LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM13
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 mai 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 214 F-B
Pourvoi n° D 22-21.642
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MAI 2024
M. [I] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 22-21.642 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2022 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fèvre, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [V], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, et l'avis de Mme Henry, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires ; après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fèvre, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Henry, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 23 juin 2022), M. [V] a souscrit 21 prêts immobiliers entre 2001 et 2008 auprès de la société Caisse de crédit agricole mutuel normand, devenue la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie (la banque), pour financer l'acquisition et les travaux de rénovation de plusieurs biens immobiliers à usage locatif, sans adhérer à l'assurance de groupe proposée par le prêteur.
2. Le 29 octobre 2010, un protocole d'accord de rééchelonnement de la totalité des prêts a été conclu entre M. [V] et la banque.
3. Le 27 septembre 2012, M. [V] a été en mis en arrêt de travail à la suite d'une maladie dégénérative.
4. Le 14 décembre 2012, M. [V] a assigné la banque en responsabilité en lui reprochant de ne pas l'avoir mis en garde sur les risques qu'il encourrait à ne pas souscrire une assurance décès, invalidité et incapacité totale de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches
Enoncé du moyen
5. M. [V] fait grief à l'arrêt de rejeter son action en responsabilité à l'encontre de la banque fondée sur le manquement à l'obligation de conseil quant à l'adhésion aux assurances facultatives et de le condamner à payer diverses sommes au titre des prêts, alors :
« 1° / que le banquier prêteur qui propose à son client d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation ; qu'en relevant, pour juger que le manquement de la banque à cette obligation n'était pas établi, que "le devoir d'information du prêteur sur l'étendue de l'assurance suppose que l'emprunteur souscrive à l'assurance groupe proposée par le prêteur", quand le devoir d'éclairer l'emprunteur en matière d'assurance existe dès lors qu'une banque, qui a consenti un prêt à un emprunteur, lui propose d'adhérer à un contrat d'assurance de groupe qu'elle a souscrit, et ne saurait être exclu par l'absence d'adhésion de l'emprunteur qui ne peut prendre cette décision que s'il a été dûment éclairé, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
5°/ qu'il revient au banquier prêteur, tenu d'une obligation d'information, de conseil ou de mise en garde, de prouver qu'il l'a exécutée ; qu'en retenant, pour écarter la responsabilité de la banque, que "le manquement de la CRCAM de Normandie à son obligation d'information et de conseil relative aux conditions d'assurance n'est pas établi", la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 1315, devenu 1353 du code civil, et 1147 du même code, dans sa rédaction applicable à l'espèce.»
Réponse de la Cour
Vu les articles 1315, devenu 1353, et 1147 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
6. Il résulte du second de ces textes que le banquier qui propose à son client, auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise d'une notice claire ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation.
7. Il résulte du premier de ces textes que c'est au débiteur d'une obligation de rapporter la preuve de son exécution.
8. Pour écarter la responsabilité de la banque, l'arrêt énonce que le devoir d'information du prêteur sur l'étendue de l'assurance suppose que l'emprunteur souscrive à l'assurance de groupe qui lui est proposée par le prêteur. Puis, après avoir relevé que les contrats de prêts litigieux contiennent une information sur l'assurance de groupe souscrite par la banque et la possibilité pour l'emprunteur de souscrire une garantie équivalente auprès de l'assureur de son choix, l'arrêt retient que M. [V] a reconnu avoir été informé des clauses et conditions de l'assurance de groupe et a renoncé, en toute connaissance de cause, à y adhérer, et relève que, pour divers prêts, il s'est assuré auprès d'un autre assureur de son choix qui était tenu de l'informer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle pour en déduire que le manquement de la banque à son obligation d'information et de conseil n'est pas établi.
9. En statuant ainsi, alors, d'une part, que la banque, qui avait consenti des prêts assortis de la proposition d'adhérer à un contrat d'assurance de groupe, était tenue, en l'absence d'adhésion de l'emprunteur à cette assurance, de l'éclairer sur les risques d'un défaut d'assurance au regard de sa situation personnelle et, d'autre part, qu'il incombait à la banque de rapporter la preuve qu'elle avait exécuté cette obligation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Le moyen, pris en ses cinq branches, ne critique que les chefs du dispositif rejetant la demande de dommages et intérêts de M. [V] fondée sur le manquement reproché à la banque prêteuse à son obligation de conseil sur la souscription d'assurance et ne comporte aucun grief sur le chef du dispositif condamnant M. [V] à payer diverses sommes à la banque au titre des prêts impayés.
11. Il s'en déduit que la cassation porte uniquement sur le chef du dispositif qui, confirmant le jugement, déboute M. [V] de son action en responsabilité à l'encontre de la banque sur le manquement à son obligation de conseil quant à l'adhésion aux assurances facultatives.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts de M. [V] fondée sur un manquement de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie à son obligation d'information et de conseil quant à la souscription d'une assurance, l'arrêt rendu le 23 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.