LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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Mme I... V... T...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 18e chambre, en date du 14 février 2018, qui, pour abus de faiblesse, l'a condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, a ordonné une mesure de confiscation et prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 4 septembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Drai, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Darcheux ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DRAI, les observations de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général MORACCHINI ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 313-4, 313-7, 223-15-2 et 223-15-3 du code pénal, 2, 3, 427, 485, 512, 591, 592 et 593 du code de procédure pénale, 6 de la convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Mme V... T... coupable d'abus de faiblesse sur la personne de C... K... et l'a condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant trois ans et, sur les intérêts civils, a reçu Mme Z... F..., M. Charles F... et Mme L... D..., veuve F... en leurs constitutions de parties civiles et a condamné l'exposante à payer à Mme D... la somme de 1 euros en réparation de son préjudice moral, et à Mme F... et à M. F... la somme de 58 433 euros, chacun, en réparation de leur préjudice matériel ;
“1°) alors que sous l'empire de l'article 313-4 du code pénal, applicable aux faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001, l'abus de faiblesse n'est caractérisé que dans la mesure où les agissements reprochés au prévenu ont eu pour effet, par des pressions exercées sur la victime, de contraindre celle-ci à un acte préjudiciable ; qu'une telle contrainte ne saurait se déduire de la seule vulnérabilité de la victime ; Que, dès lors, en se bornant à énoncer que la prévenue a bénéficié des libéralités de C... K..., et que l'état de vulnérabilité de cette dernière aurait permis à l'exposante de la contraindre, en l'accompagnant à la banque pour procéder à des retraits d'argent, à se dépouiller de ses liquidités, pour en déduire que la prévenue doit être déclarée coupable d'abus de faiblesse au sens du texte susvisé, sans préciser en quoi aurait concrètement consisté une telle contrainte, qui ne pouvait se déduire uniquement de l'état de vulnérabilité de l'auteur des libéralités litigieuses, ni du fait d'avoir accompagné C... K... à la banque lors d'un retrait d'argent dont l'intéressée avait seule eu l'initiative, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale ;
“2°) alors que par un moyen pertinent assorti d'offres de preuve et nécessitant réponse, l'exposante avait fait valoir en appel, que figurait sur ses comptes bancaires en 1996, soit bien avant les faits objet de la poursuite et l'appauvrissement du patrimoine de C... K..., une somme avoisinant 1 800 000 francs résultant de son travail acharné et de ses économies, de sorte qu'il n'y avait aucune corrélation entre le solde créditeur de ses comptes bancaires et la diminution des biens de C... K... à compter de 1997 ; qu'à cet égard, l'exposante versait aux débats non seulement une déclaration fiscale de ses valeurs mobilières imposables au titre des années 1992 et 1993, mais aussi un relevé de l'évolution de son compte BPI depuis 1985, démontrant l'existence d'un solde créditeur de 1 250 000 francs dès 1993 et de 1 800 000 francs en 1996, en précisant qu'elle avait ensuite clôturé ce compte pour placer son argent à un meilleur taux à la CAIXA Banque ; qu'après avoir indiqué au titre du rappel des faits que « les investigations bancaires diligentés au Portugal révélaient l'existence de deux comptes ouverts par Thérésa T... dans son pays d'origine, sur lesquels étaient constatés des mouvements de fonds s'élevant à plus de 1 800 000 francs », la cour d'appel qui se borne à affirmer que « la concomitance entre, d'une part, la dissipation en quelques mois par C... K... des trois quarts de son patrimoine mobilier, (
), d'autre part, l'apparition sur les comptes portugais de I.. T... de sommes d'un montant équivalent » , sans nullement rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si les mouvements de fonds sur les comptes ouverts par l'exposante dans son pays d'origine ne provenaient pas des sommes figurant sur ses comptes français, pour un montant équivalent, bien avant 1997, soit antérieurement à la date des faits visés à la prévention comme marquant le début de l'appauvrissement du patrimoine de C... K..., a délaissé le moyen dont elle était saisie en violation des textes suvisés ;
“3°) alors que l'exposante avait fait valoir en appel et offert de rapporter la preuve, que figurait sur ses comptes bancaires en 1996, soit bien avant les faits objet de la poursuite et le début de l'appauvrissement du patrimoine de C... K..., une somme avoisinant 1 800 000 francs résultant de son travail acharné et de ses économies, de sorte qu'il n'y avait aucune corrélation entre le solde créditeur de ses comptes bancaires et la diminution des biens de C... K... à compter de 1997 ; qu'à cet égard, l'exposante versait aux débats non seulement une déclaration fiscale de ses valeurs mobilières imposables au titre des années 1992 et 1993, mais aussi un relevé de l'évolution de son compte BPI depuis 1985, démontrant l'existence d'un solde créditeur de 1 250 000 francs dès 1993 et de 1 800 000 francs en 1996, en précisant qu'elle avait ensuite clôturé ce compte pour placer son argent à un meilleur taux à la CAIXA Banque ; qu'après avoir indiqué au titre du rappel des faits que
« les investigations bancaires diligentés au Portugal révélaient l'existence de deux comptes ouverts par Thérésa T... dans son pays d'origine, sur lesquels étaient constatés des mouvements de fonds s'élevant à plus de 1 800 000 francs », la cour d'appel qui se borne à affirmer que « la concomitance entre, d'une part, la dissipation en quelques mois par C... K... des trois quarts de son patrimoine mobilier, (
), d'autre part, l'apparition sur les comptes portugais de I.. T... de sommes d'un montant équivalent » , sans nullement rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si les mouvements de fonds sur les comptes ouverts par l'exposante dans son pays d'origine ne provenaient pas des sommes figurant sur ses comptes français, pour un montant équivalent, bien avant 1997, soit antérieurement à la date des faits visés à la prévention comme marquant le début de l'appauvrissement du patrimoine de C... K..., n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme partiellement que le 28 mars 2000, Mme F... a déposé plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée pour abus de confiance et escroquerie, exposant que sa mère, C... K..., décédée le [...] , avait laissé un actif net de succession de 86 404,90 francs, alors qu'elle était assujettie de son vivant à l'impôt de solidarité sur la fortune et que, dans sa déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune pour 1997, elle avait déclaré des valeurs mobilières, liquidités, actifs bancaires et assurance-vie pour un montant de 1 272 305 francs ; qu'elle ajoutait qu'au titre de l'année 1998, sa mère n'avait déclaré que la somme de 210 580 francs et faisait valoir que l'examen des relevés bancaires de sa mère entre le 13 février et le 3 octobre 1997 faisait apparaître un nombre très important de retraits d'espèces pour un montant total de 919 999 francs avec des montants allant de 10 000 à 400 000 francs, le dernier retrait ayant été fait par la défunte accompagnée de sa femme de ménage, Mme V... T... ; qu'elle relatait que les investigations menées par elle avaient révélé que de nombreux chèques avaient été libellés par sa mère au nom de sa femme de ménage et de la fille de cette dernière, pour des montants excédant le montant de son salaire et indiquait enfin que sa mère souffrait de problèmes psychiatriques ayant entraîné plusieurs hospitalisations en 1993, 1997 et 1998 ; que Mme V... T... a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour abus frauduleux de la situation de faiblesse de C... K..., faits commis entre le 27 mars 1997 et le 25 juillet 1998, au visa des articles 313-4 et 313-7 anciens du code pénal, en vigueur au moment des faits, devenus les articles 223-15-2 et 223-15-3 du code pénal ; que, déclarée coupable des chefs susvisés, Mme V... T... a interjeté appel des dispositions pénales et civiles, ainsi que le ministère public des dispositions pénales ;
Attendu que pour déclarer la prévenue coupable du délit d'abus de faiblesse, l'arrêt retient que la concomitance entre la dissipation en quelques mois, par C... K..., des trois quarts de son patrimoine mobilier, sans changement notable dans son mode de vie, et l'apparition sur les comptes portugais de Mme V... T... de sommes d'un montant équivalent, établit que la seconde a bénéficié des libéralités de la première, en état de particulière vulnérabilité apparente, établi par expertise médicale, qui a permis à la prévenue de la contraindre, notamment en l'accompagnant à la banque pour procéder à d'importants retraits d'argent, à se dépouiller de ses liquidités disponibles dans une proportion qui lui était nécessairement préjudiciable ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans répondre aux conclusions qui faisaient valoir que Mme V... T... disposait sur son compte bancaire au Portugal d'une somme de 1 800 000 francs correspondant à ses économies faites au cours de vingt cinq années de travail, déposée en janvier 1997, soit avant les retraits suspects sur le compte de C... K..., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 14 février 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize octobre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.