LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 novembre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 615 F-D
Pourvoi n° A 23-13.524
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 NOVEMBRE 2024
1°/ M. [M] [G],
2°/ Mme [T] [B], épouse [G],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° A 23-13.524 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige les opposant :
1°/ au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [Adresse 4], agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques,
2°/ au directeur général des finances publiques, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. et Mme [G], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques et du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 17 septembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 janvier 2023), M. et Mme [G], respectivement actionnaire principal et gérante de la société Opération de patrimoine immobilier (la société Opim), ont entendu bénéficier, concernant les actions qu'ils détiennent dans cette société, d'une exonération au titre des biens professionnels.
2. Les 3 décembre 2015 et 6 avril 2016, l'administration fiscale a notifié à M. et Mme [G] plusieurs propositions de rectification au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre des années 2009 à 2014, estimant que les parts sociales de la société Opim ne pouvaient être considérées comme des biens professionnels, celle-ci exerçant une activité de gestion de son propre patrimoine et non de marchand de biens.
3. Après rejet de leurs réclamations, M. et Mme [G] ont assigné l'administration fiscale afin de voir prononcer le dégrèvement des droits et pénalités.
Examen des moyens
Sur les troisième et quatrième branches du premier moyen et sur le second moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen pris en ses première, deuxième, cinquième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
5. M. et Mme [G] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ qu'une activité d'achat d'immeubles en vue de les revendre doit être qualifiée d'activité de marchand de biens à la condition qu'elle se caractérise par une intention spéculative et un caractère habituel ; que la condition d'habitude s'apprécie en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence, non pas année par année, mais sur une période suffisamment étendue pour appréhender fidèlement les conditions concrètes d'exercice de l'activité d'achat et de revente d'immeubles ; que M. et Mme [G] faisaient valoir, sans être contredits, que la société Opim avait, depuis 1991, directement réalisé 155 opérations d'achat-revente d'immeubles et 71 par l'intermédiaire de ses filiales ; qu'ils ajoutaient qu'en décembre 2014, la SNC Opim-Cantini, dont la société Opim était actionnaire à hauteur de 49 %, avait vendu une partie d'un immeuble de bureaux situé à [Localité 3], et que la SNC Gemar, dont la société Opim était directement et indirectement actionnaire à hauteur de 50 %, avait réalisé 3 achats et 6 ventes en 2010, 4 ventes en 2011, 2 ventes et un achat en 2012, 6 ventes en 2013, 2 ventes en 2014 et une vente en 2016 ; que pour juger que la société Opim ne procédait plus à des opérations de marchand de biens depuis de nombreuses années, la cour d'appel a énoncé que le nombre des ventes intervenues entre 2009 et 2014 était faible au regard de l'ampleur du patrimoine immobilier détenu, et a écarté le moyen tiré de ce que la baisse du nombre d'opérations de reventes sur les années litigieuses s'expliquait par la crise financière et immobilière ayant éclaté en 2008 ; qu'en statuant ainsi, sans examiner, comme elle y était invitée, si, nonobstant la baisse de l'activité d'achat-revente d'immeuble pouvant être constatée au cours des années en litige, la société Opim et ses filiales n'avaient pas, sur une période de temps plus longue, réalisé un grand nombre d'opérations d'achat et de revente d'immeubles et s'il n'en résultait pas que la qualification de marchand de biens ne pouvait être refusée à la société Opim, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 885 O bis, 885 O quater du code général des impôts ;
2°/ qu'une activité d'achat d'immeubles en vue de les revendre doit être qualifiée d'activité de marchand de biens à la condition qu'elle se caractérise par une intention spéculative et un caractère habituel ; qu'en outre, l'engagement de revente de l'immeuble dans un délai de quatre ans, auquel est subordonné le bénéfice du régime d'exonération des droits et taxes de mutation prévu à l'article 1115 du code général des impôts en faveur des marchands de biens, constitue une faculté purement discrétionnaire dont l'exercice relève de la stratégie fiscale du marchand de biens, de sorte que l'absence de souscription d'un engagement de revente ne saurait révéler par elle-même l'absence d'intention spéculative ; que pour juger que les ventes d'immeubles réalisées entre 2009 et 2014 par la société Opim n'étaient guidées par aucune intention spéculative, la cour d'appel a énoncé, tout d'abord, qu'aucun des biens vendus n'avait donné lieu, au moment de leur acquisition, à un engagement de revente à bref délai et ne bénéficiait donc du régime fiscal de faveur prévu pour les marchands de biens, puis que l'immeuble acquis par la société Opim dans le cadre d'un crédit-bail et mis en location n'avait pas davantage été placé sous le régime fiscal de faveur des marchands de biens ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a violé les articles 885 O bis, 885 O quater et 1115 du code général des impôts ;
5°/ que M. et Mme [G] faisaient valoir que le crédit-bail immobilier est une opération de crédit s'analysant comme une modalité d'acquisition d'un bien immobilier, et que l'immeuble faisant l'objet d'un crédit-bail entre dans le patrimoine du crédit-preneur à la date de la levée de l'option d'achat, de sorte que c'est à cette date qu'il convient d'apprécier l'intention spéculative aux fins de caractériser une activité de marchands de biens ; qu'ils ajoutaient qu'en 2008, la société Opim était crédit-preneuse dans le cadre de plusieurs contrats de crédit-bail, qu'elle acquittait les loyers afférents qui étaient financés par la sous-location des immeubles pris en crédit-bail, que, en 2008, le montant des loyers de sous-location représentait 1 231 163 euros sur un total de 2 383 391 euros de recettes foncières et qu'en 2009, le montant des loyers de sous-location représentait 1 392 454 euros sur un total de 2 429 522 euros de recettes foncières ; qu'ils en déduisaient que les revenus de sous-location concouraient à l'acquisition de biens immobiliers dans le cadre de l'activité de marchand de biens de la société Opim et ne relevaient pas d'une activité de pure gestion patrimoniale ; que la cour d'appel a jugé, par motifs propres et adoptés, qu'en l'absence d'éléments sur la revente des immeubles pris en crédit-bail, l'intention spéculative n'était pas établie et que ces opérations relevaient de la gestion d'un patrimoine privé ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'appréciation de l'intention spéculative était prématurée en l'absence de levée de l'option d'achat au cours des années litigieuses (2009 et 2010) et que les opérations de crédit-bail permettaient à la société Opim d'acquérir des immeubles en vue d'un revente future, de sorte que ces opérations relevaient de l'activité de marchand de biens, la cour d'appel a violé les articles 885 O bis, 885 O quater du code général des impôts ;
6°/ que pour juger que la société Opim n'exerçait pas d'activité de marchand de biens, la cour d'appel a jugé que, par une décision de gestion qui lui était opposable, la société avait comptablement inscrit les immeubles qu'elle détenait en immobilisations et non en stocks, et que la revente intervenue en 2008 avait été comptabilisée en produits exceptionnels et non en ventes de marchandises en stocks ; qu'en se déterminant ainsi, cependant que l'intention spéculative caractérisant une activité de marchand de biens doit être appréciée en considération des activités réelles de la société et non des seules écritures comptables, la cour d'appel a violé les articles 885 O bis, 885 O quater du code général des impôts ;
7°/ que le juge d'appel ne peut accueillir ou rejeter les demandes dont il est saisi sans examiner les nouvelles pièces qui lui sont soumises par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, M.et Mme [G] ont produit devant la cour d'appel les extraits des comptes de résultat de la société Opim des exercices 2011 et 2016, dont il ressortait que Mme [G] avait perçu des rémunérations au titre de chacune de ces années en qualité de gérante de la société, et qui établissaient que l'absence de rémunération pour les années 2009 et 2010 ne s'expliquait que par les difficultés financières passagères rencontrées par la société Opim ; qu'en s'abstenant d'examiner ces pièces, la cour d'appel, à supposer qu'elle ait adopté les motifs du jugement selon lesquels M. et Mme [G] ne produisaient aucun document établissant le versement de rémunérations à Mme [G] en sa qualité de gérante, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 885 O quater du code général des impôts, ne sont pas considérées comme des biens professionnels les parts ou actions de sociétés ayant pour activité principale la gestion de leur propre patrimoine immobilier.
7. Il résulte du I de l'article 35 du code général des impôts qu'une activité de marchand de biens est subordonnée à la double condition que les opérations immobilières réalisées procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel. Pour les sociétés exerçant cette activité, les immeubles affectés à ce négoce ne constituent pas comptablement des éléments de l'actif immobilisé mais des stocks.
8. Après avoir relevé, d'une part, qu'entre 2009 et 2014, la société Opim avait réalisé peu de ventes au regard du patrimoine immobilier qu'elle détenait et que l'activité de location d'immeubles nus était prépondérante par rapport à celle de vente d'immeubles, d'autre part, qu'elle avait comptabilisé, d'un côté, les immeubles dont elle était propriétaire en immobilisations et non en stock, de l'autre, les ventes qu'elle avait réalisées en produits exceptionnels sur opérations en capital et non en ventes de marchandises en stock, l'arrêt retient que les documents comptables produits par M. et Mme [G] ne sont pas de nature à remettre en cause la démonstration de l'administration fiscale combattant la présomption de l'article 35 du code général des impôts dès lors qu'ils se rapportent, soit à des opérations de crédit-bail pour lesquelles aucune intention de revendre n'était démontrée, excluant ainsi toute intention spéculative, soit à un compte de résultat montrant l'existence de produits exceptionnels sur opérations en capital.
9. De ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel a pu déduire que la société Opim, qui n'exerçait pas une activité de marchand de biens, avait pour activité principale la gestion de son patrimoine immobilier, ce dont il résultait que ses parts sociales ne pouvaient être qualifiées de biens professionnels.
10. Le moyen, inopérant en ses deuxième et septième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [G] et les condamne à payer au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques et au directeur général des finances publiques la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Labat, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.