LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2011), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, pourvoi n° C 0820987), qu'invoquant la nécessité de restructurer son réseau de distribution à la suite de l'entrée en vigueur du règlement (CE) n° 1400/2002, de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du Traité CE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, la société Daf Trucks France (la société Daf) a, par lettre du 16 juin 2003, résilié, avec préavis abrégé d'un an, le contrat à durée indéterminée de concession exclusive conclu avec la société Armor véhicules industriels (la société SAVI) pour la vente de véhicules neufs et la réalisation de diverses prestations de services après-vente sur diverses parties du territoire ; qu'estimant cette résiliation irrégulière du fait du bref délai de préavis, la société SAVI a fait assigner la société Daf en annulation de la résiliation et en indemnisation de son préjudice ;
Attendu que la société SAVI fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que la nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle d'un réseau de distribution, de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un délai de préavis d'un an implique que cette résiliation se justifie d'une manière plausible, par des motifs d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur qui, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau, seraient susceptibles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a retenu que la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau de distribution de la société Daf Trucks France résultait de la date limite du 1er octobre 2003 imposée par le règlement CE n° 1400/2002 pour la mise en conformité des contrats de distribution avec ce nouveau règlement et que le retard mis par ce fournisseur à résilier les contrats de distribution, le 16 juin 2003 (et non le 16 mars 2003 comme mentionné par erreur par l'arrêt attaqué) qui lui interdisait, même avec un préavis abrégé de se mettre en conformité avec le nouveau règlement à la date limite du 1er octobre 2003, rendait d'autant plus urgente la nécessité d'une réorganisation rapide de son réseau ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas caractérisé une nécessité objective pour la société Daf d'une réorganisation rapide de son réseau, lui permettant d'utiliser le préavis dérogatoire exceptionnel de un an pour mettre ses contrats de distribution en conformité avec le règlement CE n° 1400/2002, violant ainsi les articles 5-3 tiret 1 du règlement CE n° 1475/95, ensemble les articles 3, paragraphe 5, sous b, sous ii du règlement CE n° 1400/2002, 10 et 12 du même règlement ;
2°/ que nul ne peut invoquer sa propre turpitude à son profit ; qu'en estimant que le retard mis par la société Daf à mettre ses contrats de distribution en conformité avec le nouveau règlement CE n° 1400/2002 rendait d'autant plus urgente la réorganisation de son réseau, la cour d'appel a violé l'article 5-3 tiret 1 du règlement CE n° 1475/95, ensemble l'adage nemo auditur ;
3°/ que, en outre, dans ses conclusions d'appel, le concessionnaire avait fait valoir, preuve à l'appui, que la société Daf elle-même avait admis expressément dans sa lettre de résiliation qu'elle pouvait résilier le contrat de concession moyennant le préavis normal de deux ans dans l'hypothèse où le préavis applicable ne serait légalement pas de un an mais du délai contractuel de deux ans ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions péremptoires d'où il résultait que la société Daf n'avait pas fait usage du préavis abrégé pour des motifs tirés d'une impérieuse nécessité de réorganiser rapidement son réseau, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que le règlement n° 1400/2002 accordait un délai de mise en conformité de quatorze mois, très bref eu égard à l'ampleur des modifications juridiques et économiques que la mise en oeuvre de ce règlement impliquait ; qu'il relève encore que la société Daf était certes en retard, la résiliation au 16 juin 2003 ne pouvant prendre effet au 1er octobre 2003, date limite imposée par le règlement, sauf signature des nouveaux contrats à laquelle la société SAVI n'était pas obligée de procéder, mais que le fait d'avoir laissé passer la date ne supprimait aucunement l'obligation de mise en conformité ni le risque de sanctions, ce retard rendant au contraire d'autant plus présent ce risque et donc d'autant plus urgente la réorganisation du réseau ; qu'il retient que cet impératif de rapidité résultait aussi du fait que des concurrents avaient déjà réorganisé leur réseau et que la lenteur de la société Daf à procéder à la réorganisation de son réseau , résultant du préavis de deux ans, l'aurait maintenue une année supplémentaire dans un système plus rigide et économiquement moins favorable que celui dans lequel se trouvaient ses concurrents, ce qui aurait porté atteinte à l'efficacité des structures existantes du réseau ; qu'il retient également que le maintien du contrat de concession litigieux pendant une année supplémentaire aurait interdit la prospection personnalisée et nominative hors du territoire exclusif concédé et aurait également interdit aux autres membres du réseau de vendre activement sur ledit territoire, ce qui n'aurait pu que créer une distorsion dans le jeu de la concurrence et porter atteinte à la cohérence et à l'efficacité de la réorganisation engagée ; que c'est à bon droit que la cour d'appel a déduit de ces constatations et appréciations la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau de distribution de la société Daf justifiant une résiliation de l'accord de distribution avec un préavis d'un an au lieu de deux ans ;
Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de procédure que la société SAVI avait invoqué l'adage nemo auditur à l'appui de sa demande ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
Et attendu, enfin, qu'ayant retenu que la preuve de la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau était établie, la cour d'appel a implicitement mais nécessairement répondu aux conclusions dont fait état la troisième branche ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SAVI aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Daf Trucks France la somme de 2 500 euros ; rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour la société SAVI
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, d'AVOIR débouté un concessionnaire de la marque « DAF » de sa demande tendant à voir déclarer abusive la résiliation de son contrat de concession qui lui a été notifiée le 16 juin 2003, moyennant un préavis abrégé d'une durée de un an et de l'AVOIR en conséquence débouté de sa demande contre la Société DAF TRUCKS FRANCE en indemnisation des préjudices qu'il a subis ;
AUX MOTIFS QUE les parties étaient liées par un contrat de concession exclusive conforme au règlement de la commission des Communautés européennes n° 1476/95 du 28 juin 1995, stipulant que le préavis de résiliation était de deux ans, réductible à un an en cas de nécessité pour le concédant de réorganiser la totalité ou une partie substantielle de son réseau de distribution ; que les conditions d'exemption de la prohibition, par les articles 81 et 82 du traité de Rome dans leur rédaction issue du traité d'Amsterdam, ont été modifiées par le règlement n° 1400-2001 du 31 juillet 2002 qui a remplacé le système de distribution de véhicules automobiles de concessions avec exclusivité territoriale et obligation pour le concessionnaire d'assurer le service d'entretien, réparation des véhicules, par un système de distribution sélective, selon des critères de sélectivité mais sans exclusivité territoriale ni lien obligatoire entre la distribution et l'entretien-réparation ; que pour les contrats de distribution en cours lors de la promulgation du nouveau règlement, la mise en conformité devait être effective à compter du 1er octobre 2003 ;
que la société DAF TRUCKS France a procédé, le 16 mars 2003 (en réalité 16 juin 2003), à la résiliation du contrat de concession avec préavis d'un an, à effet du 16 mars 2004 (en réalité 16 juin 2004), tout en offrant à son cocontractant la possibilité de conclure un contrat de réparateur agréé, mais en lui refusant un nouveau contrat de distribution ; que la société SAVI conteste la licéité de ce préavis réduit à un an ;
qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes rappelée dans l'arrêt susvisé de la Cour de Cassation et par les deux parties dans leurs conclusions devant la Cour de renvoi, la nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle d'un réseau de distribution, de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un préavis d'un an, implique que cette résiliation se justifie de manière plausible par des motifs, d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur qui, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau, serait susceptible, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; que pour apprécier la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau, il est pertinent de tenir compte des éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l'hypothèse où ce dernier procéderait à une résiliation de l'accord de distribution avec un préavis de deux ans, au lieu du préavis agrégé d'un an ; que la Cour doit vérifier si la preuve est rapportée – par le fournisseur compte tenu du caractère dérogatoire du délai d'un an – que ces conditions sont réunies ;
que l'intervention d'un règlement modifiant les conditions d'exemption des prohibitions du droit de la concurrence et des sanctions y afférentes constitue une circonstance objective externe à l'entreprise du fournisseur ; que l'adaptation du réseau par la mise en conformité des contrats était une nécessité juridique ; que DAF fait valoir justement que cette nécessité juridique avait des conséquences économiques ; qu'un risque d'amende et de nullité des contrats représente un aléa tant juridique qu'économique, constitutif d'une éventuelle conséquence économique défavorable ; que le nouveau modèle de distribution était supposé plus efficace économiquement que l'ancien ; que les concurrents de DAF TRUCKS l'avaient adopté ; que le défaut de réorganisation aurait donc eu des conséquences économiques défavorables pour le fournisseur ; que le remplacement du système de distribution exclusive dans lequel le concessionnaire exerçait son activité sur un territoire déterminé avec un contrat unique pour la distribution et la réparation entretient, par un système n'ayant pas ces caractéristiques, constituait une modification substantielle des conditions tant juridiques qu'économiques de l'exploitation du réseau impliquant sa réorganisation ;
que la nécessité d'une réorganisation rapide résultait de la date limite imposée par le règlement ; que celui-ci n'accordait qu'un délai de mise en conformité de 14 mois, très bref eu égard à l'ampleur des modifications juridiques et économiques que la mise ne oeuvre du règlement impliquait ; que DAF TRUCKS était certes en retard, la résiliation au 16 mars 2003 (en réalité 16 juin 2003) ne pouvant prendre effet au 1er octobre 2003, sauf signature des nouveaux contrats à laquelle la société SAVI n'était pas obligée de procéder, mais que le fait d'avoir laissé passer la date ne supprimait aucunement l'obligation de mise en conformité ni le risque de sanctions ; que le retard de quelques mois rendait au contraire d'autant plus présent ce risque et donc d'autant plus urgente la réorganisation du réseau, cet impératif de rapidité résultant aussi du fait que des concurrents y avaient déjà procédé et que la lenteur de DAF dans cette réorganisation, résultant du préavis de deux ans, l'aurait maintenue une année supplémentaire dans un système plus rigide et économiquement moins favorable que celui dans lequel se trouvaient ses concurrents, ce qui aurait porté atteinte à l'efficacité des structures existantes du réseau ;
que la réorganisation ne pouvait se faire par simple adaptation des contrats existants et leur prolongation pendant un an ; qu'en effet, la prestation caractéristique d'un contrat de distribution exclusive de distribution au cocontractant, la modification eut porté sur l'objet même de la convention et eut nécessairement généré la conclusion d'un nouveau contrat, laquelle supposait l'acceptation préalable par le concessionnaire de ces nouvelles conditions ainsi qu'une durée d'engagement d'au moins cinq ans dès lors que le règlement communautaire n'accorde l'exemption qu'à des contrats à durée indéterminée ou à durée déterminée minimale de cinq ans, ce qui exclut toute possibilité légale « d'adaptation » pour seulement une année ; qu'en outre, le maintien du contrat de concession litigieux pendant une année supplémentaire eut interdit la prospection personnalisée et nominative hors du territoire exclusif concédé et eut également interdit aux autres membres du réseau de vendre activement sur ledit territoire, ce qui n'aurait pu que créer une distorsion dans le jeu de la concurrence et porter atteinte à la cohérence et à l'efficacité de la réorganisation engagée ; que l'appelante remarque elle-même que la transformation d'un ancien contrat de distribution exclusive en un contrat nové supposait que ce dernier ait une durée de cinq ans, ou une durée indéterminée, pouvant être résilié avec préavis de 24 mois ; que la Cour ajoute – surabondamment compte tenu de ce qui est dit ci-dessus sur l'irrecevabilité de la demande nouvelle – qu'il n'existe aucune preuve que DAF TRUCKS ait jamais eu l'intention de conclure un tel contrat novatoire avec l'appelante à compter du 1er octobre 2003 ; qu'un tel contrat aurait nécessité un accord de volonté et ne pouvait résulter de la seule entrée en application du règlement ;
qu'il résulte de ce qui précède qu'il est suffisamment établi que les conditions de licéité du préavis d'un an sont réunies en l'espèce ;
que la société SAVI invoque aussi l'article L. 442-6-I5° du Code du commerce ; mais que ce texte doit être interprété et appliqué en considération du droit communautaire dont les impératives priment les règles générales et spéciales du droit français ;
qu'il a été précédemment démontré que les impératifs du droit communautaire résultent de la combinaison des règles de la concurrence des articles 81 et 82 du traité de Rome et du règlement d'exemption du 31 juillet 2002 précité justifiaient le préavis d'un an ; que cette justification est indépendante de la durée des relations antérieures entre les parties ;
que la Cour se réfère pour le surplus aux motifs non contraires du Tribunal ;
1°/ ALORS QUE la nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle d'un réseau de distribution, de nature à ouvrir au fournisseur le droit de résilier un accord moyennant un délai de préavis d'un an implique que cette résiliation se justifie d'une manière plausible, par des motifs d'efficacité économique, fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur qui, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau, seraient susceptibles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; qu'à l'appui de sa décision, la Cour d'Appel a retenu que la nécessité d'une réorganisation rapide du réseau de distribution de la société DAF TRUCKS France résultait de la date limite du 1er octobre 2003 imposée par le règlement CE 1400/2002 pour la mise en conformité des contrats de distribution avec ce nouveau règlement et que le retard mis par ce fournisseur à résilier les contrats de distribution, le 16 juin 2003 (et non le 16 mars 2003 comme mentionné par erreur par l'arrêt attaqué) qui lui interdisait, même avec un préavis abrégé de se mettre en conformité avec le nouveau règlement à la date limite du 1er octobre 2003, rendait d'autant plus urgente la nécessité d'une réorganisation rapide de son réseau ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'Appel n'a pas caractérisé une nécessité objective pour la société DAF d'une réorganisation rapide de son réseau, lui permettant d'utiliser le préavis dérogatoire exceptionnel de un an pour mettre ses contrats de distribution en conformité avec le règlement CE 1400/2002, violant ainsi les articles 5-3 tiret 1 du règlement CE 1475/95, ensemble les articles 3, paragraphe 5, sous b, sous ii du règlement CE 1400/2002, 10 et 12 du même règlement ;
2°/ ALORS QUE nul ne peut invoquer sa propre turpitude à son profit ; qu'en estimant que le retard mis par la société DAF à mettre ses contrats de distribution en conformité avec le nouveau règlement CE 1400/2002 rendait d'autant plus urgente la réorganisation de son réseau, la Cour d'Appel a violé l'article 5-3 tiret 1 du règlement CE 1475/95, ensemble l'adage nemo auditur ;
3°/ ALORS EN OUTRE QUE dans ses conclusions d'appel, le concessionnaire avait fait valoir, preuve à l'appui, que la société DAF, elle-même, avait admis expressément dans sa lettre de résiliation qu'elle pouvait résilier le contrat de concession moyennant le préavis normal de deux ans dans l'hypothèse où le préavis applicable ne serait légalement pas de un an mais du délai contractuel de deux ans ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions péremptoires d'où il résultait que la société DAF n'avait pas fait usage du préavis abrégé pour des motifs tirés d'une impérieuse nécessité de réorganiser rapidement son réseau, la Cour d'Appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.