LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 3 juillet 2024
Cassation
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 720 F-B
Pourvoi n° B 22-21.916
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 3 JUILLET 2024
Mme [B] [P], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 22-21.916 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2022 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Yves Rocher France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de Me Descorps-Declère, avocat de Mme [P], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Yves Rocher France, après débats en l'audience publique du 4 juin 2024 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Pecqueur, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Thuillier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 28 septembre 2022), la société Soprane, représentée par sa gérante Mme [P], et la société Yves Rocher ont signé un contrat de franchise.
2. La liquidation de la société Soprane a été prononcée par jugement du 13 décembre 2016.
3. Revendiquant le statut de gérant de succursale, Mme [P] a saisi la juridiction prud'homale le 10 avril 2017.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [P] fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne remplit pas les conditions pour bénéficier du statut de gérant de succursale prévues par les articles L. 7321-1 et suivants du code du travail, et de la débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que le gérant personne physique de la société franchisée ayant travaillé au bénéfice exclusif ou quasi-exclusif de son franchiseur peut revendiquer l'application de l'article L. 7321-2 du code du travail dès lors que les conditions posées par ce texte sont cumulativement réunies ; qu'un tel contrat de franchise est par nature conclu intuitu personae ; qu'en jugeant que dès lors que le contrat de franchise a été signé entre la société Yves Rocher et la société Soprane, « si le statut de gérant de succursale peut s'appliquer au responsable légal de la personne morale avec laquelle le fournisseur a conclu le contrat de franchise c'est à la condition que ce responsable légal soit une personne physique et que celle-ci ait eu un rôle prépondérant dans l'exécution de l'activité confiée (intuitu personae) » et que « défaillante dans la preuve qui lui incombe de l'existence de ce lien direct alors que cette preuve était nécessaire puisque le contrat de franchise a été signé avec une personne morale, [B] [P] ne peut qu'être déboutée de toutes ses prétentions et c'est par ce seul motif substitué que le jugement sera confirmé de ce chef », la cour d'appel a violé l'article L. 7321-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société Yves Rocher conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau.
6. Cependant, Mme [P] soutenait devant les juges du fond qu'il lui incombait de démontrer qu'elle remplissait personnellement les conditions de l'article L. 7321-2 du code du travail, dans la mesure où le statut de gérant de succursale est applicable, quelles que soient les énonciations du contrat, dès lors que ces conditions sont réunies.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 7321-2 du code du travail :
8. Selon ce texte, est gérant de succursale toute personne :
1° Chargée, par le chef d'entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;
2° Dont la profession consiste essentiellement :
a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agrée par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise.
9. Il en résulte que, dès lors que les conditions sus-énoncées sont réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du code du travail sont applicables.
10. Pour débouter Mme [P] de sa demande, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 7321-2 du code du travail ne sont pas applicables à une personne morale. Il ajoute que, si le statut de gérant de succursale peut s'appliquer au responsable légal de la personne morale avec laquelle le fournisseur a conclu le contrat de franchise, c'est à la condition que ce responsable légal soit une personne physique et que celle-ci ait eu un rôle prépondérant dans l'exécution de l'activité confiée.
11. La cour d'appel en a déduit que, défaillante dans la preuve qui lui incombait de l'existence d'un lien direct avec la société Yves Rocher, alors que cette preuve était nécessaire puisque le contrat de franchise avait été signé avec une personne morale, Mme [P] ne pouvait qu'être déboutée de toutes ses prétentions.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Yves Rocher aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Yves Rocher et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille vingt-quatre.