LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 766 F-D
Pourvoi n° M 23-11.464
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
M. [N] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 23-11.464 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2022 par la cour d'appel de Papeete (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Banque de Polynésie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [Z], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Banque de Polynésie, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 décembre 2022), les 20 août 2015 et 8 août 2017, M. [Z] s'est rendu caution des engagements de la société Inova (la société) envers la société Banque de Polynésie (la banque) respectivement au titre d'un prêt et d'une convention de trésorerie consentis par la banque à la société.
2. La société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné en paiement la caution, qui a invoqué la nullité de ses engagements pour non-respect des mentions manuscrites prévues à l'article LP. 55 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 relative à la protection des consommateurs.
Examen du moyen
Sur le moyen, en ce qu'il concerne le cautionnement du 20 août 2015
Enoncé du moyen
3. M. [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à ce que soit annulé le cautionnement du 20 août 2015 garantissant le prêt n° 243.664 accordé à la société Inova et de le condamner à payer à la Banque de Polynésie la somme de 498 015 F CFP avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 mars 2019, alors :
« 1°/ que l'article LP 1er de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 définit la notion de consommateur, non le champ d'application ratione personae de cette loi ; qu'en considérant que la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 aurait écarté de son champ d'application les cautionnements donnés par une personne physique agissant dans l'exercice de sa profession, parce qu'aux termes de l'article LP. 1er est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle, la cour d'appel a violé l'article LP. 1er de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 ;
2°/ que si un créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution, y compris s'il s'agit de l'associé gérant de la personne morale débitrice principale, doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature d'une mention manuscrite précise ; qu'en rejetant les moyens d'annulation des actes de cautionnement litigieux au prétexte que la caution, M. [Z], personne physique, était l'associé unique et gérant de la société Inova au bénéfice de laquelle il avait souscrit les cautionnements litigieux, la cour d'appel a violé l'article LP. 55 de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 ;
3°/ que pour les contrats en cours, les dispositions de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 s'appliquent au premier jour du douzième mois suivant sa promulgation; qu'en considérant, par motifs supposés adoptés, que la loi du pays du 11 août 2016 ne saurait régir les engagements de caution signés le 20 août 2015 puis le 8 août 2017, car cette loi entrait en vigueur 12 mois après le 11 août 2016 soit postérieurement à la signature des deux actes en cause, la cour d'appel a violé l'article LP. 74 de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article LP. 74 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 relative à la protection des consommateurs, sauf pour les contrats en cours, les dispositions de cette loi entrent en vigueur au premier jour du sixième mois suivant sa promulgation.
5. L'article LP. 55 de ladite loi régit les conditions de formation du contrat de cautionnement, de sorte que la validité d'un tel acte s'apprécie à la date de sa conclusion.
6. Les conditions de formation du contrat de cautionnement s'appréciant au regard du texte applicable à la date de sa conclusion, il s'ensuit que ce dernier texte, qui subordonne la validité de l'acte à l'apposition d'une mention manuscrite dont il définit le contenu, ne s'applique qu'aux cautionnements souscrits à compter de sa date d'entrée en vigueur.
7. Le cautionnement souscrit le 20 août 2015 l'ayant été antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du Pays, les dispositions de son article LP. 55 ne sont pas applicables à ce cautionnement.
8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.
Mais sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, en ce qu'il concerne le cautionnement du 8 août 2017
Enoncé du moyen
9. M. [Z] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à ce que soit annulé le cautionnement du 8 août 2017 garantissant la convention de trésorerie courante du même jour accordée à la société Inova et de le condamner à payer à la Banque de Polynésie la somme de 4 524 765 F CFP arrêtée au 19 mars 2019, avec intérêts au taux légal, au titre de la convention de trésorerie, alors :
« 1°/ que l'article LP 1er de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 définit la notion de consommateur, non le champ d'application ratione personae de cette loi ; qu'en considérant que la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 aurait écarté de son champ d'application les cautionnements donnés par une personne physique agissant dans l'exercice de sa profession, parce qu'aux termes de l'article LP 1er est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle, la cour d'appel a violé l'article LP 1er de la loi du pays n° 2016-28 du 11 août 2016 ;
2°/ que si un créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution, y compris s'il s'agit de l'associé gérant de la personne morale débitrice principale, doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature d'une mention manuscrite précise ; qu'en rejetant les moyens d'annulation des actes de cautionnement litigieux au prétexte que la caution, M. [Z], personne physique, était l'associé unique et gérant de la société Inova au bénéfice de laquelle il avait souscrit les cautionnements litigieux, la cour d'appel a violé l'article LP 55 de la loi n° 2016-28 du 11 août 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article LP. 55 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 relative à la protection des consommateurs :
10. Aux termes de ce texte, lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante : « En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2021 du code civil tel qu'applicable en Polynésie française et en m'obligeant solidairement avec X?, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X? ».
11. Ce texte est applicable au cautionnement conclu par M. [Z] le 8 août 2017, soit postérieurement au sixième mois suivant la date de promulgation de ladite loi.
12. Pour condamner M. [Z] au titre de son engagement de caution du 8 août 2017, après avoir relevé que la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 écarte de son champ d'application les cautionnements donnés par une personne physique en garantie de la créance d'un établissement de crédit lorsque la caution a agi dans l'exercice d'une profession, dès lors qu'aux termes de son article LP. 1er, est considéré comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle, l'arrêt retient que le cautionnement souscrit par M. [Z] le 8 août 2017 l'a été au bénéfice de la société Inova dont il était l'associé unique et le gérant, que l'objet du prêt était de financer des travaux d'aménagement d'un local de cuisine pédagogique et que l'objet de l'ouverture de crédit était d'assurer la trésorerie de cette entreprise. L'arrêt en déduit que le moyen d'annulation de ce cautionnement fondé sur le non-respect de l'article LP. 55 de la loi du Pays, quelle que soit la date d'applicabilité de celle-ci aux contrats en cours, doit être rejeté.
13. En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article LP. 55 de la loi du Pays bénéficient à toute caution, personne physique, peu important que le cautionnement soit commercial ou ait été conclu pour les besoins de l'activité professionnelle de la caution ou que la caution ait été gérant ou associé de la société cautionnée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande M. [Z] d'annulation du cautionnement du 8 août 2017 fondée sur la violation de l'article LP. 55 de la loi du Pays n° 2016-28 du 11 août 2016 relative à la protection des consommateurs et le condamne à payer à la société Banque de Polynésie la somme de 4 524 765 F CFP, arrêtée provisoirement au 19 mars 2019, avec intérêts au taux légal, en qualité de caution personnelle et solidaire de la société Inova, au titre de la convention de trésorerie courante du 8 août 2017, l'arrêt rendu le 8 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne la société Banque de Polynésie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.