Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société GEFCO FRANCE a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise :
- sous le n° 2000087, à titre principal, d'annuler la décision du 28 octobre 2019 par laquelle le directeur régional de l'économie, de la compétitivité, de la concurrence, du travail et de l'emploi d'Ile de France lui a infligé des amendes administratives à hauteur de 1 600 000 euros au titre de la méconnaissance des délais de paiement prévus par le code de commerce, à titre subsidiaire, de ramener le montant des amendes à 161 680 euros, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
- sous le n° 2009838, d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa réclamation tendant à l'annulation du titre de perception du 6 février 2020 portant la somme de 1 600 000 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement nos 2000087-2009838 du 26 janvier 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a joint les deux requêtes et les a rejetées.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars et 23 novembre 2023, la société Gefco France, représentée par Me Wachsmann et Me Zacharie, relève appel de ce jugement et demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 janvier 2023 ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision du 28 octobre 2019 ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener le montant des amendes administratives au total de 161 680 euros ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont entaché le jugement d'une erreur de droit en confirmant le périmètre de contrôle retenu par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France ;
- la décision du 28 octobre 2019 est entachée d'une erreur de droit dès lors que la DIRECCTE n'aurait pas dû modifier le périmètre de contrôle des factures défini dans le courrier du 20 mars 2019 ;
- elle est disproportionnée au regard des sommes concernées par la rétention de trésorerie ;
- elle méconnaît le principe d'égalité au regard des sanctions infligées à des entreprises coupables de faits comparables ;
- les manquements retenus à son encontre sont en réalité imputables à l'inexécution, par les fournisseurs eux-mêmes, de leurs obligations de délivrer une facture dès la réception de la vente ou de la prestation des services.
Par un mémoire, enregistré le 27 mars 2023, la société Gefco France a demandé à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 441-3 du code de commerce.
Par une ordonnance du 2 mai 2023, le président de la première chambre a refusé de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Gefco France ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Sikorav pour la société Gefco France.
Considérant ce qui suit :
1. La société Gefco France a fait l'objet d'un contrôle sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2017 par la direction régionale de l'économie, de la compétitivité, de la concurrence, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France, portant sur le respect des délais de paiement prévus par le code de commerce. Après une phase contradictoire, le directeur régional de l'économie, de la compétitivité, de la concurrence, du travail et de l'emploi a prononcé à l'encontre de la société Gefco France, par une décision du 28 octobre 2019, des amendes de 100 000 euros pour non-respect des délais de paiement de droit commun et de 1 500 000 euros pour non-respect des délais de paiement applicables aux prestations de transport routier de marchandises. Le 6 février 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a émis un titre de perception en vue de recouvrir la somme de 1 600 000 euros, à l'encontre duquel la société Gefco France a formé un recours gracieux, rejeté le 28 octobre 2020. Par les requêtes enregistrées sous les n° 2000087 et n° 2009838, la société Gefco France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 28 octobre 2019 et le rejet de son recours gracieux. La société Gefco France relève appel du jugement du 26 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes.
Sur les conclusions aux fins d'annulation et de décharge :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée, dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La société Gefco France ne peut donc utilement soutenir que le tribunal a entaché sa décision d'une erreur de droit.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce dans sa rédaction alors applicable : " I. - Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. Elles comprennent : les conditions de vente ; le barème des prix unitaires ; les réductions de prix ; les conditions de règlement [...] Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. [...] Nonobstant les dispositions précédentes, pour le transport routier de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur, pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane, les délais de paiement convenus ne peuvent en aucun cas dépasser trente jours à compter de la date d'émission de la facture [...] VI. - Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ". Aux termes de l'article L. 470-2 du code de commerce dans sa rédaction applicable : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. ".
4. Le juge, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, se prononçant comme juge de plein contentieux, il lui appartient de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration. A ce titre il lui appartient notamment, saisi de moyens en ce sens, d'apprécier si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la sanction retenue est proportionnée à la gravité du manquement et d'en réformer, le cas échéant, le montant.
5. En premier lieu, le périmètre de contrôle des factures, fixé à 102 782 factures par le courrier du 20 mars 2019, a été réduit à 94 795 dans la décision finale du 28 octobre 2019. Il résulte de l'instruction que cette réduction fait suite à la prise en compte par l'administration des arguments que la société requérante a pu faire valoir au cours de la procédure contradictoire et répond à une demande de la société Gefco France. Si l'administration ne s'est pas prononcée sur la conformité à la réglementation des modalités de règlement des factures concernées du fait de leur nature particulière, ces factures n'avaient toutefois pas été payées et ne pouvaient pas être considérées comme telles. Dès lors, l'administration les a, à raison, exclues du périmètre de contrôle permettant de calculer les proportions de factures réglées en retard.
6. En deuxième lieu, la société requérante soutient que le montant de la sanction est disproportionné et que la réduction de ce montant aurait dû être proportionnelle à la réduction du montant de rétention de trésorerie résultant de la réduction du périmètre de contrôle. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction que le montant de l'amende est calculé en prenant en compte plusieurs critères, dont le montant de rétention de trésorerie, critère principal, mais également la taille de l'entreprise, son chiffre d'affaires et l'importance relative du retard par rapport au délai maximum prévu par la réglementation sachant que plus le délai est court, plus le retard est considéré comme grave par l'administration. Le montant de rétention de trésorerie n'étant pas le seul critère permettant de déterminer le montant de la sanction, l'administration n'était pas tenue de réduire le montant de l'amende proportionnellement à la réduction du montant de rétention de trésorerie.
7. D'autre part, il résulte de l'instruction que sur la période contrôlée, du 1er juillet au 31 décembre 2017, soit une période de cent quatre-vingt-quatre jours, la société Gefco France a payé 68 835 factures en retard sur les 94 795 factures contrôlées, entraînant une rétention de trésorerie de 14 866 249 euros. Parmi ces factures, 6 749 factures d'achats de biens et de services ont été payées en retard, soit 27,36 % des factures d'achats de biens et de services contrôlées, entraînant une rétention de trésorerie de 1 549 396,52 euros et 62 086 factures de transport ont été payées en retard, soit 88,53 % des factures de transport contrôlées, entraînant une rétention de trésorerie de 13 316 852,58 euros. Le délai de paiement accordé par l'article L. 441-6 du code de commerce en matière de transport de marchandises étant de trente jours à compter de la date d'émission de la facture, soit un délai inférieur au délai de droit commun fixé à soixante jours à compter de la date d'émission de la facture, le retard de paiement commis par Gefco France sur les 62 086 factures de transport est considéré comme plus grave que le retard de paiement commis sur les factures de biens et de services et entraîne une majoration du montant de base de l'amende, calculé à partir du montant de rétention de trésorerie.
8. L'amende d'un montant de 100 000 euros représente 6,4 % de la rétention de trésorerie et 0,4 % du montant des factures de biens et de services payées en retard et celle d'un montant de 1 500 000 euros représente 11,3 % de la rétention de trésorerie et 0,8 % du montant des factures de transport payées en retard. Dans ces conditions, la société Gefco France n'est pas fondée à soutenir que la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. (...) ". Le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
10. La société Gefco France ne peut utilement invoquer le montant des amendes infligées à d'autres sociétés pour faire valoir qu'elle aurait été sanctionnée plus sévèrement que celles-ci dans la mesure où aucun élément ne permet d'établir que ces amendes seraient venues sanctionner des situations comparables à la sienne.
11. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 441-3 du code de commerce dans sa version applicable au litige : " Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation. Sous réserve des deuxièmes et troisièmes alinéas du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer ". Aux termes du titre IV de l'article L. 441-6 de ce même code :" Sous réserve de dispositions spécifiques plus favorables au créancier, lorsqu'une procédure d'acceptation ou de vérification permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services au contrat est prévue, la durée de cette procédure est fixée conformément aux bonnes pratiques et usages commerciaux et, en tout état de cause, n'excède pas trente jours à compter de la date de réception des marchandises ou de réalisation de la prestation des services, à moins qu'il n'en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive au sens du second alinéa du VI du présent article ou de l'article L. 442-6. La durée de la procédure d'acceptation ou de vérification ne peut avoir pour effet ni d'augmenter la durée, ni de décaler le point de départ du délai maximal de paiement prévu au neuvième alinéa du I, à moins qu'il n'en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive, au sens du second alinéa du VI du présent article ou de l'article L. 442-6 (...) ".
12. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Gefco France aurait engagé des démarches auprès de ses fournisseurs afin de réclamer les factures adressées tardivement. Par ailleurs, si une procédure de vérification permettant de s'assurer de l'exécution des services a été mise en place par la société Gefco France au travers de l'obligation de transmission de conventions relatives au contrat de transport international de marchandises par la route (CMR) jointes à la facture, le contrat de sous-traitance et l'accord de collaboration versés à la procédure par la société requérante ne stipulaient pas que cette procédure permettait d'étendre la durée du délai maximal de paiement, celui-ci étant bien limité à trente jours à partir de la date d'émission de la facture, délai fixé par le code de commerce, dans les documents contractuels. Dans ces conditions, la société Gefco France ne peut utilement soutenir que les retards de règlement étaient la conséquence de la transmission des factures après leur émission ou la transmission avec retard des CMR par ses sous-traitants.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation et de décharge de la société Gefco France doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Gefco France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Gefco France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ceva logistics ground et rail France (anciennement Gefco France) et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie pour information en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2025.
Le rapporteur,
J-E. PilvenLe président,
F. EtienvreLa greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 23VE00608002