2 mars 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision du 23 août 2019 de l'inspectrice du travail rejetant la demande d'autorisation de licencier M. B....
Par un jugement n° 2001774 du 5 janvier 2023, le tribunal a annulé ces deux décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 1er mars et 4 octobre 2023, M. A... B..., représenté par Me Ouanson, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 janvier 2023 ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par la société Unisite devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de la société Unisite la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, faute pour le tribunal de s'être prononcé sur le moyen tiré de l'absence de matérialité et du défaut de gravité du premier grief retenu à son encontre par l'employeur ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'en regardant comme émanant d'un mode de preuve illicite les éléments obtenus du fait de l'exploitation d'un pare-feu informatique, l'inspectrice du travail et la ministre ont entaché les décisions contestées d'une erreur de droit ; l'utilisation de ce pare-feu pour contrôler l'activité des salariés devait faire l'objet d'une information préalable du salarié ainsi que d'une information et d'une consultation du comité social et économique, conformément aux dispositions des articles L. 1222-4 et L. 2312-38 du code du travail ; à défaut, en l'espèce, d'avoir satisfait à ces exigences, les éléments recueillis par la société constituent un mode de preuve illicite qui ne peut être admis pour établir la matérialité du deuxième et du troisième griefs qui fondent la demande d'autorisation de licenciement ; d'ailleurs, l'employeur disposait de moyens moins intrusifs pour contrôler l'activité des salariés et le recueil des données personnelles n'a pas été entouré des garanties adéquates ;
- les faits qui lui sont reprochés à travers le premier grief qui fonde la demande d'autorisation de licenciement ne sont pas suffisamment graves pour justifier son licenciement.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 mai 2023, la société Unisite, représentée par Me Sarlat, avocat, conclut au rejet de la requête d'appel de M. B... et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à sa charge au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société fait valoir que :
- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement manque en fait ; le tribunal n'était pas tenu, selon la règle de l'économie des moyens, de se prononcer sur les autres moyens que celui qu'il a retenu pour annuler les décisions contestées ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont accueilli le moyen tiré de l'erreur de droit ; en effet, l'employeur a le droit de consulter les messages rédigés ou reçus par un salarié sur sa messagerie professionnelle lorsque ceux-ci ne sont pas identifiés comme étant personnels, hors sa présence ; il s'agissait en l'espèce de vérifier la bonne utilisation par le salarié des outils mis à sa disposition ; aucun dispositif spécifique de contrôle individuel des salariés n'a en l'espèce été mis en place, si bien qu'aucune information du salarié ou du comité économique et social n'était nécessaire ; en tout état de cause, une note d'information a été établie en juin 2018 à destination des salariés ; ainsi, les éléments obtenus pouvaient valablement être produits à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement ;
- la matérialité des faits invoqués à l'appui du premier grief fondant la demande d'autorisation de licenciement est établie ; ces faits suffisent à eux seuls, eu égard à leur gravité, à justifier le licenciement.
Par un mémoire enregistré le 20 mars 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet des conclusions présentées par la société Unisite devant le tribunal, pour les motifs exposés dans ses écritures de première instance.
Par ordonnance du 6 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 27 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Troalen,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Me Leleu, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. La société Unisite a formulé une demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. B..., technicien de base de données, membre du comité social et économique et référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, en invoquant, en premier lieu, le fait que l'intéressé avait adopté un comportement particulièrement méprisant et hostile à l'égard de l'ensemble des collaborateurs de la société, et en deuxième et troisième lieux, une utilisation excessive et inappropriée de la messagerie professionnelle et de la connexion internet mises à sa disposition par l'entreprise. Cette demande a été rejetée par l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité de contrôle du Cher, par une décision du 23 août 2019. Par une décision du 2 mars 2020, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par la société Unisite, au motif, d'une part, que les faits invoqués à l'appui du premier grief n'étaient pas suffisamment graves pour justifier à eux seuls un licenciement, d'autre part, que les éléments de preuve présentés à l'appui des deuxième et troisième griefs avaient été obtenus de façon illicite et que leur matérialité n'était dès lors pas établie. Par un jugement dont M. B... demande l'annulation, le tribunal administratif d'Orléans a annulé ces deux décisions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le motif par lequel le juge de l'excès de pouvoir juge fondé l'un quelconque des moyens de légalité soulevés devant lui ou des moyens d'ordre public qu'il relève d'office suffit à justifier l'annulation de la décision administrative contestée. Il s'ensuit que, sauf dispositions législatives contraires, le juge de l'excès de pouvoir n'est en principe pas tenu, pour faire droit aux conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui qu'il retient explicitement comme étant fondé.
3. Les premiers juges ont annulé la décision du 2 mars 2020 par laquelle la ministre du travail a confirmé la décision de rejet de la demande d'autorisation de travail présentée par la société Unisite au motif que le second grief fondant cette demande d'autorisation était entaché d'illégalité. Ils n'étaient dès lors pas tenus de se prononcer sur les autres moyens de la requête. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier, faute de se prononcer sur le moyen tiré de l'absence de matérialité et du défaut de gravité du premier grief retenu à son encontre par l'employeur.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire présentée par la société Unisite est fondée sur la circonstance que M. B... fait régulièrement preuve de provocation et d'insubordination vis-à-vis de sa responsable hiérarchique et qu'il adopte un comportement perturbateur. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a contesté publiquement à quelques reprises les compétences techniques de sa supérieure hiérarchique et a régulièrement adopté une attitude puérile dans l'espace de travail partagé avec plusieurs collègues, qui a eu des effets perturbateurs. En estimant que ces faits, bien que fautifs, n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu notamment de leur impact limité au sein de l'entreprise et de l'ancienneté du salarié, la ministre du travail n'a pas entaché sa décision d'une erreur dans la qualification juridique des faits.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1222-4 du code du travail : " Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. " Aux termes de l'article L. 2312-38 du même code : " Le comité social et économique (...) est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés. "
6. La société Unisite, suspectant que M. B... et l'une de ses collègues échangeaient sur leur temps de travail un nombre excessif de messages via la messagerie professionnelle mise à leur disposition, a accédé le 25 avril 2019 à la messagerie professionnelle de cette salariée et, constatant qu'elle contenait un faible nombre de messages, a restauré les messages effacés depuis le début de l'année 2019 dans l'objectif d'en analyser le contenu. Il n'est pas sérieusement contesté en appel que, pour accéder à ces messages échangés avec M. B... par cette salariée, la société Unisite a utilisé le pare-feu informatique dont elle disposait. Ce faisant, l'employeur a donc à cette occasion utilisé ce dispositif informatique pour contrôler l'activité de ces deux salariés et était tenu, avant d'y procéder, en application des dispositions précitées de l'article L. 1222-4 du code du travail, d'en informer les salariés concernés, et, en application des dispositions de l'article L. 2312-38 du même code, d'informer et de consulter le comité social et économique. En l'espèce, si le règlement intérieur de l'entreprise prévoit, d'une part, que l'entreprise se réserve la possibilité de vérifier l'utilisation des ressources informatiques mises à disposition des salariés, ce qui inclut la messagerie professionnelle, d'autre part, que les pare-feu mis en œuvre vérifient tout le trafic entrant et sortant de l'entreprise et détiennent notamment les traces des messages envoyés et reçus, en particulier l'expéditeur, le destinataire, l'objet, la nature de la pièce et " éventuellement [le] texte du message ", ce règlement n'ouvre pas la possibilité pour l'employeur de se servir de ce dispositif pour prendre connaissance des messages supprimés de la messagerie professionnelle, y compris s'ils ne sont pas identifiés comme étant personnels, et pour consulter leur contenu, hors la présence des intéressés, dans l'objectif de surveiller leur activité et d'en faire usage dans le cadre de son pouvoir disciplinaire. Il ne ressort des pièces du dossier ni qu'une telle information aurait été portée à la connaissance de M. B..., ni que le comité social et économique aurait été consulté préalablement à l'utilisation par l'employeur de ce dispositif à cette fin de surveillance de l'activité des salariés. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que les informations réunies par son employeur à l'appui des deuxième et troisième griefs fondant la demande d'autorisation de licenciement ont été obtenues de manière illicite. Alors que la société Unisite ne demande pas à la cour d'apprécier la possibilité de prendre en compte ces éléments de preuve en dépit de l'illicéité de leur obtention, il y a lieu de considérer que la ministre du travail a pu à bon droit estimer que la matérialité des deuxième et troisième griefs n'était pas établie.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé les décisions contestées.
Sur les frais liés à l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Unisite la somme de 2 000 euros au titre des frais engagés par M. B... pour la présente instance. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par la société Unisite à l'encontre de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°2001774 du 5 janvier 2023 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Unisite devant le tribunal administratif d'Orléans et devant la cour sont rejetées.
Article 3 : La société Unisite versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Unisite et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Le Gars, présidente-assesseure,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.
La rapporteure,
E. TroalenLa présidente,
F. VersolLa greffière,
A. Gauthier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23VE00469