LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Laurent X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 9 février 2012, qui, pour blessures involontaires, mise en danger d'autrui et travail clandestin, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, 500 000 francs CFP d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite du remplacement, au mois de juillet 2007, d'un four électrique par un appareil fonctionnant au gaz et dépourvu de gaine d'évacuation, des salariés de l'entreprise dirigée par M. X..., spécialisée dans les travaux d'impression sur textiles, ont, le 6 août suivant, subi une intoxication au monoxyde de carbone ; qu'à la suite de ces faits, M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de mise en danger d'autrui et de blessures involontaires en raison de la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l'espèce, par l'article 39 de la loi du17 juillet 1986 modifiée relative aux principes généraux du droit du travail en Polynésie française et par l'article 53 de la délibération n° 91-013 modifiée de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 17 janvier 1991 qui prescrivent d'installer et de maintenir les machines mises à la disposition des travailleurs dans les meilleures conditions possibles de sécurité ; que les premiers juges ont relaxé le prévenu des chefs de blessures involontaires et mise en danger d'autrui en retenant que les textes visés ne comportaient pas d'obligations particulières de sécurité ou de prudence, et déclaré la prévention établie pour le surplus ; que le ministère public et les parties ont interjeté appel du jugement ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 513, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable de mise en danger de la vie d'autrui et de blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, du délit d'omission intentionnelle de procéder à la déclaration nominative préalable à l'embauche et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis, ainsi qu'à une amende de 500 000 francs CFP ;
" aux motifs que l'arrêt indique qu'ont été entendus le prévenu, qui après avoir exposé sommairement les raisons de son appel, a été interrogé et a présenté ses moyens de défense, Me Jacquet, avocat des parties civiles, en sa plaidoirie, M. Belloli en ses réquisitions, Me Eftimie-Spitz Marie, avocat du prévenu, en sa plaidoirie ;
" alors que le prévenu ou son avocat doit toujours avoir la parole en dernier ; que l'arrêt attaqué ne constatant pas que le prévenu a bien eu la parole en dernier, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur ce point et a ainsi violé les textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué qu'à l'audience des débats de la cour d'appel, ont été entendus dans les formes prescrites par les articles 460 et 513 du code de procédure pénale, M. Jacquet, avocat des parties civiles en sa plaidoirie, M. Belloli, substitut général, en ses réquisitions, Mme Eftimie-Spitz Marie, avocat du prévenu, en sa plaidoirie ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui permettent à la Cour de cassation de s'assurer que les droits de la défense ont été respectés, peu important que ce soit le prévenu lui-même ou son avocat qui ait eu la parole le dernier, l'arrêt n'encourt pas la censure ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-20 et 223-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X... coupable de mise en danger de la vie d'autrui et de blessures involontaires par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis, ainsi qu'à une amende de 500 000 francs CFP ;
" aux motifs que ces deux infractions supposent la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou par le règlement ; qu'il ne résulte pas des dispositions des articles 223-1 et 222-20 du code pénal qu'une loi ou une réglementation spécialement applicable à l'utilisation d'une machine spécifique dans le milieu du travail soit nécessaire pour caractériser ces infractions ; qu'il suffit que la loi ou le règlement aient imposé une obligation de sécurité ou de prudence déterminée et suffisamment précise ; que les deux textes applicables en Polynésie française prévoient, de façon similaire, que les machines, matériels, outils, engins et généralement tous les équipements du travail doivent être conçus, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la sécurité et la santé des travailleurs ; que ces textes créent ainsi une obligation particulière de sécurité et de prudence à la charge de l'employeur dans la mise en place de ces matériels ainsi que dans leur utilisation, sans qu'un texte plus précis, notamment réglementaire, soit nécessaire pour régir spécifiquement telle activité ou tel matériel, sauf à vider les articles 223-1 et 222-10 du code pénal de toute leur substance ; que le prévenu a contrevenu aux obligations légales lui incombant aux termes de ces dispositions en ne prenant pas les précautions nécessaires dans l'installation du four à gaz et dans sa mise en fonctionnement ; qu'il résulte en effet du dossier d'instruction qu'il avait été parfaitement informé par l'installateur du raccordement au gaz de la nécessité d'équiper sa machine d'une évacuation des gaz de combustion, et ceci au moins à deux reprises ; que le prévenu doit donc être déclaré coupable des faits visés à la prévention ;
1°) " alors que le délit de mise en danger de la vie d'autrui et le délit de blessures involontaires ne sont caractérisés qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; qu'en ayant jugé que l'article 39 de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 et l'article 53 de la délibération n° 91-013 de l'assemblée territoriale de Polynésie française du 17 janvier 1991 instituaient une obligation particulière de prudence et de sécurité au sens des articles 222-20 et 223-1 du code pénal quand ces dispositions n'instauraient qu'une obligation générale de sécurité des travailleurs concernant la conception, l'installation, l'utilisation et l'entretien de toute machine ou équipement de travail et n'imposaient aucune règle de sécurité particulière à l'employeur s'agissant des machines fonctionnant au gaz, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
2°) " alors que le délit de mise en danger de la vie d'autrui et le délit de blessures involontaires ne sont caractérisés qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que l'employeur s'étant conformé à la notice d'installation du four, qui ne comportait aucun avertissement sur la nécessité d'installer un système d'évacuation des gaz brûlés, le seul fait qu'il n'ait pas tenu compte de simples indications données oralement par l'installateur ne pouvait caractériser une violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité au sens des articles 222-20 et 223-1 du code pénal " ;
Attendu que, pour dire la prévention de mise en danger d'autrui et de blessures involontaires établie, l'arrêt prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;
Attendu que, si c'est à tort que les juges du second degré ont retenu la culpabilité de M. X... sur le fondement de l'article 53 de la délibération n° 91-013 modifiée de l'assemblée territoriale de la Polynésie française du 17 janvier 1991 qui ne comporte que des dispositions générales de sécurité sans édicter d'obligations particulières de protection des travailleurs, l'arrêt n'encourt pas cependant la censure, dès lors que l'article 34 de cette même délibération, prise pour l'application des dispositions de la loi du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail, impose, lorsque les techniques le permettent, le captage à la source des émissions, sous forme de gaz, vapeurs ou aérosols de particules solides ou liquides, de substances insalubres, gênantes ou dangereuses pour la sécurité des travailleurs et caractérise l'obligation particulière de sécurité exigée par les articles 222-20 et 223-1 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le moyen relevé d'office, pris de la violation des articles 1, 2, 35 et 36 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 relatif à la réparation et à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer ;
Vu ledit décret ;
Attendu que ce texte, qui fixe un régime spécifique pour la réparation des accidents du travail dans les territoires d'outre-mer, exclut la réparation du préjudice conformément aux règles du droit commun lorsque l'accident n'est pas dû à la faute intentionnelle de l'employeur ou de ses préposés ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt que, statuant sur la réparation du préjudice subi par les salariés de M. X... qui s'étaient constitués parties civiles à raison des blessures involontaires lui étant imputées, les juges du second degré ont ordonné une expertise et condamné le prévenu à leur verser des indemnités provisionnelles ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, en l'absence de faute intentionnelle de l'employeur, la cour d'appel, qui était incompétente pour statuer sur la réparation des conséquences dommageables de l'infraction retenue, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le troisième moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papeete, en date du 9 février 2012, sur la seule action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Papeete et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Divialle conseiller rapporteur, Mme Guirimand conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.