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17/06/2025 | FRANCE | N°23VE01888

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 17 juin 2025, 23VE01888


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 1er avril 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la rupture de sa période d'essai au sein de la société Blackberry France SAS, ainsi que la décision du 29 septembre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé cette décision sur recours hiérarchique.



Par un jugement n° 2114361 du 29 juin 2023, le tribunal admin

istratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 1er avril 2021 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la rupture de sa période d'essai au sein de la société Blackberry France SAS, ainsi que la décision du 29 septembre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé cette décision sur recours hiérarchique.

Par un jugement n° 2114361 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 août 2023, M. D..., représenté par Me Liger, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler ces décisions ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreur d'appréciation ;

- les décisions attaquées autorisant la société Blackberry France à mettre fin à sa période d'essai sont irrégulières, dès lors que sa période d'essai était terminée à la date d'introduction de la demande d'autorisation du fait de sa reprise anticipée d'activité ;

- sa visite de reprise a eu lieu plus de huit jours calendaires après sa reprise anticipée d'activité du 17 décembre 2020, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4624-31 du code du travail ;

- la rupture de son contrat de travail ne repose pas sur ses compétences professionnelles et est par conséquent abusive.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023, la société Blackberry France SAS, représentée par Me Pélicier Loevenbruck, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. D... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 25 avril 2024, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il s'en réfère à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Liger pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. E... D... a été recruté à compter du 1er octobre 2018 par la société Blackberry France SAS en qualité de cadre commercial. Son contrat à durée indéterminée comportait une période d'essai de quatre mois, renouvelable pour une période de trois mois. Par courrier remis en mains propres le 29 mars 2019, la société Blackberry France SAS a informé M. D... de son souhait de renouveler cette période d'essai pour trois mois. Le 3 avril 2019, celui-ci a fait l'objet d'un accident du travail. Il a repris le travail du 6 au 8 mai 2019, puis a de nouveau été placé en arrêt maladie, qui a été prolongé à plusieurs reprises. Pendant son congé maladie, M. D... est devenu conseiller du salarié. Il a fait l'objet le 18 janvier 2021 d'une visite de reprise qui a reconnu son aptitude à reprendre le travail. Par courrier du 18 janvier 2021 reçu le 21 janvier 2021, la société Blackberry France a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de mettre fin à la période d'essai de M. D.... Par une décision du 1er avril 2021, l'inspecteur du travail par intérim a accordé cette autorisation. Par courrier du 27 mai 2021, reçu le 28 mai 2021, M. D... a formé un recours hiérarchique auprès du ministre chargé du travail. Une décision implicite de rejet est née le 29 septembre 2021. Par décision expresse du 31 décembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a confirmé la décision de l'inspecteur du travail du 1er avril 2021. M. D... relève appel du jugement n° 2114361 du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si M. D... soutient que les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation et insuffisamment pris en compte les éléments qu'il avait portés à leur connaissance, de telles circonstances, qui sont seulement susceptibles d'affecter le bien-fondé du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1221-19 du code du travail : " Le contrat de travail à durée indéterminée peut comporter une période d'essai dont la durée maximale est : (...) 3° Pour les cadres, de quatre mois. ". Aux termes de l'article L. 1221-21 du même code : " La période d'essai peut être renouvelée une fois si l'accord de branche étendu le prévoit. Cet accord fixe les conditions et les durées de renouvellement. / La durée de la période d'essai, renouvellement compris, ne petit pas dépasser (...) 3° Huit mois pour les cadres. ". Aux termes de l'article R. 4624-31 du même code : " Le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail : (...) 3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail (...). Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de prévention et de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise. ".

4. Les dispositions légales qui assurent une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun à certains salariés, en raison du mandat ou des fonctions qu'ils exercent dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs, s'appliquent à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur pendant la période d'essai. Il en est ainsi de l'article L. 1232-14 du code du travail relatif au conseiller du salarié.

5. Il ressort des pièces du dossier que la période d'essai de M. D... devait initialement arriver à son terme le 31 janvier 2019. Toutefois, par courrier remis en mains propres le 29 mars 2019, la société Blackberry France l'a informé de son souhait de renouveler cette période d'essai pour trois mois. Il est constant que, par la suite, cette période d'essai a été suspendue pendant ses congés de maladie ordinaire, courant du 3 avril 2019 au 6 mai 2019, puis à compter du 8 mai 2019. M. D... soutient que la suspension de sa période d'essai a pris fin le 17 décembre 2020, date de sa reprise anticipée d'activité qu'il a notifiée à son employeur par courrier distribué le 21 décembre 2020 et qu'en conséquence, sa période d'essai était terminée à la date de présentation de la demande d'autorisation de licenciement, le 18 janvier 2021. Toutefois, seul l'examen de reprise du travail par le médecin du travail, lorsqu'il est obligatoire, ce qui est le cas en l'espèce, met fin à la suspension du contrat de travail. Cet examen de M. D... étant intervenu le 18 janvier 2021, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que la demande d'autorisation de licenciement est intervenue après la fin de sa période d'essai.

6. En deuxième lieu, M. D... se plaint de ce que sa visite de reprise a eu lieu plus de huit jours calendaires après sa reprise anticipée d'activité du 17 décembre 2020, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4624-31 du code du travail. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant a envoyé à son employeur un courrier postal l'informant de sa reprise anticipée d'activité, qui a été distribué le 21 décembre 2020. Or, à cette date, le siège de l'entreprise était fermé jusqu'au 31 décembre 2020 pour raisons sanitaires, puis période annuelle de RTT, ce que M. D... n'ignorait pas. Entre le 17 décembre et le 22 décembre 2020, M. D... a par ailleurs envoyé plusieurs courriels à ses supérieurs hiérarchiques sans mentionner expressément cette reprise anticipée d'activité, indiquant simplement rester " à l'entière disposition de la société ". Il en résulte que la société Blackberry France SAS n'a été informée de la reprise d'anticipée d'activité du requérant que le 22 décembre 2020. Elle a alors sollicité, par courriel du 24 décembre 2020, l'avancement de la visite de reprise de l'intéressé, ce qui lui a été refusé par l'administration du travail. Ainsi, le non-respect du délai de 8 jours mentionné à l'article R. 4624-31 du code du travail est imputable à M. D..., qui n'a pas informé clairement sa hiérarchie de sa reprise anticipée d'activité. Le moyen doit en conséquence être écarté.

7. En troisième lieu, M. D... soutient que la ministre du travail aurait dû relever le caractère abusif de la rupture de sa période d'essai, la société Blackberry France y ayant mis fin en raison de la modification unilatérale de son contrat de travail découlant de la suppression de son poste et sur le fondement d'une appréciation portée par M. A... B..., alors que son supérieur hiérarchique était M. C.... Toutefois, il n'appartient pas à l'autorité administrative de vérifier si la rupture de la période d'essai présente un caractère abusif, sans que sa décision fasse obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui aurait causés une telle faute. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

8. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier qu'il n'existe pas de différence de poste entre la période antérieure et celle postérieure à l'arrêt de travail du requérant, le poste de " Responsable Comptes Enterprise Senior " étant simplement la traduction française de celui de " Senior Enterprise Account Manager ". M. D... ne démontre pas que la réorganisation de la société Blackberry à laquelle il a été procédé en 2019 aurait entrainé une modification substantielle de ses attributions, alors que l'article 2 de son contrat de travail indiquait expressément que ses attributions pouvaient évoluer et faire l'objet de modifications ou de compléments en fonction du développement de l'activité et des besoins de la société. Par ailleurs, il ressort des courriels des 12 et 13 mars 2019 versés aux débats que le requérant était sous la responsabilité hiérarchique de M. A... B... et qu'en tout état de cause celui-ci a pris l'avis de M. C... en ce qui concerne l'appréciation de ses compétences et l'opportunité de mettre fin à sa période d'essai. Il ressort des courriels échangés en mars 2019 entre M. A... B..., M. C... et la directrice des ressources humaines que M. A... B... et M. C... ont estimé préférable de mettre fin à la période d'essai de M. D... en raison de son insuffisance professionnelle. Si M. D... se prévaut des primes que lui aurait versées la société Blackberry France, il ressort des pièces du dossier qu'une grande partie de ces primes correspondait à une avance versée indépendamment des réalisations effectives en application de l'article 6.2 de son contrat de travail, ainsi qu'à la partie variable de la rémunération afférente à la période de maintien de salaire applicable pendant les 90 premiers jours d'arrêt de travail. Pour le reste des primes versées, elles correspondent à la prime annuelle d'intéressement aux ventes SIP, dont le montant était ajusté en fonction des objectifs réalisés par M. D..., qui n'étaient que de 35 %. Par suite, M. D... ne démontre pas que la décision de mettre fin à sa période d'essai présenterait un caractère abusif et serait en lien avec son mandat.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. D... le versement de la somme que la société Blackberry France SAS demande sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Blackberry France SAS présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D..., à la société Blackberry France SAS, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et à la DRIEETS Île-de-France.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :

Mme Massias, présidente,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juin 2025.

La rapporteure,

C. Pham La présidente,

N. Massias

La greffière,

F. Petit-Galland

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 23VE01888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE01888
Date de la décision : 17/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-03-03 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Modalités de délivrance ou de refus de l'autorisation. - Pouvoirs de l'autorité administrative.


Composition du Tribunal
Président : Mme MASSIAS
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : AARPI ITER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-17;23ve01888 ?
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