LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 septembre 2021
Rejet
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 652 F-B
Pourvoi n° X 20-10.105
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 SEPTEMBRE 2021
1°/ M. [H] [D], domicilié [Adresse 1], agissant en qualité de président de la société Ficoz,
2°/ la société Financière et commerciale Z, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], agissant par son président M. [H] [D], exerçant sous le sigle Ficoz,
ont formé le pourvoi n° X 20-10.105 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant à la société Actis mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [U] [J], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société financière et commerciale Z "Ficoz", défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [D] et de la société Financière et commerciale Z, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 juin 2021 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2019), la société Financière et commerciale (la société Ficoz), dont M. [D] est le dirigeant, a été mise en liquidation judiciaire le 28 mars 2017 par un jugement qui a fixé la date de cessation des paiements au 28 septembre 2015 et a désigné la société Actis en qualité de liquidateur.
2. Un appel limité à la détermination de la date de cessation des paiements ayant été formé, une cour d'appel a fixé cette date au 17 mars 2017, date de la déclaration de cessation des paiements.
3. Le 27 mars 2018, le liquidateur a formé une demande de report de la date de cessation des paiements. Un jugement du 22 mars 2019 a fait droit à cette demande, la cessation des paiements de la société Ficoz étant de nouveau fixée à la date du 28 septembre 2015.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société Ficoz et M. [D] font grief à l'arrêt de déclarer la demande du liquidateur recevable et de fixer la date de cessation des paiements au 28 septembre 2015, alors :
« 1°/ que la chose jugée, qui suppose une identité de chose et de parties, constitue une fin de non-recevoir ; que la possibilité offerte au liquidateur de former le cas échéant plusieurs demandes de report de la date de cessation des paiements vise à lui permettre de tirer les conséquences des éléments nouveaux qui apparaissent au fur et à mesure de la procédure et de la situation qu'il découvre ; qu'en l'absence d'éléments nouveaux au regard de ceux déjà pris en compte par une décision de justice, elle ne l'autorise pas à s'affranchir de la chose déjà jugée ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 631-8 du code de commerce et 1355 du code civil ;
2°/ que la chose jugée, qui suppose une identité de chose et de parties, constitue une fin de non-recevoir ; qu'une demande de report de la date de cessation des paiements constitue une demande de modification de cette date ; que pour dire que la demande qui lui était soumise n'était pas la même que celle qui avait déjà été jugée par la cour d'appel dans son arrêt du 28 septembre 2017, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés des premiers juges, que les demandes de report en application de l'article L. 631-8 du code de commerce, et de modification de la date de cessation des paiements n'avaient pas le même objet ; qu'en opérant une distinction entre les deux demandes, qui avaient le même objet, à savoir la modification de la date de cessation des paiements, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. L'article L. 631-8, alinéa 2, du code de commerce disposant que la date de cessation des paiements peut être reportée une ou plusieurs fois, il s'en déduit que l'existence d'une décision d'irrecevabilité ou de rejet d'une demande de report de la date de cessation des paiements ne fait pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle demande fondée sur la disposition précitée.
6. Ayant constaté que la demande de report de la date de cessation des paiements avait été présentée par le liquidateur le 27 mars 2018, c'est en faisant l'exacte application de ce texte, que la cour d'appel l'a déclarée recevable.
7. Le moyen, qui ne peut être accueilli en sa seconde branche, pour critiquer des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La société Ficoz et M. [D] font le même grief à l'arrêt, alors « qu'il appartient à celui qui sollicite le report de la date de cessation des paiements d'établir que les conditions en sont réunies ; qu'il lui incombe notamment d'établir l'insuffisance de l'actif disponible à la date invoquée ; qu'en retenant, pour reporter la cessation des paiements à la date du 28 septembre 2015, qu'il n'était pas établi que la société Ficoz disposait, à la date du 28 septembre 2015, d'un actif disponible lui permettant de faire face à son passif exigible, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. L'arrêt constate que l'URSSAF a déclaré une créance de 20 015,50 euros, correspondant à des cotisations sociales dues au titre des années 2013 et 2014, exigibles à la date du 28 septembre 2015. La société Ficoz et M. [D] s'étant bornés à contester l'absence, à cette date, d'un actif disponible pour faire face à cette dette ancienne, sans donner, sur la consistance de cet actif, la moindre précision, qui aurait permis à la cour d'appel, en réponse aux contestations du liquidateur, d'en vérifier, fût-ce sommairement, l'existence, ils ne peuvent, en l'état du débat devant elle, lui reprocher d'avoir reporté la date de cessation des paiements au 28 septembre 2015.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [D] et la société Financière et commerciale aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [D] et la société Financière et commerciale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [D] et la société Financière et commerciale Z.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la demande de la société Actis recevable en sa demande et d'avoir fixé la cessation des paiements à la date du 28 septembre 2015,
AUX MOTIFS QUE l'article L. 631-8 du code de commerce permet au tribunal de reporter une ou plusieurs fois la date de cessation des paiements pourvu que la demande de modification de date soit présentée dans le délai d'un an à compter du jugement d'ouverture de la procédure ; qu'il en résulte qu'aucune autorité de chose jugée attachée à la date de cessation des paiements fixée par le tribunal dans le jugement d'ouverture ou par la cour d'appel statuant à sa suite sur appel dudit jugement n'est susceptible d'être opposée à l'action en report diligentée par les organes de la procédure ou le ministère public,
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 septembre 2017 a infirmé le jugement d'ouverture du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements au 28 septembre 2015 et a fixé cette dernière au 17 mars 2017; que par acte extra judiciaire du 27 mars 2018, la société Actis a assigné M.[D] en qualité de président de FICOZ et demande au tribunal de commerce de Paris de reporter la date de cessation des paiements fixée par la cour d'appel de Paris au 17 mars 2017 à la date du 5 octobre 2016, que cette demande est fondée sur l'article L. 631-8 alinéa 2 du code de commerce qui dispose que la date de cessation des paiements "peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure. Sauf cas de de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l'article L.611-8. L'ouverture d'une procédure mentionnée à l'article L.628-1 ne fait pas obstacle à l'application de ces dispositions" ; que contrairement à ce que soutient le conseil de FICOZ, la demande de ACTIS n'est pas la même que celle jugée par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 28 septembre 2017; qu'en effet, la cour d'appel de Paris a statué sur l'appel interjeté par la société FICOZ concernant la date de cessation des paiements retenue par le tribunal de commerce de Paris dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire ; que le tribunal est saisi d'une demande de report de la date de cessation des paiements en application de l'article L. 631-8 du code de commerce et non d'une demande de modification de la date de cessation des paiements du jugement d'ouverture, qu'il s'agit d'une demande différente de celle jugée par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 28 septembre 2017; qu'en application de l'article L. 631-8 du code de commerce, le mandataire judiciaire dispose en effet d'un délai d'un an «à compter » du jugement d'ouverture de la procédure pour demander le report de la date de cessation des paiements fixée par le jugement d'ouverture ; que ce même article prévoit que la demande de report peut être faite « une ou plusieurs fois », ce qui permet notamment de tenir compte des éléments nouveaux dont pourrait disposer le mandataire au fur et à mesure de sa mission et donc de statuer plusieurs fois sur la question de la date de cessation des paiements en fonction des éléments disponibles ; que le tribunal saisi d'une demande de report de la date de cessation des paiements sur le fondement de l'article L. 631-8 du code de commerce doit statuer en fonction des éléments qui lui sont présentés et qui peuvent être différents de ceux dont disposait la cour d'appel lorsqu'elle s'est prononcée sur la modification de la date de cessation des paiements du jugement du 28 mars 2017; qu'il n'y a pas autorité de la chose jugée ;
1) ALORS QUE la chose jugée, qui suppose une identité de chose et de parties, constitue une fin de non-recevoir ; que la possibilité offerte au liquidateur de former le cas échéant plusieurs demandes de report de la date de cessation des paiements vise à lui permettre de tirer les conséquences des éléments nouveaux qui apparaissent au fur et à mesure de la procédure et de la situation qu'il découvre ; qu'en l'absence d'éléments nouveaux au regard de ceux déjà pris en compte par une décision de justice, elle ne l'autorise pas à s'affranchir de la chose déjà jugée ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L631-8 du code de commerce et 1355 du code civil ;
2) ALORS QUE la chose jugée, qui suppose une identité de chose et de parties, constitue une fin de non-recevoir ; qu'une demande de report de la date de cessation des paiements constitue une demande de modification de cette date; que pour dire que la demande qui lui était soumise n'était pas la même que celle qui avait déjà été jugée par la cour d'appel dans son arrêt du 28 septembre 2017, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés des premiers juges, que les demandes de report en application de l'article L. 631-8 du code de commerce, et de modification de la date de cessation des paiements n'avaient pas le même objet ; qu'en opérant une distinction entre les deux demandes, qui avaient le même objet, à savoir la modification de la date de cessation des paiements, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la demande de la société Actis recevable et d'avoir fixé la date de cessation des paiements au 28 septembre 2015,
AUX MOTIFS QU'est en cessation des paiements tout débiteur qui est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ; que le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements ; que l'administration fiscale a déclaré une créance définitive pour un montant total de 92.739,35 € ; qu'aux termes de la liste des créances produite par le liquidateur judiciaire, arrêtée au 5 mars 2019, la DGFIP a procédé à trois déclarations de créance, une première d'un montant de 128.067,35 euros, une deuxième d'un montant de 557 euros et une troisième de 106.234 € ; que parmi ces créances des sommes de 74.048 euros, 112 euros et 67.959 euros ont été déclarées à titre provisionnel ; que par ordonnance du 7 mai 2019, le juge-commissaire a rejeté la créance provisionnelle de 74.048 euros et a admis une créance fiscale déclarée à titre définitif à hauteur de 46.019,35 € ; que cette créance admise correspond, selon la déclaration de créance produite aux débats, à des dettes de TVA dues sur les mois de février 2016 et de février 2017 ; qu'aucune pièce n'est produite aux débats quant au sort des autres créances fiscales déclarées à titre provisionnel ; que s'agissant des autres créances déclarées à titre définitif, seule une créance d'impôt sur les sociétés, d'un montant de 38.275 euros, porte sur une période antérieure au 28 septembre 2015, soit la période allant du 1er janvier 2014 au 31 mars 2015 ; que cette créance, invoquée par le liquidateur judiciaire, est mentionnée comme étant contestée sur la liste des créances produites aux débats et aucune des parties ne produit de pièces relatives au sort de cette contestation ; qu'il se déduit de ces éléments qu'il n'est pas établi que des créances fiscales étaient certaines et exigibles au 28 septembre 2015 ; que l4L'organisme de prévoyance Klesia a, quant à lui, déclaré une créance d'un montant de 13.726,17 euros que, par ordonnance du 7 mai 2019, le juge-commissaire a admis à hauteur de 9.158 € ; que faute de production de la déclaration de créance, la date d'exigibilité de la créance ne peut être déterminée ; que Klésia a déclaré une seconde créance d'un montant de 35.939,63 euros que, par ordonnance du 18 juin 2019, le juge-commissaire a admis à hauteur de 22.356 € ; que faute de pièce, il n'est pas éab1i que le montant admis corresponde à des créances antérieures au 28 septembre 2015 ou que des paiements soient intervenus après cette date pour apurer des dettes antérieures ; que la société Actis mandataires judiciaires ès qualités n'invoque au demeurant aucune des créances de cet organisme au soutien de sa demande de report ; que quant à l'Urssaf, elle a déclaré des créances privilégiées pour un montant total de 196.292,44 euros dues à compter du premier trimestre 2015, dont un montant total de 19.534 euros pour le premier semestre 2015 ; que la liste des créances mentionne toutefois le rejet de ces créances à hauteur de 111.760 € et faute de pièce, il n'est pas établi que le montant non rejeté correspond aux créances dues au titre du premier semestre 2015 ou que des paiements soient intervenus après cette date pour apurer ces dettes ; que l'Urssaf a toutefois déclaré une créance chirographaire d'un montant total de 20.015,50 euros correspondant à des cotisations dues au titre des années 2013 et 2014 ; que la liste des créances produite aux débats ne fait mention d'aucune contestation de la part de la débitrice et les appelants ne discutent pas cette créance devant la cour ; que cette créance doit donc être considérée comme exigible au 28 septembre 2015 ; qu'il n'est par ailleurs pas établi que la société Ficoz disposait au 28 septembre 2015 d'un actif disponible lui permettant de faire face à ce passif exigible ; qu'il résulte de ces éléments que la société Ficoz était en état de cessation des paiements au 28 septembre 2015 de sorte que le jugement du 22 mars 2015 doit être confirmé,
ALORS QU'il appartient à celui qui sollicite le report de la date de cessation des paiements d'établir que les conditions en sont réunies ; qu'il lui incombe notamment d'établir l'insuffisance de l'actif disponible à la date invoquée ; qu'en retenant, pour reporter la cessation des paiements à la date du 28 septembre 20015, qu'il n'était pas établi que la société Ficoz disposait, à la date du 28 septembre 20015, d'un actif disponible lui permettant de faire face à son passif exigible, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 du code civil.