LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 novembre 2021
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 767 F+B
Pourvoi n° A 21-11.975
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 10 NOVEMBRE 2021
1°/ M. [B] [N], domicilié [Adresse 1],
2°/ M. [B] [W], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° A 21-11.975 contre l'arrêt rendu le 1er décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Linagora, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Linagora Grand Sud-Ouest, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de MM. [N] et [W], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat des sociétés Linagora et Linagora Grand Sud-Ouest, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 septembre 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Rémery, conseiller doyen, M. Guérin, conseiller doyen de section, Mme Darbois, conseiller doyenne de section, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Vaissette, Bélaval, Champalaune, Michel-Amsellem, MM. Ponsot, Mollard, conseillers, M. Blanc, Mme de Cabarrus, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er décembre 2020), M. [N] et M. [W] ont créé en 1997 la société Aliasource, spécialisée dans l'édition de solutions « Open source », qui a, en particulier, développé le logiciel « Open Business Management » (OBM), solution de messagerie et de travail collaboratif.
2. Par acte du 14 mai 2007, ils ont cédé leurs actions dans la société Aliasource à la société Linagora, intervenant sur le marché des prestations de services informatiques. Ils sont, à cette occasion, devenus actionnaires de la société Linagora. Ils ont, parallèlement, conclu un contrat de travail avec la société Aliasource, qui est devenue la société Linagora Grand Sud-Ouest (la société Linagora GSO).
3. M. [W] et M. [N] ont démissionné de leurs fonctions salariées, respectivement le 22 avril 2010 et le 10 mai 2010, et ont cédé leurs actions de la société Linagora à cette dernière le 17 mai 2011.
4. Le 12 octobre 2010, M. [N] a créé la société Blue Mind et, en octobre 2011, M. [W] a rejoint cette société.
5. Invoquant notamment la garantie légale d'éviction, la société Linagora a assigné M. [N] et M. [W] en restitution partielle de la valeur des droits sociaux cédés et en réparation de son préjudice. La société Linagora GSO est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa huitième branche
Enoncé du moyen
6. MM. [N] et [W] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, de dire qu'ils doivent indemniser la société Linagora au titre de la valeur perdue des actions, de leur interdire d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO, au profit de la société Linagora, de dire qu'ils ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora GSO et de dire qu'ils doivent indemniser cette dernière au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une perte de chance, alors « que l'atteinte à la liberté d'entreprendre du cédant de parts sociales n'est admissible que si elle est limitée dans le temps et proportionnée à l'objectif visé de protection du droit de propriété du cessionnaire sur les droits sociaux cédés ; qu'en l'espèce, ayant constaté que M. [N] n'a créé la société Blue Mind que le 12 octobre 2010 et que M. [W] n'a rejoint cette société qu'en octobre 2011, soit respectivement plus de trois et quatre ans après la cession de leurs parts sociales de la société Linagora GSO à la société Linagora, qu'ils n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale, ni aucun manquement à leurs obligations contractuelles de non-concurrence et à leur obligation de loyauté en tant qu'actionnaires de la société Linagora, la cour d'appel, qui a aussi constaté la durée déterminée des contrats en cours lors de la cession, a relevé que de nouveaux contrats avaient ensuite été obtenus par MM. [N] et [W] après qu'ils ont régulièrement gagné les appels d'offres de leurs anciens clients, d'une part, qui, d'autre part, n'a pas contredit l'assertion des exposants selon laquelle le départ de sept clients (sur quatre-vingt neuf) et de six salariés (sur plus d'une trentaine) de la société Linagora GSO pour la société Blue Mind ne leur était pas imputable mais était le propre fait de la société Linagora GSO et de la société Linagora et qui, enfin, s'est bornée à énoncer que la société Linagora avait été empêchée de poursuivre pleinement l'activité de la société Linagora GSO, mais sans constater un empêchement total ou dans une proportion importante, a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre de MM. [N] et [W] par rapport au but visé, en les condamnant à restituer à la société Linagora une partie du prix de cession des parts cédées et à indemniser la société Linagora GSO au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une éventuelle perte de chance ; qu'ainsi elle a violé, ensemble, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et l'article 1626 du code civil ».
Réponse de la Cour
Vu les principes de la liberté du commerce et de l'industrie et de la liberté d'entreprendre et l'article 1626 du code civil :
7. Il se déduit de l'application combinée de ces principes et de ce texte que si la liberté du commerce et la liberté d'entreprendre peuvent être restreintes par l'effet de la garantie d'éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l'acquéreur, c'est à la condition que l'interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.
8. Pour dire que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, leur interdire d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Linagora GSO et dire que du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora GSO, l'arrêt constate que M. [N] et M. [W] se sont rétablis, par l'intermédiaire de la société Blue Mind, dans le même secteur d'activité que la société cédée, pour proposer au marché un produit concurrent. Il relève également qu'ils se sont réapproprié une partie du code source du logiciel OBM, qu'ils ont débauché en 2012 le personnel qui avait été essentiel à l'activité de la société Linagora GSO et que les clients se sont détournés de cette dernière après le départ de M. [N] et M. [W] pour contracter avec la société Blue Mind à la suite d'une procédure d'appel d'offres à laquelle celle-ci avait répondu. Il retient enfin que leurs agissements ont abouti à un détournement de la clientèle attachée aux produits et services vendus par la société Linagora GSO, empêchant cette dernière de poursuivre pleinement son activité.
9. En se déterminant ainsi, après avoir constaté que M. [N] avait créé la société Blue Mind plus de trois ans après la cession des actions, que M. [W] n'avait rejoint cette société que quatre ans après la cession et que les contrats en cours lors de la cession étaient à durée déterminée, sans rechercher concrètement si, au regard de l'activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l'interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [N] et M. [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, ordonne la réouverture des débats sur l'évaluation de l'indemnité due par M. [N] et M. [W] à la société Linagora au titre de l'éviction partielle et invite les parties à faire part de leurs observations sur le calcul du montant du chiffre d'affaires généré par la clientèle détournée, interdit à M. [N] et M. [W] d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource, devenue Linagora Grand Sud-Ouest, au profit de la société Linagora, et en ce qu'il dit que, du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, M. [N] et M. [W] ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora Grand Sud-Ouest et ordonne la réouverture des débats sur l'évaluation du préjudice subi par la société Linagora Grand Sud-Ouest résultant d'une perte de chiffre d'affaires, invite les parties à faire part de leurs observations sur l'évaluation de ce préjudice, sur la perte de chance invoquée par la société Linagora Grand Sud-Ouest et sur l'estimation faite par la société Linagora Grand Sud-Ouest de son préjudice à hauteur de 405 740 euros, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 1er décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Linagora et la société Linagora Grand Sud-Ouest aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Linagora et la société Linagora Grand Sud-Ouest et les condamne, in solidum, à payer à M. [N] et M. [W] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour MM. [N] et [W].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
MM. [N] et [W] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait débouté les sociétés Linagora et Linagora Grand Sud Ouest de leurs demandes fondées sur la garantie légale d'éviction et, statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant, d'AVOIR dit qu'ils ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, d'AVOIR dit qu'en réparation de l'éviction partielle, ils doivent indemniser la société Linagora au titre de la valeur perdue des parts sociales correspondant au montant du chiffre d'affaires généré par la clientèle détournée (à savoir, AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l'INSA, l'INSERM, le conseil départemental du [Localité 7] et le ministère de l'intérieur) multiplié par un coefficient multiplicateur, de leur AVOIR interdit d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource devenue Linagora Grand Sud-Ouest au profit de la société Linagora, cette clientèle étant celle existant au jour de la cession des titres, d'AVOIR dit que, du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie d'éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora Grand Sud-Ouest et d'AVOIR dit qu'en réparation, ils doivent indemniser la société Linagora Grand Sud-Ouest au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une perte de chance ;
1) ALORS QUE la garantie légale d'éviction du fait personnel du cédant des actions d'une société n'entraîne pas pour celui-ci l'interdiction de se rétablir, sauf si ce rétablissement est de nature à empêcher le cessionnaire de ces actions de poursuivre l'activité économique de la société et de réaliser son objet social ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait dire que MM. [N] et [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction en se bornant à affirmer l'existence « d'une captation de clientèle, quelle que soit la raison pour laquelle les clients de la société Aliasource devenue Linagora GSO ont cessé de faire appel à elle » (arrêt p. 14 dernier §), quand elle a elle-même constaté que le protocole de cession portait sur des contrats à durée déterminée en cours (arrêt p. 11 § 5), que lesdits contrats en cours lors de la cession avaient été menés jusqu'à leur terme, quand Linagora elle-même admettait que les clients n'étaient devenus ceux de Blue Mind qu'après la fin desdits contrats (arrêt p. 12 § 4) et que pour certains clients, GSO n'avait même pas soumissionné à leurs appels d'offres (arrêt p 12 et 22), ce dont il résultait que les cédants des parts sociales n'avaient empêché la cessionnaire ni de poursuivre l'activité économique de GSO jusqu'au terme des contrats en cours ni de réaliser son objet social ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil ;
2) ALORS QUE la garantie légale d'éviction du fait personnel du cédant des actions d'une société ne prive pas le cédant du droit de se rétablir loyalement et ne peut entrainer une limitation de sa liberté d'entreprendre que dans le strict et nécessaire cadre et le temps limité à la réalisation de l'objet de ladite cession ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait dire que MM. [N] et [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction sans caractériser le moindre acte de démarchage par les cédants de la clientèle de la société cédée d'une part, sans tenir compte, d'autre part, des durées, de trois et quatre ans, écoulées entre la cession des titres litigieuse et les rétablissements des exposants, sans rechercher, enfin, comme elle y était invitée (conclusions p. 88-109), si la perte de la clientèle alléguée n'avait pas pour cause l'insatisfaction des clients avec la qualité des prestations fournies par GSO ou l'absence de toute participation de cette dernière aux appels d'offres lancés par les clients ou encore le pillage par la société Linagora des plus gros clients de GSO en sorte que la perte de la clientèle alléguée, plusieurs années après la cession, avait en réalité pour cause le fait du cessionnaire et de sa filiale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil ;
3) ALORS QUE la garantie d'éviction ne joue que si le trouble de fait ou de droit subi par le cessionnaire des parts sociales est imputable au cédant, c'est à dire en présence d'un fait personnel et d'un lien de causalité avec le préjudice allégué ; qu'ainsi, l'éviction ne donne pas lieu à la garantie du cédant si le cessionnaire pouvait éviter l'éviction ou si celle-ci est imputable à sa faute ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait dire que MM. [N] et [W] ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, au prétexte d'un prétendu débauchage de l'équipe-clé de la société Linagora en affirmant que « le débat instauré par les parties [?] sur les raisons ayant conduit les salariés à démissionner de ladite société est sans intérêt [?] de même [que] la circonstance que les six salariés recrutés par la société Blue Mind ne l'ont été que plusieurs mois après leur départ de la société Linagora GSO et après avoir travaillé pour d'autres sociétés » (arrêt p. 10 § 4) quand il en ressortait que les exposants n'avaient commis aucun débauchage et qu'il lui incombait de rechercher, comme elle y était invitée (conclusions p. 110-128), si le départ massif de 53 salariés de GSO – dont seulement 6 avaient rejoint la société Blue Mind – avait pour cause le climat délétère qui régnait au sein de GSO en raison des méthodes de management brutales employées par Linagora de sorte que la cessionnaire était seule responsable de cette éviction ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1626 du code civil ;
4) ALORS QUE la garantie légale d'éviction du fait personnel du cédant des actions d'une société n'entraîne pour celui-ci ni la perte de la liberté d'entreprendre ni l'interdiction de se rétablir, sauf si ce rétablissement est de nature à empêcher les titulaires de ces actions de poursuivre l'activité économique de la société et de réaliser son objet social ; qu'en retenant que les cédants s'étaient rétablis, par l'intermédiaire de la société Blue Mind, dans l'exercice d'une activité professionnelle directement concurrente et en tous points similaire à celle de la société GSO, pour en déduire que ce rétablissement était susceptible de caractériser un trouble de jouissance paisible (arrêt p. 8 §§ 8-9), sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions p. 20-21, 71, 86), si l'activité d'édition de logiciel (principale activité exercée par la société Blue Mind) ne représentait pas qu'une partie infime de l'activité de la société GSO, dont l'activité principale était la prestation de services informatiques, ce dont il se déduisait que Linagora n'avait été empêchée ni de poursuivre l'activité de GSO ni de réaliser son objet social, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1626 du code civil ;
5) ALORS AUSSI QU' il ne peut y avoir d'action en garantie d'éviction fondée sur des faits identiques à ceux sur lesquels a déjà été engagée une action en contrefaçon ; qu'en reprochant aux exposants d'avoir repris, via la société Blue Mind, une partie du code source du logiciel OBM et, en particulier, de s'être appropriés le module OBM-SYNC (arrêt p. 9), sans répondre aux conclusions des exposants qui faisaient pertinemment valoir que les appelants avaient formulé les mêmes allégations de reprise par la société Blue Mind d'une partie du code source du logiciel OBM et d'appropriation du module OBM-SYNC dans le cadre d'une action en contrefaçon pendante devant le tribunal de grande instance de Bordeaux et que ces allégations avaient été écartées tant par l'expert judiciaire désigné par ce tribunal que par le juge de la mise en état dudit tribunal, ce qui avait entraîné la condamnation de M. [Y], Président de Linagora, pour diffamation à l'encontre de la société Blue Mind et de MM. [N] et [W] par jugement du tribunal correctionnel de Toulouse du 29 janvier 2019 confirmé par arrêt définitif de la cour d'appel de Toulouse du 8 janvier 2020 (conclusions p. 9-10, 45, 82-83), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6) ALORS ENCORE QUE l'action en garantie d'éviction est irrecevable si elle est fondée sur des faits identiques à ceux sur lesquels est fondée une action en contrefaçon et ce, quand bien même l'action en contrefaçon a été rejetée ; que, partant, la cour d'appel aurait dû déclarer irrecevable le grief des sociétés Linagora et GSO tiré de la reprise par la société Blue Mind d'une partie du code source du logiciel OBM et de l'appropriation du module OBM-SYNC dès lors que ce grief est fondé sur des faits identiques à ceux sur le fondement desquels les sociétés Linagora et GSO ont engagé une action en contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Bordeaux ; qu'en se fondant sur ce grief irrecevable pour retenir que les exposants avaient manqué à leur obligation née de la garantie d'éviction, la cour d'appel a violé l'article 1626 du code civil ;
7) ALORS QUE la garantie légale d'éviction du fait personnel du cédant des actions d'une société n'entraîne pour celui-ci l'interdiction de se rétablir, que si ce rétablissement est de nature à empêcher le cessionnaire de ces actions de poursuivre l'activité économique de la société et de réaliser son objet social, ce qu'il incombe au cessionnaire de prouver ; qu'en l'espèce la cour d'appel ne pouvait faire jouer la garantie d'éviction des exposants, en se bornant à énoncer que « la société Linagora a été empêchée de poursuivre pleinement l'activité de la société Aliasource devenue Linagora GSO » (arrêt p. 15 § 2), ce qui est impropre à établir que la société Linagora aurait été empêchée de poursuivre l'activité économique de GSO et de réaliser son objet social et sans vérifier in concreto si, malgré plusieurs sommations de communiquer, la société Linagora ne s'était pas abstenue de produire les documents comptables nécessaires pour en justifier, si l'« extrait des grands livres anonymisés de Linagora GSO pour la période 2007-2015 » qu'elle produisait ne montrait pas seulement que, sur les 89 clients présents chez GSO en 2007 (l'année de la cession), les 10 clients – ramenés à 7 par la cour d'appel – prétendument détournés par les exposants ne représentaient que 14 % du chiffre d'affaires de GSO et si la société Linagora ne s'était pas elle-même targuée d'une multiplication par 5 depuis 2007 du nombre d'utilisateurs du logiciel OMB commercialisé par GSO, ce qui excluait, comme l'avait retenu le tribunal, l'existence d'un trouble de jouissance réel ou, tout du moins, suffisamment important pour faire jouer la garantie d'éviction (conclusions p. 68-70, 94, 109, 129) ; qu'en infirmant le jugement par le motif insuffisant précité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1626 du code civil ;
8) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'atteinte à la liberté d'entreprendre du cédant de parts sociales n'est admissible que si elle est limitée dans le temps et proportionnée à l'objectif visé de protection du droit de propriété du cessionnaire sur les droits sociaux cédés ; qu'en l'espèce, ayant constaté que M. [N] n'a créé la société Blue Mind que le 12 octobre 2010 et que M. [W] n'a rejoint cette société qu'en octobre 2011, soit respectivement plus de trois et quatre ans après la cession de leurs parts sociales de GSO à la société Linagora (arrêt p. 3 § 7), qu'ils n'avaient commis aucun acte de concurrence déloyale, ni aucun manquement à leurs obligations contractuelles de non-concurrence et à leur obligation de loyauté en tant qu'actionnaires de la société Linagora (arrêt p. 19-24), la cour d'appel, qui a aussi constaté la durée déterminée des contrats en cours lors de la cession, a relevé que de nouveaux contrats avaient ensuite été obtenus par les exposants après qu'ils ont régulièrement gagné les appels d'offres de leurs anciens clients d'une part, qui, d'autre part, n'a pas contredit l'assertion des exposants selon laquelle le départ de 7 clients (sur 89) et de 6 salariés (sur plus d'une trentaine) de GSO pour la société Blue Mind ne leur était pas imputable mais était le propre fait de GSO et de la société Linagora et qui, enfin, s'est bornée à énoncer (arrêt p. 15 § 2) que la société Linagora avait été empêchée de poursuivre pleinement l'activité de GSO, mais sans constater un empêchement total ou dans une proportion importante, a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des exposants par rapport au but visé, en les condamnant à restituer à la société Linagora une partie du prix de cession des parts cédées et à indemniser GSO au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une éventuelle perte de chance ; qu'ainsi elle a violé, ensemble, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et l'article 1626 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)MM. [N] et [W] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait débouté les sociétés Linagora et Linagora Grand Sud-Ouest de leurs demandes fondées sur la garantie légale d'éviction et, statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant, d'AVOIR dit qu'ils ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction et de leur AVOIR interdit d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource devenue Linagora Grand Sud-Ouest au profit de la société Linagora, cette clientèle étant celle existant au jour de la cession des titres ;
ALORS QUE l'interdiction d'exercer une activité commerciale, portant atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, doit obéir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre la sanction ainsi imposée et le but légitime visé ; qu'en interdisant de manière générale aux exposants, 13 années après la cession, 10 ans après le départ des exposants de la société Linagora et 8 ans après l'éviction partielle alléguée, d'exercer tout acte de concurrence visant la clientèle cédée à travers la cession des actions de la société Aliasource devenue Linagora GSO au profit de la société Linagora, sans autre précision ni limite, ni dans le temps, ni dans l'espace, d'une part, sans tenir compte de la plus ou moins grande intensité du lien qui unit GSO à chacun des 89 clients concernés par l'interdiction, d'autre part, sans distinguer, enfin, selon que c'est le client qui sollicite les exposants ou l'inverse, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et de travail des exposants par rapport à l'objectif visé de protection du droit de propriété de la société Linagora sur les parts de la société GSO et elle a ainsi violé, ensemble, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et l'article 1626 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)MM. [N] et [W] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait débouté les sociétés Linagora et Linagora Grand Sud Ouest de leurs demandes et, statuant à nouveau sur ce chef et y ajoutant, d'AVOIR dit qu'ils ont manqué à leur obligation née de la garantie légale d'éviction, d'AVOIR dit qu'en réparation de l'éviction partielle, ils doivent indemniser la société Linagora au titre de la valeur perdue des parts sociales correspondant au montant du chiffre d'affaires généré par la clientèle détournée (à savoir, AG2R, le groupe HLM Les Chalets, EDF, l'INSA, l'INSERM, le conseil départemental du [Localité 7] et le ministère de l'intérieur) multiplié par un coefficient multiplicateur, d'AVOIR dit que, du fait de leur manquement à leur obligation née de la garantie d'éviction, ils ont engagé leur responsabilité à l'égard de la société Linagora Grand Sud-Ouest et d'AVOIR dit qu'en réparation, ils doivent indemniser la société Linagora Grand Sud-Ouest au titre d'une perte de chiffre d'affaires et d'une perte de chance ;
1) ALORS QUE si la société cédée, tiers au contrat de cession de ses parts sociales, peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement du cédant à son obligation née de la garantie d'éviction, c'est à la condition que ce manquement lui ait causé un préjudice propre, distinct et non inclus dans celui subi par le cessionnaire et déjà réparé par le juge ; que, partant, la cour d'appel ne pouvait condamner les exposants à la fois à restituer à la société Linagora une partie du prix de cession des parts de la société GSO correspondant au montant du chiffre d'affaires généré par la clientèle prétendument détournée au préjudice de cette dernière multiplié par un coefficient multiplicateur (arrêt p. 16 dernier §) et à indemniser la société GSO au titre de la perte du chiffre d'affaires généré par la clientèle prétendument détournée (ainsi qu'au titre d'une perte de chance du fait de ce prétendu détournement) (arrêt p. 19 §§ 1-2) ; qu'en accueillant la demande de la société GSO, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice et ainsi violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU' à supposer que la cour d'appel ait accueilli la demande de la société GSO tendant à voir condamner les exposants à lui verser des dommages et intérêts en réparation d'une perte de chance du fait du prétendu détournement de sa clientèle, après avoir elle-même constaté que la société GSO ne s'expliquait pas sur la perte de chance alléguée (arrêt p. 19 § 2) et sans avoir caractérisé l'existence d'une perte de chance subie par cette société, malgré les contestations des exposants qui faisaient valoir notamment que pour certains des clients perdus au profit de la société Blue Mind tels que le Conseil départemental du [Localité 7], la société GSO n'avait même pas soumissionné à l'appel d'offre (conclusions p. 101), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.