LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 24 mai 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 366 F-B
Pourvoi n° X 21-22.184
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 MAI 2023
1°/ La société Bolloré ports France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Generali assurances IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° X 21-22.184 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2021 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Norsilk, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], venant aux droits de la société Metsa Wood,
2°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la SCI du Port, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Aswood, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de Me Balat, avocat des sociétés Bolloré ports France et Generali assurances IARD, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la SCI du Port et des sociétés Allianz IARD et Aswood, après débats en l'audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 juin 2021), le 21 octobre 2014, la société Aswood a confié à la société Bolloré ports France (la société Bolloré), entrepreneur de manutention maritime, le déchargement et le transfert d'une cargaison de pellets de bois d'un navire au local de stockage loué par la société Aswood dans un hangar appartenant à la SCI du Port.
2. Au cours de ces opérations, le mur séparant ce local de celui donné à bail à la société Norsilk s'est effondré en raison de la pression causée par un volume trop important de granulés stockés sur une hauteur excessive.
3. La société Aswood, la SCI du Port et leur assureur, la société Allianz IARD, ont assigné en réparation de leur préjudice la société Bolloré et son assureur, la société Generali assurances IARD (la société Generali), avant que la société Norsilk n'assigne ces cinq sociétés en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et seconde branches, et le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
5. Les sociétés Bolloré et Generali font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la SCI du Port à leur encontre, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 5422-20 du code des transports, "l'entrepreneur de manutention opère pour le compte de la personne qui a requis ses services, et sa responsabilité n'est engagée qu'envers cette personne qui seule peut agir contre lui" ; que si un tiers peut exceptionnellement être déclaré recevable à agir contre le manutentionnaire, il faut en revanche nécessairement qu'il ne dispose d'aucune autre action, notamment contre le donneur d'ordre ; qu'en admettant la recevabilité de l'action exercée par la SCI du Port, tiers au contrat de manutention litigieux, contre la société Bolloré, sans s'expliquer sur le caractère nécessairement subsidiaire d'une telle action et sans constater que la SCI du Port ne disposait d'aucune autre action contre quiconque pour obtenir réparation, et en particulier contre le donneur d'ordre de la société Bolloré à savoir la société Aswood, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 5422-20 du code des transports ;
2°/ qu'aux termes de l'article L. 5422-20 du code des transports, "l'entrepreneur de manutention opère pour le compte de la personne qui a requis ses services, et sa responsabilité n'est engagée qu'envers cette personne qui seule peut agir contre lui" ; qu'il en découle que les actions exceptionnellement exercées par les tiers contre le manutentionnaire présentent nécessairement un caractère subsidiaire ; que pour déclarer recevable l'action de la SCI du Port contre la société Bolloré, manutentionnaire, la cour d'appel a retenu que "l'action en responsabilité délictuelle d'un tiers contre le manutentionnaire portuaire ne présente pas un caractère subsidiaire à l'action contractuelle prévue à l'article précité, l'action en responsabilité délictuelle restant ouverte à la victime d'un dommage résultant de l'exécution d'un contrat de manutention auquel elle a été tiers" ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 5422-20 du code des transports. »
6. Les sociétés Bolloré et Generali font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la société Norsilk à leur encontre, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 5422-20 du code des transports, "l'entrepreneur de manutention opère pour le compte de la personne qui a requis ses services, et sa responsabilité n'est engagée qu'envers cette personne qui seule peut agir contre lui" ; que si un tiers peut exceptionnellement être déclaré recevable à agir contre l'entrepreneur de manutention, il faut en revanche nécessairement qu'il ne dispose d'aucune autre action, notamment contre le donneur d'ordre ; qu'en admettant la recevabilité de l'action exercée par la société Norsilk, tiers au contrat de manutention litigieux, contre la société Bolloré, sans s'expliquer sur le caractère nécessairement subsidiaire d'une telle action et sans constater que la société Norsilk ne disposait d'aucune autre action contre quiconque pour obtenir réparation, et en particulier contre le donneur d'ordre de la société Bolloré à savoir la société Aswood, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 5422-20 du code des transports ;
2°/ qu'aux termes de l'article L. 5422-20 du code des transports, "l'entrepreneur de manutention opère pour le compte de la personne qui a requis ses services, et sa responsabilité n'est engagée qu'envers cette personne qui seule peut agir contre lui" ; qu'il en découle que les actions exceptionnellement exercées par les tiers contre le manutentionnaire présentent nécessairement un caractère subsidiaire ; que pour déclarer recevable l'action de la société Norsilk contre la société Bolloré, manutentionnaire, la cour d'appel a retenu que "l'action en responsabilité délictuelle d'un tiers contre le manutentionnaire portuaire ne présente pas un caractère subsidiaire à l'action contractuelle prévue à l'article précité, l'action en responsabilité délictuelle restant ouverte à la victime d'un dommage résultant de l'exécution d'un contrat de manutention auquel elle a été tiers" ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 5422-20 du code des transports. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de la combinaison des articles L. 5422-12 et L. 5422-18 du code des transports, applicables au manutentionnaire de transport en vertu de l'article L. 5422-25 de ce code, que, quel qu'en soit le fondement, toute action principale en responsabilité pour pertes et dommages aux marchandises exercée à l'encontre d'un entrepreneur de manutention se prescrit dans le délai d'un an.
8. Après avoir relevé que la SCI du Port et la société Norsilk étaient des tiers au contrat de manutention maritime conclu entre la société Aswood et la société Bolloré, l'arrêt retient qu'elles ne sont pas intervenues dans la chaîne contractuelle du transport et du débarquement des marchandises et que les préjudices allégués par elles ne concernent pas les marchandises transportées, débarquées, mises et reprises sous hangar dans les locaux de la société Aswood à la demande de celle-ci, mais, pour l'une, les dégâts causés au mur de son hangar et leurs conséquences financières, pour l'autre, les dommages causés aux produits entreposés dans son local de stockage, voisin de celui de la société Aswood, et son préjudice financier consécutif.
9. De ces constatations et appréciations, par une décision suffisamment motivée, la cour d'appel a exactement déduit que l'action des deux sociétés fondée sur l'article 1240 du code civil, qui ne portait pas sur les marchandises ayant fait l'objet de l'opération de transport, était recevable et qu'elle n'était pas soumise aux dispositions des articles L. 5422-13 à L. 5422-26 du code des transports.
10. Le moyen n'est pas fondé.
Et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
11. Les sociétés Bolloré et Generali font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la société Norsilk à leur encontre, alors « qu'il résulte de l'article L. 5422-25 du code des transports que "toutes actions contre l'entrepreneur de manutention" sont prescrites par un an ; que l'entrepreneur de manutention est fondé à opposer ce délai de prescription aussi bien à son cocontractant qu'aux tiers qui entendraient rechercher sa responsabilité ; que pour déclarer non prescrite l'action intentée par la société Norsilk contre la société Bolloré, la cour d'appel a retenu que la société Norsilk n'est pas soumise au régime juridique de la manutention, et qu'elle peut dès lors se prévaloir du délai de droit commun de cinq ans ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 5422-25 du code des transports par refus d'application et l'article 2224 du code civil par fausse application. »
Réponse de la Cour
12. Ayant constaté que le préjudice allégué par la société Norsilk ne consistait pas en des pertes et dommages aux marchandises objets du contrat de manutention maritime mais résultait de l'effondrement d'un mur ayant endommagé d'autres produits entreposés dans son local, la cour d'appel en a exactement déduit que son action en responsabilité civile extra-contractuelle était soumise au délai de prescription de droit commun de cinq ans et non au délai de prescription d'un an de l'article L. 5422-25 du code des transports.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Bolloré ports France et Generali assurances IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mai deux mille vingt-trois.