LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 décembre 2024
Rejet
M. PONSOT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 782 F-D
Pourvoi n° C 23-14.170
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
La société Le Nickel, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 23-14.170 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Nouméa (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Wilan, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Lacaussade, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Le Nickel, de la SCP Lesourd, avocat de la société Wilan, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Lacaussade, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 15 décembre 2022), par un contrat du 13 mai 2014, la société Le Nickel-SLN (société SLN) a confié à la Snc Wilan TP la réalisation de travaux pour une durée de sept ans.
2. Aux termes de l'article 17 du contrat, le fournisseur s'est engagé à ne transférer, céder ou sous-traiter à un tiers, tout ou partie des prestations ainsi que les droits et obligations y afférents, qu'avec l'accord préalable et écrit du client.
3. Le 5 décembre 2018, reprochant à son cocontractant d'avoir orchestré, le 6 septembre 2018, des entraves à la circulation à l'entrée de son usine, la société SLN a notifié à la société Wilan TP la résiliation du contrat à compter du 5 janvier 2019.
4. La Sarl Wilan, indiquant venir aux droits de la Snc Wilan TP à la suite d'une transmission universelle de patrimoine, a contesté la résiliation du contrat et demandé la réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société SLN fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la Sarl Wilan, alors :
« 1°/ que les juges du fond doivent répondre à toutes les conclusions des parties ; qu'en ayant jugé que la transmission universelle de patrimoine entre les Snc Wilan TP et Sarl Wilan était établie par les extraits Kbis de chacune de ces sociétés, joints au procès-verbal de l'associé unique du 30 juin 2016, quand la société SLN avait fait valoir dans ses conclusions les incohérences de ces documents, qui les rendaient parfaitement impropres à justifier de ce que la Sarl Wilan était venue aux droits de la Snc Wilan TP par transmission universelle de patrimoine : selon l'extrait Kbis du 20 mai 2019, la Snc Wilan TP avait, au jour de sa radiation, deux associés qui n'étaient pas la Sarl Wilan (les sociétés Gw Invest et Odet), en sorte que l'on ne voyait pas comment le patrimoine de la Snc Wilan TP avait pu brutalement se retrouver réuni en une seule main ; l'extrait Kbis de la Sarl Wilan mentionnait clairement qu'il s'agissait d'une création de société et non de la reprise de l'activité de la Snc Wilan TP existant depuis 2001 ; le procès-verbal de l'associé unique du 30 juin 2016 stipulait que la Sarl Wilan était propriétaire des 1960 parts de la Snc Wilan TP, ce qui signifiait que la Sarl Wilan aurait été créée le même jour que le procès-verbal, alors même que celui-ci ne comporte aucune mention de renvoi à une société en formation (la Sarl Wilan n'a été immatriculée que le 20 octobre 2016), censée détenir toutes les parts de la Snc Wilan TP ; ce procès-verbal précise aussi que la Sarl Wilan, associée unique, prononce la dissolution anticipée de la Snc Wilan TP à compter du 30 juin 2016, alors même qu'à cette date elle avait deux associés qui auraient dû acter la transformation de la Snc Wilan TP ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions opérantes de la société SLN, la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes des contrats ; qu'en ayant jugé que la clause d'agrément en cas de cession, figurant à l'article 17 de la convention du 13 mai 2014 ne caractérisait pas le fait que le contrat avait été conclu en la personne de la Snc Wilan TP, la cour d'appel l'a dénaturée, en violation du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°/ que la transmission universelle du patrimoine d'une société n'emporte pas celle d'un contrat conclu intuitu personæ ; qu'en ayant jugé que l'article 17 de la convention du 13 mai 2014 n'emportait aucun intuitu personæ, en sorte que ce contrat aurait été transféré à la Sarl Wilan, prétexte pris de ce qu'un tel intuitu personæ ne pourrait résulter que de la personne du gérant de la Snc Wilan TP (laquelle n'avait pas de savoir-faire particulier), qui était devenu gérant de la Sarl Wilan, la cour d'appel, qui a appuyé sa décision sur des motifs inopérants, a privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 236-1 et L. 236-3 du code de commerce et 1844-5 du code civil, dans leurs versions applicables en Nouvelle-Calédonie. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, après avoir relevé, d'une part, que, selon le procès-verbal des décisions de l'associé unique de la Snc Wilan TP du 30 juin 2016, la dissolution anticipée de la société avait été prononcée à compter du même jour avec transmission universelle de son patrimoine à son associée unique, la Sarl Wilan, d'autre part, qu'il en avait été fait mention sur l'extrait Kbis de la Snc Wilan TP, le 12 décembre 2016 avec effet au 30 juin 2016, l'arrêt retient que ce procès-verbal, enregistré le 29 août 2016, avait date certaine. L'arrêt ajoute que la publication de la dissolution et la radiation de la Snc Wilan TP, intervenue le 20 février 2017 avec effet au 30 juin 2016, étaient également mentionnées sur cet extrait Kbis. Ayant déduit de ces constatations, procédant de l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des preuves soumises aux débats que, sauf à douter du contrôle effectué par le service en charge du registre des sociétés, la transmission universelle du patrimoine de la Snc Wilan TP à la Sarl Wilan était établie, la cour d'appel, qui, ce faisant, a considéré que ces pièces étaient suffisantes et non contredites, a répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées invoquées par la première branche.
7. En second lieu, c'est par une interprétation souveraine de la commune intention des parties, exclusive de dénaturation, que la cour d'appel a retenu qu'il ne résultait pas de l'article 17 du contrat que celui-ci avait été conclu en considération de la personne de la Snc Wilan TP, entreprise de terrassement sans savoir-faire spécifique et dont le dirigeant se trouvait être le même que celui de la Sarl Wilan, de sorte que le contrat conclu avec la Snc Wilan TP avait été transféré à la Sarl Wilan par l'effet de la transmission universelle de son patrimoine à cette dernière, rendant son action recevable.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. La société SLN fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme à la Sarl Wilan en réparation de son préjudice, alors « que la résiliation unilatérale du contrat est ouverte à une partie dans l'hypothèse de manquement suffisamment grave de l'autre ; qu'en ayant jugé que le manquement grave, consistant dans le comportement déloyal de M. [W] qui avait participé au blocage de l'usine de la société SLN, ne justifiait pas la résiliation du contrat, car celle-ci n'avait été notifiée que trois mois après les faits, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, dans sa version applicable en Nouvelle-Calédonie. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir relevé, d'une part, que le gérant de la Sarl Wilan avait participé, le 6 septembre 2018, à un blocage de l'usine exploitée par la société SLN, organisé pour soutenir celui de l'accès à la mine qu'exploitait cette même société et sur laquelle la Sarl Wilan avait vocation à intervenir, d'autre part, que la rupture unilatérale du contrat, à effet au 5 janvier 2019, avait été notifiée par la société SLN à la société Wilan, le 5 décembre 2018, soit trois mois après ledit blocage, la cour d'appel a pu retenir que, si le comportement du dirigeant de la Sarl Wilan traduisait un manquement à son devoir de loyauté envers son cocontractant, la passivité de ce dernier dans la notification de la rupture contredisait l'idée que ce comportement aurait été d'une gravité telle que la poursuite de la relation contractuelle était impossible, et en a exactement déduit que la résiliation unilatérale dont la société SLN avait pris l'initiative était fautive.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Le Nickel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Nickel et la condamne à payer à la société Wilan la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.