LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 septembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 481 F-D
Pourvoi n° B 23-13.985
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 SEPTEMBRE 2024
1°/ La directrice générale des douanes et droits indirects, domiciliée [Adresse 1],
2°/ la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° B 23-13.985 contre l'arrêt rendu le 6 février 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 10), dans le litige les opposant à la société Famille Michaud apiculteurs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la directrice générale des douanes et droits indirects et de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Famille Michaud apiculteurs, après débats en l'audience publique du 18 juin 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 février 2023), la société Famille Michaud apiculteurs (la société FMA) importe des lots de miel en provenance de Chine qu'elle déclare sous la position 04 9000 00 00 « miel naturel ».
2. Le 30 janvier 2014, l'administration des douanes a initié un contrôle a posteriori des opérations d'importations de la société FMA puis lui a, le 31 juillet 2018, notifié un avis de résultat d'enquête, retenant que les marchandises importées devaient l'être sous la position 1702 95 00 « succédané de miel », puis un procès-verbal de notification d'infractions.
3. Après rejet de ses contestations, l'administration des douanes a notifié à la société FMA un avis de mise en recouvrement (AMR).
4. La société FMA a assigné l'administration des douanes afin de voir prononcer la nullité de l'AMR et la décharge des droits.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. L'administration des douanes fait grief à l'arrêt d'annuler l'AMR émis le 6 novembre 2018 à l'encontre de la société FMA et de dire qu'il appartiendrait à l'administration des douanes de procéder à la notification du dégrèvement total des droits de douane et taxes mis en recouvrement par l'AMR du 6 novembre 2018, alors « qu'en relevant, pour considérer que les droits de la défense de la société FMA et le principe du contradictoire n'avaient pas été respectés, qu'en l'absence de communication par l'administration des douanes des rapports d'expertise de la société Eurofins contenant une description précise des opérations d'analyse réalisées par cette société, la société FMA n'aurait pas été en mesure d'effectuer les vérifications nécessaires des résultats obtenus par la société Eurofins et de présenter une défense étayée sur des éléments techniques et scientifiques concrets, sans rechercher si la société FMA, qui avait effectué en novembre 2013 un audit de la méthode Profiling RMN 1H" appliquée par la société Eurofins sur des échantillons de miel qu'elle lui avait confiés en octobre 2013, à la suite duquel la société FMA avait pu discuter contradictoirement avec la société Eurofins de la fiabilité de cette méthode et avait continué, malgré l'émission de réserves, à lui confier des échantillons de miel jusqu'en octobre 2014, afin qu'elle détecte d'éventuelles adultérations par le biais de la technique Profiling RMN 1H", n'avait pas eu connaissance, lors de l'enquête douanière, de la méthodologie appliquée par la société Eurofins en 2014 sur les échantillons de miel prélevés par les services douaniers et n'avait pas, ainsi, été mise en mesure de contester utilement cette méthodologie avant que ne lui soient notifiées les infractions douanières litigieuses le 25 octobre 2018, ce dont il résultait que la communication à la société FMA des rapports d'expertise de la société Eurofins contenant une description précise des opérations d'analyse réalisées par cette société, s'avérait superflue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 67 A du code des douanes et du principe du respect des droits de la défense. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La société FMA conteste la recevabilité du moyen. Elle fait valoir que l'administration des douanes n'a pas soutenu devant la cour d'appel qu'aucun grief n'aurait été subi par la société FMA du fait de l'absence de
communication des rapports d'analyse d'Eurofins.
7. Cependant, l'administration des douanes ayant soutenu dans ses conclusions d'appel que la société FMA avait eu connaissance des arguments et des documents sur lesquels elle entendait fonder sa décision et que cette société avait pu formuler dix pages d'observations en réponse à l'avis de résultat d'enquête, contestant en particulier le choix de la méthode de résonnance magnétique nucléaire utilisée par le laboratoire Eurofins, il en résulte que l'administration des douanes entendait démontrer que l'absence de communication des rapports d'analyse n'avait pas empêché la société FMA de présenter sa défense.
8. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 22, paragraphe 6 et 29 du règlement (UE) n° 952/2013 du 9 octobre 2013 établissant le code des douanes de l'Union, 67 A et 67 quinquiès A du code des douanes :
9. Selon le premier de ces textes, avant de prendre une décision susceptible d'avoir des conséquences défavorables pour le demandeur, les autorités douanières informent ce dernier des motifs sur lesquels elles comptent fonder leur décision, lequel a la possibilité d'exprimer son point de vue dans un délai déterminé à compter de la date à laquelle il reçoit ou à laquelle il est réputé avoir reçu cette communication desdits motifs.
10. Il résulte du dernier que l'administration des douanes peut recourir à toute personne qualifiée pour effectuer des expertises techniques nécessaires à l'accomplissement de ses missions et peuvent leur soumettre les objets, échantillons et documents utiles à ces expertises. Le rapport qui contient la description des opérations d'expertise ainsi que leurs conclusions est communiqué à l'administration des douanes et est annexé à la procédure.
11. La Cour de justice de l'Union européenne juge que les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l'administration entend fonder sa décision (arrêt du 3 juillet 2014, C-129/13 et C-130/13 Kamino, point 30) et qu'une violation des droits de la défense n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent (arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C-831/18 P, point 105).
12. Pour annuler l'AMR et décharger la société FMA des droits dus, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions applicables en matière de respect des droits de la défense, retient que l'administration des douanes a communiqué à la société FMA vingt-six rapports d'analyse selon la méthode de profilage par résonnance magnétique nucléaire établis par la société Eurofins le 19 novembre 2014 qui fournissent un résultat brut de conformité ou de non conformité avec l'indication du résultat de la teneur en divers composants de sucre et la précision que l'analyse a été effectuée selon la « méthode interne, RMN 1H haute résolution » mais ne contiennent ni description des opérations d'expertise effectuées ni indication de l'identité et des compétences des personnes qui ont réalisé ces analyses et en ont interprété les résultats ou encore de la nature de la banque de données utilisées, l'origine géographique des échantillons de référence qui la composent et la nature des miels qui y sont intégrés. Il retient encore que les rapports d'analyse produits par l'administration des douanes ne sont pas suffisants pour permettre une vérification ou une contestation motivée par la société FMA, de sorte que l'administration des douanes aurait dû lui remettre des rapports contenant une description précise des opérations d'analyse effectuées par la société Eurofins.
13. L'arrêt ajoute que cette communication était d'autant plus nécessaire que la société Eurofins ne disposait d'aucune accréditation par le Comité français d'accréditation pour l'analyse du miel par la méthode « RMN 1H haute résolution », que l'application de la technique du profilage par RMN au miel était seulement en phase d'amorçage et de développement et ne faisait pas l'objet d'une reconnaissance scientifique, et que les résultats obtenus par la société Eurofins étaient en contradiction non seulement avec les analyses effectuées sur les mêmes lots de miel par le laboratoire Intertek à la demande de la société FMA sur la base de la méthode isotopique combinant la méthode EA-IRMS détectant les sucres C4 et la méthode LC IRMS détectant les sucres C3, mais également avec les analyses effectuées par un laboratoire de [Localité 4] sur la base de la méthode fondée sur le taux de turanose.
14. L'arrêt relève encore qu'un contentieux existait entre la société FMA et la société Eurofins portant précisément sur la fiabilité de la méthode RMN développée par cette dernière.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, comme le soutenait l'administration des douanes, la société FMA n'avait pas eu connaissance, avant la notification de l'avis de résultat d'enquête ou du procès-verbal de notification d'infractions, de la méthodologie utilisée par la société Eurofins, de sorte qu'elle était en mesure de présenter valablement des observations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Famille Michaud apiculteurs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Famille Michaud apiculteurs et la condamne à payer à la directrice générale des douanes et droits indirects et à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit septembre deux mille vingt-quatre.