LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu les règles du droit international coutumier relatives à l'immunité d'exécution des Etats ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en exécution d'une sentence arbitrale rendue le 3 décembre 2000, sous les auspices de la Chambre de commerce internationale, la société Commissions import export (Commisimpex), auprès de laquelle la République du Congo s'était engagée, le 3 mars 1993, à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d'exécution, a fait pratiquer, entre les mains d'une banque, une saisie-attribution de comptes ouverts dans ses livres au nom de la mission diplomatique à Paris de la République du Congo et de sa délégation auprès de l'UNESCO ;
Attendu que, pour confirmer le jugement du juge de l'exécution ayant prononcé la mainlevée des saisies, l'arrêt retient que, selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des Etats étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d'une immunité d'exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ; qu'en l'espèce, la renonciation par la République du Congo dans la lettre d'engagement du 3 mars 1993 n'est nullement spéciale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le droit international coutumier n'exige pas une renonciation autre qu'expresse à l'immunité d'exécution, la cour d'appel a violé les règles susvisées ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la République du Congo aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la République du Congo à payer à la société Commisimpex la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mai deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Commissions import export.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé la mainlevée des saisies pratiquées le 12 octobre 2011 à l'encontre de la République du Congo entre les mains de la Société Générale à l'initiative de la société COMMISIMPEX, et en conséquence, d'avoir débouté cette dernière de ses demandes tendant à voir déclarer valables et régulières les saisies pratiquées.
AUX MOTIFS PROPRES QUE selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des Etats étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d'une immunité d'exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ; qu'en l'espèce, la renonciation par la République du Congo dans la lettre d'engagement du 3 mars 1993 « à invoquer dans le cadre du règlement d'un litige en relation avec les engagements objets de la présente, toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d'exécution » n'est nullement spéciale.Que la société Commissions Import Export invoque que cette immunité porte une atteinte disproportionnée aux droits à l'exécution forcée d'une décision, à son droit de propriété et le principe de l'égalité des armes ; mais considérant que les immunités conçues de manière expresse et spéciales constituent des limitations admises à ces principes ;Que cette immunité s'étend, notamment, aux fonds déposés sur les comptes bancaires de l'ambassade ou de la mission diplomatique ; que l'exécution forcée et les mesures conservatoires n'étant pas applicables aux personnes bénéficiant d'une immunité d'exécution en application de l'article L. 111-1 du Code des procédures civiles d'exécution en son alinéa 2 qui prévoit « l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution », que les fonds de la mission diplomatique bénéficiaient de cette immunité de sorte que, faute de renonciation particulière et expresse à celle-ci, la renonciation de la République du Congo, à l'égard du créancier, à l'immunité d'exécution des Etats était inopérante ;Qu'il appartient au créancier qui entend saisir les comptes de rapporter la preuve que ceux-ci seraient utilisés pour une activité privée ou commerciale ; qu'en l'absence de preuve contraire, les comptes intitulés « Paierie pres ambassade du Congo», « Del Congo-Brazzaville (délégation permanente auprès de l'Unesco), Ambassade du Congo Cellule Communication, Ambassade du Congo OGES (office de gestion des étudiants et stagiaires), Ambassade du Congo » relèvent de la souveraineté de l'Etat et sont parties intégrantes de la mission diplomatique ;Considérant que la demande faite par la société COMMISSIONS IMPORT EXPORT de production de divers éléments de preuve se heurte au principe qui veut qu'il appartient au créancier de faire la preuve de la destination non diplomatique des comptes et que contraindre le débiteur à fournir ces éléments de preuve reviendrait à renverser la charge de la preuve et à suppléer à la carence d'une partie ; qu'en outre le « droit à la preuve » invoqué par la société COMMISSIONS IMPORT EXPORT n'est pas pertinent, dans la mesure où elle ne prouve pas que cette production est indispensable à l'exercice de ses droits ; que, de même que la société COMMISSIONS IMPORT EXPORT soutient que l'énoncé d'un compte peut être modifié à l'envi, elle soutiendrait, si les éléments qu'elle réclame lui étaient communiqués qu'ils ne reflètent pas la réalité ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication des pièces »,
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE les missions diplomatiques des Etats étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d'une immunité d'exécution autonome, qui obéit à un régime distinct de celui applicable aux immunités d'exécution accordées par ailleurs aux Etats, et à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale ;Que les fonds affectés aux missions diplomatiques bénéficient d'une présomption d'utilité publique et que les comptes bancaires d'une ambassade sont présumés être affectés à l'accomplissement des fonctions de la mission diplomatique de sorte qu'il appartient au créancier qui entend les saisir de rapporter la preuve que ces biens seraient utilisés pour une activité privée ou commerciale ;Qu'en l'espèce, la seule mention, dans la lettre d'engagement signée le 3 mars 1993 par le Ministre des Finances et du budget de la République du Congo, d'une renonciation du signataire « à invoquer dans le cadre du règlement d'un litige en relation avec les engagements objets de la présente, toute immunité de juridiction ainsi que toute immunité d'exécution » ne manifeste pas la volonté non équivoque de la République du Congo de renoncer à se prévaloir spécifiquement de l'immunité diplomatique d'exécution et d'accepter que la société commerciale COMMISIMPEX puisse, le cas échéant, entraver le fonctionnement et l'action de ses ambassades et représentations à l'étranger ;Que la Société Générale a régulièrement communiqué, en réponse aux actes de saisie litigieux, la liste des comptes et des soldes bloqués au jour de la saisie, dont les titulaires sont les suivants :« Paierie pres ambassade Congo France,Del Congo-Brazzaville,Ambassade du Congo Cellule de Communication,Ambassade du Congo OGES,Ambassade du Congo »,Que la République du Congo précise que le compte « Del Congo Brazzaville » concerne la délégation permanente auprès de l'Unesco et que « l'ambassade du Congo OGES » se réfère à l'office de gestion des étudiants et stagiaires ;Que si la Société Générale et la République du Congo se sont abstenus de produire les conventions d'ouverture de comptes, ainsi que l'identité et la qualité des personnes autorisées à mouvementer lesdits comptes, malgré les demandes faites en ce sens puis l'injonction prononcée sur requête, il n'y a pas lieu, dans le cadre de la présente instance débattue contradictoirement, de retenir que la charge de la preuve que les comptes bancaires atteints par la saisie ont été ouverts pour le compte de ses missions diplomatiques pèse sur la République du Congo, ce qui reviendrait à opérer un renversement de la charge de la preuve, et ce alors que la présomption d'affectation à l'accomplissement des fonctions de la mission diplomatique apparaît confortée par l'intitulé des comptes susvisés ;
1°) ALORS QUE les missions diplomatiques des Etats étrangers ne bénéficient pas d'une immunité d'exécution autonome de celle accordée à l'Etat dont elles dépendent, nécessitant une renonciation spécifique ; qu'en jugeant que la renonciation par la République du Congo, dans la lettre d'engagement du 3 mars 1993, à invoquer toute immunité de juridiction, ainsi que toute immunité d'exécution, ne valait pas renonciation à l'immunité d'exécution des missions diplomatiques de l'Etat du Congo, cependant qu'aucune renonciation spéciale propre aux immunités des missions diplomatiques des Etats étrangers n'est requise, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée aux droits de COMMISIMPEX à l'exécution de la décision de justice rendue à son profit, en violation de l'article 22 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961, des principes de droit international régissant l'immunité d'exécution des Etats et de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ainsi que de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952 ;
2°) ALORS QU'aux termes de l'article 38 § 1 b, du Statut de la Cour internationale de justice, le droit international coutumier est défini comme la preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit ; qu'en jugeant que selon le droit international coutumier, les missions diplomatiques des Etats étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l'Etat accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d'une immunité d'exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale, sans caractériser l'existence d'une pratique générale acceptée comme étant le droit en ce sens, cette existence étant expressément contestée, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'à supposer qu'une renonciation spéciale à l'immunité diplomatique d'exécution autonome soit requise, l'exigence nouvelle quant à la forme des clauses de renonciation à immunité ayant été posée pour la première fois par la Cour de cassation en 2011, elle ne peut s'appliquer à des clauses de renonciation à immunité conclues antérieurement ; qu'en imposant une renonciation spéciale à l'immunité d'exécution de sa mission diplomatique, alors que la clause de renonciation consentie par la République du Congo l'avait été en 1993, la cour d'appel a violé l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme du 4 novembre 1950 et l'article 1er du protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952 ;
4°) ALORS SUBSIDIAIREMENT, QUE selon l'article 9 du code de procédure civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention » ; que s'il existe une présomption d'affectation à l'exercice des missions diplomatiques des fonds qui sont déposés sur des comptes bancaires diplomatiques, cette présomption ne vaut que pour les comptes ouverts par l'Etat étranger pour les besoins de ses missions diplomatiques ; qu'en jugeant qu'il appartiendrait à COMMISIMPEX de rapporter la preuve que les comptes atteints par la saisie n'avaient pas été ouverts pour l'exercice des missions diplomatiques de la République du Congo en France, alors qu'il appartenait à la République du Congo de prouver qu'ils avaient été ouverts pour l'exercice de ses missions diplomatiques, de sorte que les fonds déposés bénéficiaient de la présomption d'affectation à l'exercice de ses missions, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil, de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté la société COMMISIMPEX de sa demande tendant à voir ordonner à la République du Congo de verser aux débats les conventions d'ouverture des comptes saisis et leurs éventuels avenants, les documents attestant du nom et de la qualité des personnes habilitées à mouvementer lesdits comptes et le relevé détaillé des opérations réalisées sur chacun desdits comptes durant les 12 mois ayant précédé la saisie ;
AUX MOTIFS QUE la demande faite par la société COMMISSIONS IMPORT EXPORT de production de divers éléments de preuve se heurte au principe qui veut qu'il appartient au créancier de faire la preuve de la destination non diplomatique des comptes et que contraindre le débiteur à fournir ces éléments de preuve reviendrait à renverser la charge de la preuve et à suppléer à la carence d'une partie ; qu'en outre le « droit à la preuve » invoqué par la société COMMISSIONS IMPORT EXPORT n'est pas pertinent, dans la mesure où elle ne prouve pas que cette production est indispensable à l'exercice de ses droits ; que, de même que la société COMMISSIONS IMPORT EXPORT soutient que l'énoncé d'un compte peut être modifié à l'envi, elle soutiendrait, si les éléments qu'elle réclame lui étaient communiqués qu'ils ne reflètent pas la réalité ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de communication des pièces,
ALORS QUE le droit à la preuve impose de faire droit à une demande de production de pièces détenues par l'autre partie, dès lors qu'elles sont nécessaires pour établir le bien-fondé des prétentions formées ; qu'en rejetant la demande de production de pièces formée par la société COMMISIMPEX, motif pris qu'elle se heurterait au principe qui veut qu'il appartient au créancier de faire la preuve de la destination non diplomatique des comptes et que contraindre le débiteur à fournir ces éléments de preuve reviendrait à inverser la charge de la preuve et à suppléer la carence d'une partie, la Cour d'appel a violé les articles 9, 11 et 146 du code de procédure civile.