LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu les articles L. 1154-1 et L. 1152-1 du code de travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 14 octobre 1992 en qualité de vendeuse par la société Mavijo, devenue PFE diffusion, ayant notifié son intention d'exercer son droit de retrait à raison de faits de harcèlement dès le 10 juin 2002, a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 20 février 2003 et a été licenciée le 10 avril 2003 ;
Attendu que pour débouter Mme X... de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement, l'arrêt retient que les éléments invoqués par la salariée ne suffisent pas à rapporter la preuve des agissements répétés caractérisant le harcèlement moral ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté, par motifs propres et adoptés, que M. Y..., le supérieur hiérarchique de la salariée, avait fait des réflexions blessantes et eu une attitude déplacée notamment à l'égard de celle-ci, qu'il avait été impliqué dans plusieurs incidents et qu'il en était résulté une dégradation des conditions de travail de l'intéressée, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si ces éléments, les agissements du 19 avril 2003 et l'altération de son état de santé qu'invoquait la salariée, ne permettaient de présumer, ensemble, l'existence d'un harcèlement moral, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et attendu qu'en application de l'article 625 du code de procédure civile, la cassation du chef de l'arrêt relatif à la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral atteint par voie de dépendance nécessaire les chefs de l'arrêt portant sur l'exercice du droit de retrait et sur la qualification de la rupture ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule la mise à pied du 14 mai 2002 et fixe la créance de Mme X... aux sommes de 163, 80 euros et 16, 38 euros au titre du salaire afférent à la mise à pied et à l'indemnité de congés payés correspondante, l'arrêt rendu le 18 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, pour le surplus, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. Z..., ès qualités, aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, condamne M. Z..., ès qualités, à payer à Me Bertrand la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de M. Z..., ès qualités ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille dix.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Bertrand, avocat aux Conseils pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rejeté les demandes de Madame X... tendant à ce qu'il soit jugé qu'elle avait été victime d'actes de harcèlement moral et tendant à la fixation de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société PFE DIFFUSION à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE Madame X... prétend qu'elle a subi un harcèlement moral de la part de Monsieur Y... à partir du mois de janvier 2002 ; qu'il convient de constater que :- les accusations de harcèlement émanent des trois salariées du magasin « Fringale de Fringues » licenciées par l'employeur ;- la plainte pour harcèlement a été classée sans suite par le procureur du Tribunal de Grande Instance de REIMS qui a considéré que « l'enquête n'avait pas permis d'établir complètement les faits de harcèlement allégué même s'il est certain que l'attitude du mis en cause et celle d'autres personnes ont été de nature à dégrader les conditions d'emploi des plaignantes » ;- les attestations de Madame B... et de Madame C...relatent un climat anxiogène se traduisant par des réflexions blessantes et une attitude déplacée de Monsieur Y..., ces attestations ne permettent pas de dater précisément ni de caractériser la répétition des agissements de Monsieur Y... à l'égard de Madame X... ; les attestations d'un autre vendeur (Monsieur D...) de Monsieur E...et d'une cliente (Madame F...) ne sont pas assez circonstanciées pour établir des actes de harcèlement de la part de Monsieur Y... ou d'un autre membre de la direction ; que ces éléments ne suffisent pas à rapporter la preuve des « agissements répétés » prescrits par l'article L. 122-49 du Code du travail pour caractériser le harcèlement moral (arrêt attaqué pp. 5-6) ;
ALORS, d'une part, QU'il appartient au juge, pour permettre à la Cour de cassation d'exercer son contrôle sur le point de savoir si les faits invoqués par le salarié sont de nature à faire présumer un harcèlement moral, de tenir compte de l'ensemble des éléments établis par le salarié ; qu'à l'appui de sa demande, Madame X... produisait une lettre du personnel du 17 avril 2002 alertant la société PFE DIFFUSION sur le comportement du responsable du magasin, Monsieur Y..., l'arrêt de travail dont elle avait fait l'objet le 19 avril 2002 à la suite d'un malaise consécutif à une altercation avec ce même responsable, ayant donné lieu à son transport à l'hôpital, une nouvelle lettre d'alerte du personnel du 23 avril 2002 sommant la société PFE DIFFUSION de prendre les mesures nécessaires pour mettre un terme aux agissements dénoncés ainsi que le rapport de l'inspection du travail relevant la cohérence des déclarations des salariées, entendues séparément, en ce qui concerne les faits de harcèlement ; qu'en s'abstenant de prendre en compte l'ensemble des éléments invoqués par Madame X..., la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si les faits établis par Madame X... étaient de nature à faire présumer un harcèlement moral, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 122-52 (devenu l'article L. 1154-1) du Code du travail ;
ALORS, d'autre part, QUE lorsque le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement mais sont justifiés par des éléments objectifs exclusifs d'un tel comportement ; qu'en énonçant que les éléments qu'elle a retenus ne suffisaient pas à rapporter la preuve des « agissements répétés » prescrits par l'article L. 122-49 du Code du travail, quand il incombait seulement à Madame X... d'établir des faits de nature à faire présumer l'existence des agissements ainsi définis, la preuve du contraire incombant à l'employeur, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article L. 122-52 (devenu l'article L. 1154-1) du Code du travail ;
ALORS, enfin, QU'en cas de litige relatif à l'application des dispositions destinées à combattre le harcèlement et la discrimination, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'en s'abstenant de rechercher si les faits qui lui étaient soumis par Madame X... et ceux qu'elle a relevés – accusations de harcèlement émanant de trois salariés sur les quatre composant le personnel de l'établissement, mention du ministère public selon laquelle les comportements dénoncés dans l'établissement avaient été « de nature à dégrader les conditions d'emploi des plaignantes », attestations relatant un « climat anxiogène » dans l'entreprise se traduisant par des « réflexions blessantes » et une « attitude déplacée » du responsable du magasin – n'étaient pas de nature à faire présumer l'existence du harcèlement allégué, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 122-52 (devenu l'article L. 1154-1) du Code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rejeté les demandes de Madame X... tendant à ce qu'il soit jugé qu'elle avait exercé à bon droit son droit de retrait et à la fixation de sa créance au passif de la société PFE DIFFUSION à titre de rappel de salaire ;
AUX MOTIFS QUE, ce droit prévu par l'article L. 231-8-1 du Code du travail suppose pour le salarié qui en demande l'application une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente « un danger grave et imminent » pour sa vie ou sa santé ; qu'en l'espèce Madame X... qui était en arrêt de travail pour maladie jusqu'au 10 juin 2002 ne justifie d'aucun arrêt de travail postérieurement à cette date ; qu'elle n'a pas repris son travail et ne peut donc se prévaloir du danger grave et imminent à exercer son activité de vendeuse alors que son employeur s'était porté « garant des bonnes conditions de travail au sein du magasin » (lettre du 11 juin 2002 à Madame X...) ; qu'il convient de constater que Madame X... n'a pas repris son travail après le 10 juin 2002 ; que le recours du salarié au droit de retrait doit correspondre à un danger grave et imminent mettant en jeu sa santé ou sa vie ; qu'il convient de constater que les problèmes relationnels, même sérieux, rencontrés par Madame X... dans son travail ne peuvent justifier un retrait de l'entreprise (arrêt p. 6) ;
ALORS QUE la cassation de l'arrêt en ce qu'il refuse de retenir l'existence d'un harcèlement moral doit entraîner par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il considère que l'exercice du droit de retrait ne pouvait être justifié par « les problèmes relationnels, même sérieux, rencontrés par Madame X... dans son travail », en application des articles 625 du Code du Procédure civil et L. 231-8-1 (devenu L. 4131-2) du Code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande de Madame X... tendant à ce qu'il soit jugé que la prise d'acte de la rupture devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à la fixation des indemnités résultant de cette qualification au passif de la société PFE DIFFUSION ;
AUX MOTIFS QUE, par lettre du 20 février 2003, Madame X... a fait valoir l'impossibilité où elle se trouvait de reprendre son travail en raison de son état de santé résultant de « l'attitude déplacée de Monsieur Y... » ; que cette lettre aux termes de laquelle Madame X... considère « son contrat de travail rompu à compter de ce jour » s'analyse comme une prise d'acte de la rupture ; que cette prise d'acte produit les effets soit d'un licenciement soit d'une démission ; que les premiers juges et la cour ont considéré que le droit de retrait de Madame X... n'était pas légitime ; que dès lors la suppression du salaire de Madame X... par son employeur était justifiée ; que d'une façon générale, la salariée ne peut se plaindre d'aucun manquement grave de la part de son employeur susceptible d'entraîner la rupture du contrat de travail aux torts de celui-ci (arrêt attaqué pp. 6-7) ;
ALORS, d'une part, QUE la cassation de l'arrêt en ce qu'il rejette la demande de Madame X... tendant à ce qu'il soit constaté qu'elle avait été victime d'un harcèlement moral doit entraîner par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il considère que la rupture du contrat de travail n'était pas imputable à la Société PFE DIFFUSION, la suppression du versement du salaire étant justifiée parce que la salariée n'avait pas exercé légitimement son droit de retrait, de sorte qu'aucun manquement grave ne pouvait être reproché à l'employeur, en application des articles 625 du Code de Procédure civile et L. 122-4, L. 122-13 et L. 122-14-3 (devenus les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1232-1) du Code du travail ;
ALORS, d'autre part et en tout état de cause, QUE dans des conclusions demeurées sans réponse (pp. 26, 27 et 28), Madame X... reprochait à son employeur, quelle que soit la qualification des agissements dont elle avait été victime, d'avoir laissé sa situation professionnelle se dégrader sans intervenir, contrairement à son obligation de sécurité, d'avoir tardé à établir la déclaration d'accident du travail et, au lieu d'organiser le suivi médical de la salariée en liaison avec la médecine du travail et de s'assurer de son aptitude à la reprise de son poste, d'avoir fait pression sur elle pour qu'elle reprenne le travail ; qu'en se bornant à énoncer, sans répondre à ces conclusions, que « d'une façon générale » la salariée ne pouvait se plaindre d'aucun manquement grave de la part de son employeur susceptible d'entraîner la rupture du contrat de travail aux torts de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du Code de Procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande subsidiaire de Madame X... tendant à l'annulation du licenciement prononcé par la société PFE DIFFUSION ;
ALORS QUE dans des conclusions demeurées sans réponse, Madame X... invoquait l'irrégularité du licenciement prononcé pendant une période de suspension du contrat de travail à la suite d'un accident du travail en l'absence de faute grave ou de toute impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l'accident ou à la maladie (concl. pp. 31, 32 et 33) ainsi que l'irrégularité de la procédure de licenciement, le délai de cinq jours ouvrables entre la présentation de la lettre de convocation à l'entretien préalable et la date de cet entretien n'ayant pas été respecté, non plus que le délai d'au moins deux jours ouvrables entre l'expédition de la lettre de notification du licenciement et la date de l'entretien préalable (mêmes conclusions p. 35) ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement sans répondre à ces conclusions péremptoires, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du Code de Procédure civile.