LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 mars 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 259 FS-B
Pourvois n°
K 23-22.756
N 23-22.758
A 23-22.770
B 23-22.771
C 23-22.772
D 23-22.773
D 23-23.049
E 23-23.050 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MARS 2025
1°/ M. [C] [H], domicilié [Adresse 1],
2°/ Mme [N] [I], domiciliée [Adresse 2],
3°/ Mme [P] [Y], épouse [L], domiciliée [Adresse 5],
4°/ M. [O] [G], domicilié [Adresse 7],
5°/ M. [K] [T], domicilié [Adresse 3],
6°/ M. [X] [A], domicilié [Adresse 6],
7°/ Mme [E] [V], domiciliée [Adresse 4],
8°/ Mme [J] [B], domiciliée [Adresse 8],
ont formé respectivement les pourvois n° K 23-22.756, N 23-22.758, A 23-22.770, B 23-22.771, C 23-22.772, D 23-22.773, D 23-23.049 et E 23-23.050 contre huit arrêts rendus le 29 septembre 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-7), dans les litiges les opposant à la société Laboratoires Arkopharma, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 9], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens communs de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [H] et des sept autres salariés, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Laboratoires Arkopharma, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Barincou, Seguy, Mmes Douxami, Panetta, Brinet, conseillers, M. Carillon, Mme Maitral, M. Redon, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° K 23-22.756, N 23-22.758, A 23-22.770, B 23-22.771, C 23-22.772, D 23-22.773, D 23-23.049 et E 23-23.050 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 29 septembre 2023) et les productions, M. [H] et sept autres salariés ont été engagés en qualité d'attachés commerciaux par la société Laboratoires Arkopharma (la société).
3. La société, envisageant une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, a proposé aux salariés, en février 2016, une modification de leur contrat de travail portant sur la répartition géographique et leur rémunération, qu'ils ont refusée.
4. Par décision du 19 septembre 2016, devenue définitive par jugement d'un tribunal administratif du 24 janvier 2017, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif.
5. Les salariés, licenciés pour motif économique le 18 novembre 2016, ont saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leurs demandes fondées sur la contestation de leur licenciement économique, alors :
« 1°/ que la cause économique d'un licenciement s'apprécie à la date du licenciement ; qu'en l'espèce la cour d'appel, pour juger établie l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité des compléments alimentaires et produits phytosanitaires du groupe Arkopharma, produits à hauteur de 49 % par la société Laboratoires Arkopharma, a retenu que ''la société justifie de cette dégradation par la production d'un extrait d'une étude de données IMS-Health-Panel Pharmatrend parue en décembre 2014 laquelle démontre que les parts de marché d'Arkopharma sont passées de 28,1 % en 2002 à 13,3 % en 2014", que ''certains [concurrents] comme Pileje, Nutergia, Omega Pharma ou Cooper enregistrant sur la période 2010-2014 une croissance de leurs ventes à deux chiffres contrairement à Arkopharma [...]'' ou encore que la société démontrait ''une sous-performance d'activité sur ses marchés phares en 2014'' ; qu'elle en a déduit que ''ces éléments notamment étayés par des données IMS-Health non contredites démontrent que les causes de la perte de compétitivité de la société étaient réelles et constatées sur plusieurs années, peu important dès lors que le secteur d'activité en lui-même ait été alors en croissance globale de l'ordre de 3 à 5 % par an, que le groupe ait gardé sa position de leader sur le secteur, que son chiffre d'affaires ait été en augmentation de près de 2 % en 2015, sa rentabilité brute d'exploitation (taux d'EBE) en hausse de 4,2 points au cours du même exercice, sa rentabilité d'exploitation en augmentation de 8,3 % à 12,9 % ou encore que sa santé financière lui ait permis post réalisation du PSE de refinancer la dette de son LBO, ces indicateurs positifs étant le résultat pour une grande part d'un seul effet « volume » lié à la croissance globale du secteur'' ; qu'en se fondant sur ces motifs insusceptibles de justifier qu'une menace pesait sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient au jour des licenciements, intervenus le 18 novembre 2016, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
2°/ que la cause économique d'un licenciement s'apprécie à la date du licenciement ; qu'en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme l'y invitait les salariés à partir d'éléments étayés non seulement par les déclarations du président de la société Arkopharma, mais également par les résultats de l'expertise diligentée par le Cabinet Explicite, expert désigné par le comité d'entreprise en juillet 2016 et par le comportement de la société employeur, qui avait refusé de produire ses bilans 2016 et 2017, si toute menace sur la compétitivité n'était pas écartée à la date du licenciement, du fait des ''excellents résultats'' d'Arkopharma qui, en 2015, avait affiché une croissance supérieure de 10 % à celle du marché, un gain de parts de marchés en pharmacie en volume et en valeur par rapport à 2014, une rentabilité d'exploitation et une capacité d'autofinancement également en augmentation par rapport à 2014, tous éléments dont résultait une amélioration de la compétitivité d'Arkopharma au moment du licenciement par rapport à l'année 2014, qui lui avait permis de se développer en Europe et à l'international par l'acquisition, en 2016, d'un distributeur portugais, la société Distrifa et par la conclusion en 2017 d'un partenariat avec un réseau de e-commerce en Chine, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
3°/ que si le juge, tenu de contrôler le caractère sérieux du motif économique, ne peut se substituer à l'employeur quant aux choix qu'il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation, il lui appartient cependant de vérifier l'adéquation entre la situation économique et les mesures affectant l'emploi ou le contrat de travail envisagées par l'employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour débouter de leur demande les salariés licenciés après avoir refusé une modification de leur contrat de travail, que ''s'il appartient au juge d'apprécier le bien-fondé des éléments mentionnés par l'employeur au soutien du motif économique allégué, il ne peut se substituer à ce dernier quant au choix qu'il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation de l'entreprise. Il ne lui appartient pas davantage d'arbitrer entre les différentes possibilités de réorganisation. Par suite, le moyen selon lequel les propositions de modifications de leurs contrats de travail faites aux attachés commerciaux ne seraient pas de nature à restaurer la compétitivité de la société est inopérant'' ; qu'en statuant de la sorte quand il lui appartenait de vérifier l'adéquation entre la menace pesant sur la compétitivité de l'entreprise liée, en l'absence de toute dégradation de sa situation économique interne, ''à un affaiblissement de positionnement sur son marché principal'', et une réorganisation par modification de la rémunération variable de ses attachés commerciaux, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction, applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qu'une réorganisation de l'entreprise constitue un motif de licenciement si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe dont elle relève, en prévenant des difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi.
8. La cour d'appel a d'abord constaté que la société justifiait d'une baisse significative de ses parts de marché en France métropolitaine s'agissant de la vente de compléments alimentaires et de produits phytosanitaires dans le circuit officinal sur la période courant 2002 à 2016, la production d'un extrait d'une étude de données IMS-Health-Panel Pharmatrend parue en décembre 2014 démontrant que les parts de marché d'Arkopharma étaient passées de 28,1 % en 2002 à 13,3 % en 2014, quand le chiffre d'affaires généré par les ventes au sein du circuit officinal français représentait, en 2016, 49,1 % du chiffre d'affaires du groupe.
9. Elle a ensuite relevé que, sur la même période, la société démontrait que cette dégradation de son positionnement sur le marché français n'avait pu être compensée au niveau du groupe par ses autres filiales européennes, lesquelles avaient enregistré une diminution de leur activité, passant de 100,4 millions d'euros de chiffres d'affaires en 2011 à 89,2 millions d'euros en 2016.
10. Elle a encore retenu que les causes à l'origine de cette perte de compétitivité étaient notamment l'intensification de la concurrence sur le secteur d'activité de la vente de compléments alimentaires et de produits phytosanitaires dans le circuit officinal, passant de quatre principaux concurrents représentant 50 % du marché en 2002 à huit concurrents en 2015, une sous-performance d'activité sur ses marchés phares, dont notamment le segment « stress et sédatifs » pour lequel elle avait enregistré une croissance de 1 % lorsque celle du marché était de 31 %, une absence de lancement de nouveaux produits apparaissant dans le top 10 du marché depuis plusieurs années, et un manque d'adaptation aux évolutions du marché de la pharmacie en France, notamment en termes de stratégie commerciale.
11. De ces constatations et énonciations, elle a pu déduire, sans pouvoir se substituer à l'employeur quant aux choix qu'il effectue dans la mise en oeuvre de la réorganisation, l'existence d'une menace sérieuse pesant sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe auquel appartenait l'entreprise de nature à justifier sa réorganisation pour prévenir des difficultés économiques à venir.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
13. Les salariés font grief aux arrêts de les débouter de leur demande de réparation du préjudice résultant de la suppression par la société de leur véhicule de fonction pendant la durée du congé de reclassement, alors « que la fourniture, par l'employeur, d'un véhicule de fonction dont le salarié conserve l'usage à titre personnel constitue un avantage en nature inclus dans sa rémunération, laquelle ne doit subir aucune diminution pendant la durée du préavis ; que par ailleurs, lorsque la durée du congé de reclassement excède celle du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement ; qu'en conséquence, la suppression du véhicule de fonction avant le terme du congé de reclassement constitue une modification unilatérale de la rémunération du salarié, laquelle lui cause un préjudice au moins égal à la valeur de l'avantage correspondant, dont l'employeur doit réparation sans que le salarié ait à en prouver l'existence ; qu'en l'espèce la cour d'appel, pour débouter les salariés de leur demande de dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du retrait illégitime, par la société Arkopharma, de leur véhicule de fonction pendant la durée du congé de reclassement excédant celle du préavis, a énoncé que : ''Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement. Le salarié ayant restitué le véhicule à la demande de l'employeur à l'issue du préavis sans émettre d'objection ni de réserve, doit néanmoins démontrer au soutien de sa demande indemnitaire l'étendue de son préjudice, et ne pas s'en tenir à une demande forfaitaire. Or le salarié, se bornant à conclure à la confirmation de la décision entreprise alors que le premier juge avait constaté que le montant du préjudice invoqué n'était pas explicité, cependant qu'il y faisait droit, la cour constate l'absence de démonstration du préjudice personnel allégué en cause d'appel, en sorte que le jugement ayant fait droit à la demande est infirmé et [que] la demande est rejetée'' ; qu'en refusant, au motif inopérant de l'insuffisance des preuves, de réparer le préjudice causé au salarié par la suppression d'un élément de rémunération qu'il lui appartenait d'évaluer, la cour d'appel a violé les articles L. 3221-3 et L. 1233-72 du code du travail. »
Réponse de la Cour
14. Aux termes de l'article L. 1233-72 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter. Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement. Le montant de la rémunération qui excède la durée du préavis est égal au montant de l'allocation de conversion mentionnée au 3° de l'article L. 5123-2. Les dispositions des articles L. 5123-4 et L. 5123-5 sont applicables à cette rémunération.
15. Selon l'article R. 1233-32 du même code, pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur, dont le montant est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne précédant la notification du licenciement.
16. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'un salarié se trouve en congé de reclassement, au cours de la période dépassant la durée de son préavis, il ne peut prétendre au maintien des avantages en nature dont il bénéficiait durant le préavis, mais seulement au versement de l'indemnité prévue au 3° de l'article L. 5123-2 du code du travail.
17. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, les arrêts se trouvent légalement justifiés en ce qu'ils déboutent les salariés de leurs demandes au titre de la privation du véhicule de fonction durant le congé de reclassement excédant le préavis.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne MM. [H], [G], [T] et [A], Mmes [I], [Y], épouse [L], [V] et [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.