Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement l'Etat et le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière à lui verser la somme de 259 933 euros, assortie des intérêts au taux légal eux-mêmes capitalisés en réparation des préjudices résultant pour elle du fait qu'elle n'a pu exercer la profession de chirurgien-dentiste en France entre le 1er janvier 2017 et le 31 mai 2019.
Par un jugement n° 2112977 du 9 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme B... une somme de 1 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2021, eux-mêmes capitalisés au 1er avril 2022 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 juillet 2023 et 12 septembre 2024,
Mme A... B..., représentée par Me Giudicelli, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 juin 2023 ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) à lui verser la somme de 159 446 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2021, date de sa demande préalable, et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 1er avril 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière une somme de 5 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a dénaturé ses écritures et omis de se prononcer sur la faute tirée de l'illégalité fautive de la décision du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière du 28 août 2017 ;
- la responsabilité du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière est engagée pour faute du fait de l'illégalité du refus d'exercer qui lui a été opposé ; la décision du 28 août 2017 du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière a été annulée par le tribunal administratif de Paris par jugement du 26 octobre 2018 ;
- la responsabilité de l'Etat est engagée pour la faute résultant du défaut de délivrance d'une autorisation d'exercice en dépit de l'injonction prononcée par le tribunal ;
- les fautes commises par le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et l'Etat lui ont fait perdre une chance de pouvoir exercer l'activité de chirurgien-dentiste en France du 1er janvier 2017 au 31 mai 2019 ; son préjudice professionnel est en lien exclusif avec ses fautes car elle avait pour projet professionnel de s'installer en France et a été contrainte de travailler en Espagne ;
- dans la mesure où il n'a pas été accusé réception de sa demande par le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et qu'il n'a jamais été répondu à ses différentes demandes, elle ne savait pas bénéficier d'une autorisation tacite d'exercice ;
- la suspension de la décision du 28 août 2017 par le juge des référés du tribunal administratif de Paris le 15 novembre 2017 n'a pas mis fin aux conséquences du comportement fautif du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ;
- son préjudice financier ressort du rapport qu'elle a fait établir par un expert-comptable ; en tenant compte des revenus qu'elle aurait pu percevoir et des revenus qu'elle a effectivement perçus au cours de cette période, elle est fondée à solliciter le versement d'une somme de
119 446 euros ;
- son préjudice moral sera indemnisé à hauteur de 40 000 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés les 25 juillet 2024 et 7 octobre 2024, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, représenté par Me Bazin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 juin 2023 en tant qu'il a mis à sa charge une somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la requête de Mme B... ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions la demande de Mme B... ;
4°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a effectivement répondu aux fautes qui étaient invoquées devant lui ;
- la faute qu'il a commise en retirant l'autorisation tacite dont bénéficiait Mme B... le 28 août 2017 n'a eu d'effet que jusqu'au 15 novembre 2017, date à laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu sa décision ;
- la faute commise n'est pas à l'origine de l'absence d'installation de la requérante en France ; celle-ci n'établit pas qu'elle envisageait de s'y installer ; en tout état de cause, elle bénéficiait d'une autorisation tacite ;
- le préjudice financier dont elle se prévaut n'est pas établi ; elle n'apporte pas d'élément précis sur l'intégralité des sommes qu'elle a perçues durant la période de référence ; les chiffres retenus par l'expert-comptable de l'intéressée ne correspondent pas à ce qu'elle aurait perçu comme jeune praticienne hospitalier ;
- le préjudice moral allégué n'est pas établi.
La procédure a été communiquée à la ministre en charge de la santé qui n'a produit aucune écriture.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Palis De Koninck,
- les conclusions de Mme Dégardin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Marjary, représentant Mme B..., et de
Me Jacquemin, représentant le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... est titulaire du diplôme de docteur en chirurgie dentaire, délivré le 21 mars 2001 par l'université du Costa Rica, et a obtenu l'homologation académique de son diplôme en Espagne, le 3 avril 2014. Elle a sollicité, le 20 octobre 2016, auprès du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG), sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, une autorisation d'exercer en France la profession de chirurgien-dentiste. Aucune réponse écrite n'a été apportée à sa demande avant le 28 août 2017, date à laquelle la directrice générale du CNG l'a informée que sa demande d'autorisation d'exercice était irrecevable. Par une ordonnance du 15 novembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, après avoir qualifié cette décision du 28 août 2017 de décision de retrait de l'autorisation implicite d'exercer dont bénéficiait Mme B..., en a suspendu l'exécution et a indiqué que l'intéressée se trouvait en possession d'une autorisation d'exercice en France. Par un jugement du 26 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision de retrait et a enjoint à la ministre chargée de la santé de délivrer à Mme B... l'attestation prévue par l'article L. 232-3 du code des relations entre le public et l'administration. Par des courriers du 1er avril 2021,
Mme B... a adressé au CNG, d'une part, et à l'Etat, d'autre part, une demande indemnitaire préalable à fin d'obtenir l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par eux dans l'instruction et la réponse apportée à sa demande d'autorisation d'exercer. En l'absence de réponse, Mme B... a saisi le tribunal administratif de Paris d'une requête indemnitaire. Celle-ci relève appel du jugement du 9 juin 2023 par lequel le tribunal a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros, assortie des intérêts eux-mêmes capitalisés, en réparation de son préjudice moral et rejeté le surplus de sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Mme B... s'est prévalue devant le tribunal administratif, dans son mémoire en réplique enregistré le 28 janvier 2022, de ce que la responsabilité pour faute du CNG était engagée à raison du retrait illégal de la décision implicite d'autorisation d'exercer dont elle bénéficiait. Dans le jugement attaqué du 9 juin 2023, le tribunal n'a pas examiné le bien fondé de la faute ainsi invoquée par l'intéressée alors que cette faute, si elle avait été établie, aurait conduit à une indemnisation plus importante du préjudice subi par Mme B.... Par suite, celle-ci est fondée à soutenir que le jugement est entaché sur ce point d'une omission à statuer et à en demander l'annulation.
3. Il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur les demandes présentées par
Mme B... devant le tribunal administratif de Paris.
Sur les conclusions aux fins d'indemnisation :
En ce qui concerne les fautes :
4. Mme B... a expressément indiqué dans sa requête que n'est pas " reprise " au stade de l'appel la faute invoquée en première instance tirée du caractère erroné des informations qui lui auraient été fournies par le CNG en 2015. Elle se prévaut de deux fautes distinctes. Elle reproche, d'une part, au CNG d'avoir commis une faute en procédant, par la décision du 28 août 2017, au retrait de la décision implicite qui l'autorisait à exercer la profession de chirurgien-dentiste en France, d'autre part, à l'Etat d'avoir persisté dans son refus de l'autoriser à exercer en dépit de l'annulation de la décision de retrait du 28 août 2017 par le tribunal administratif le 26 octobre 2018.
5. En premier lieu, la décision du CNG du 28 août 2017 portant retrait de la décision implicite d'autorisation d'exercer dont bénéficiait Mme B... a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Paris du 26 octobre 2018 devenu définitif. L'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur.
6. En second lieu, aux termes du jugement du 26 octobre 2018, le tribunal administratif a enjoint à la ministre chargée de la santé de délivrer à Mme B... l'attestation prévue à l'article L. 232-3 du code des relations entre public et l'administration. Or, il résulte de l'instruction que si une attestation a été délivrée à l'intéressée le 29 novembre 2018, cette attestation indiquait tout à la fois qu'une décision implicite d'acceptation de sa demande d'autorisation d'exercer en France était née le 20 décembre 2016 et que sa demande d'autorisation serait examinée par la commission d'autorisation d'exercice compétente lors de sa prochaine séance, ce qui a effectivement été fait le 8 février 2019. Par courrier du 25 avril 2019, il a été indiqué à la requérante que la commission n'avait pas pu se prononcer " en raison d'un manque d'informations " sur son activité professionnelle et qu'elle était invitée à compléter son dossier pour qu'il puisse être réexaminé. Ce faisant, la ministre refusant de tirer les conséquences de l'injonction qui lui a faite par le tribunal a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des pertes de revenus :
7. Mme B... soutient que les fautes commises successivement par le CNG et la ministre en charge de la santé ont rendu impossible l'exercice de son activité professionnelle en France du 1er janvier 2017 au 31 mai 2019 et l'ont contrainte à s'installer en Espagne, pays dans lequel elle exerce la profession de chirurgien-dentiste.
8. Toutefois, jusqu'à l'intervention de la décision du CNG du 28 août 2017, Mme B... était autorisée à exercer en France, une décision implicite d'acceptation étant née le
20 décembre 2016 du silence gardé sur sa demande, ce qu'elle n'était pas censée ignorer. Or, il résulte de l'instruction que Mme B... travaille en Espagne depuis le 1er juillet 2017, date à laquelle elle bénéficiait d'une autorisation d'exercer en France. Aussi, les pertes de revenus qui résulteraient pour elle de son installation professionnelle dans ce pays ne peuvent être regardées comme imputables à la faute commise par le CNG qui a procédé irrégulièrement au retrait de l'autorisation dont elle bénéficiait, après cette installation. Elles ne peuvent pas plus être regardées comme imputables à la faute commise par l'Etat après l'annulation de la décision du
28 août 2017 et ce alors que Mme B... n'établit pas qu'elle aurait souhaité exercer en France à compter de cette date, l'exercice de son activité s'étant poursuivi depuis lors en Espagne. Le lien de causalité entre les fautes invoquées et les pertes de revenus alléguées n'est donc pas établi. Mme B... ne peut, par suite, prétendre à l'indemnisation de ce poste de préjudice.
S'agissant du préjudice moral :
9. Il résulte de l'instruction que les fautes commises par le CNG et l'Etat sont à l'origine d'un préjudice moral pour Mme B... qui s'est trouvée dans une situation d'incertitude professionnelle après le retrait de son autorisation, puis une fois que la ministre en charge de la santé lui a indiqué qu'elle bénéficiait d'une autorisation mais que son dossier serait néanmoins soumis à la commission d'autorisation d'exercice compétente. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en accordant à la requérante une somme de 5 000 euros à ce titre.
10. Il résulte de ce qui précède que le CNG et l'Etat sont solidairement condamnés à verser à Mme B... une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur les intérêts et la capitalisation :
11. La somme mise à la charge solidaire du CNG et de l'Etat au profit de
Mme B... doit être assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2021, date de réception de sa demande préalable d'indemnisation par les services du ministère de la santé. Les intérêts échus le 2 avril 2022 sont capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante, la somme que le CNG demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du CNG et de l'Etat une somme de 1 000 euros chacun au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°2112977 du 9 juin 2023 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et l'Etat sont solidairement condamnés à verser à Mme B... une somme de 5 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 avril 2021, eux même capitalisés à compter du 2 avril 2022.
Article 3 : Le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et l'Etat verseront une somme de 1 000 euros chacun à
Mme B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A... B..., au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Delage, président de chambre,
Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
Mme Mélanie Palis De Koninck, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2025.
La rapporteure,
M. PALIS DE KONINCK
Le président,
Ph. DELAGE Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA03376