Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 24 février 2022 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2204638 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 juillet 2023, M. B..., représenté par Me de Guéroult d'Aublay, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 juin 2023 ;
2°) d'annuler cet arrêté du 24 février 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour temporaire ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'un vice de procédure en l'absence de saisine de la commission de titre de séjour ;
- il est entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;
- il est entaché d'une erreur de fait ;
- il méconnaît les dispositions des articles L. 435-1 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Mantz, rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant togolais né le 8 mars 1972, entré en France en 2004 selon ses déclarations, a déposé, le 6 juillet 2021, une demande d'admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 24 février 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté cette demande et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 29 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'alors que M. B... vivait en concubinage avec une ressortissante ivoirienne, cette dernière a eu deux enfants jumeaux, nés le 28 octobre 2010 à Gonesse (Val d'Oise), qui ont été reconnus le 29 octobre 2010 par un autre homme, de nationalité française. Le concubinage entre la mère des enfants et M. B... a cessé à la fin de l'année 2014, et ce dernier a été reconnu, à la suite d'une mesure d'expertise génétique ordonnée dans le cadre d'une action en contestation de paternité, comme le père de ces deux enfants, par jugement du tribunal de grande instance de Pontoise du 10 janvier 2017. Par un jugement du même tribunal du 28 septembre 2018, M. B... s'est vu reconnaître, outre l'exercice conjoint de l'autorité parentale sur les deux enfants qui résident chez leur mère, un droit de visite qui s'exerce un dimanche sur deux entre 8 heures 30 et 18 heures, en attendant que l'intéressé dispose d'un logement propre lui permettant de les héberger. Ce jugement a également fixé la contribution de M. B... à l'entretien et à l'éducation de ses enfants à la somme de 70 euros mensuels par enfant.
4. En outre, M. B..., qui soutient avoir élevé ses deux enfants depuis leur naissance, produit, d'une part, de nombreuses photographies où il apparaît avec ses enfants qui étaient âgés de onze ans à la date de la décision attaquée. Ces photographies, bien que non datées, se rapportent à des âges manifestement très différents des enfants et ne sauraient être sérieusement contestées en tant qu'elles font présumer, du fait notamment de leur nombre, un lien affectif intense entre ceux-ci et leur père. Il ne ressort, à cet égard, d'aucun élément ni pièce du dossier que M. B... n'exercerait pas son droit de visite dans les conditions prévues par le jugement précité du 28 septembre 2018. Il ressort d'autre part de l'enquête sociale en date du 24 août 2017 demandée par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Pontoise que les enfants sont attachés à leur père et que ce dernier a fait preuve de constance dans son investissement auprès d'eux et de son souhait de " prendre sa place de père dans leur vie ". De plus, le requérant produit, notamment au titre des trois années 2019, 2020 et 2021, de très nombreux tickets de caisse se rapportant à des achats de produits alimentaires s'adressant, pour la plupart, aux enfants, de nature à établir que M. B... contribue, au moins partiellement, à leur entretien. Enfin, M. B... produit plusieurs attestations circonstanciées de proches, notamment contemporaines de la décision attaquée, faisant état, de manière concordante, de son fort investissement affectif et éducatif auprès de ses enfants. Par suite, eu égard à la situation familiale de M. B... ainsi qu'à la durée et aux conditions de son séjour sur le territoire national, l'arrêté par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris et a méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants. Par suite, la décision de refus de séjour a méconnu tant les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions du 24 février 2022 par lesquelles le même préfet a obligé M. B... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution / (...) ". Aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de M. B..., que le préfet de la Seine-Saint-Denis délivre à celui-ci une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2204638 du tribunal administratif de Montreuil du 29 juin 2023 et l'arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis du 24 février 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bruston, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024
Le rapporteur,
P. MANTZLa présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23PA03263 2