Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2307089 du 14 novembre 2023 la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 novembre 2023, le préfet de la Moselle demande à la cour d'annuler ce jugement du 14 novembre 2023.
Il soutient que son arrêté est suffisamment motivé et que c'est à tort que le jugement attaqué a considéré que la décision avait été prise sans examen attentif de la situation de l'intéressé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2024, M. B... E..., représenté par Me Halil, conclut au rejet de la requête, à ce que lui soit accordé un certificat de résidence d'une durée d'un an, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de lui délivrer un certificat de résidence dans le mois de la décision à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- les autres moyens de sa demande de première sont de nature à justifier l'annulation de l'arrêté du préfet de la Moselle.
Par un courrier en date du 10 décembre 2024, le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis à la cour le mémoire du 10 novembre 2024 par lequel M. E..., représenté par Me Halil, demande, d'une part, l'exécution forcée du jugement du 14 novembre 2023 et, d'autre part, la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que, le jugement n'ayant pas été exécuté faute de réexamen de sa situation par les services de la préfecture de la Moselle, il est fondé à en demander l'exécution forcée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Barlerin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... E..., ressortissant algérien né en 1987 à Chlef, déclare être entré en France le 11 mai 2019 muni d'un visa de type C délivré par les autorités espagnole, valable du 1er mai au 1er juin 2019. Il s'est ensuite maintenu sur le territoire français, sans effectuer de démarches administratives pour régulariser sa situation au regard du séjour. A la suite d'un contrôle effectué le 3 octobre 2023 à Thionville et par un arrêté du même jour, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, laquelle obligation fixe le pays de destination en cas d'éloignement d'office, et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le préfet de la Moselle relève appel du jugement du 14 novembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le jugement attaqué :
2. Il résulte des termes mêmes de l'arrêté du préfet de la Moselle en date du 3 octobre 2023 que celui-ci mentionne les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il indique également, avec suffisamment de précisions, les circonstances de fait au vu desquelles il a été pris, notamment les éléments relatifs à la situation personnelle du requérant. La circonstance que l'arrêté ne mentionne pas l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 n'est pas, en l'espèce, de nature à établir un défaut d'examen de la situation de M. E... au regard d'une décision l'obligeant à quitter le territoire, cet accord ne régissant pas l'éloignement des ressortissants algériens. Dès lors, cet arrêté comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait constituant le fondement de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui est ainsi régulièrement motivée. En outre, et quant au bien-fondé de cette décision, il résulte de l'instruction que le préfet de la Moselle a examiné la situation particulière de M. E..., sans méconnaître l'étendue de la compétence d'appréciation qu'il tient du 2° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il en résulte que le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a estimé que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'était pas suffisamment motivée en droit et avait été prise en l'absence d'un examen complet de la situation de M. E....
3. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'entier litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E....
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
4. En premier lieu, par un arrêté du 30 mai 2023, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 31 mai 2023, le préfet de la Moselle a donné délégation à M. A... D..., directeur de l'immigration et de l'intégration, à l'effet de signer les décisions relevant de sa direction, à l'exception de certains actes au nombre desquels ne figure pas les décisions en litige. En cas d'absence ou d'empêchement de M. D..., délégation de signature était donnée à Mme C... F..., adjointe au chef du bureau de l'éloignement et de l'asile pour signer les décisions relevant de ce bureau. Il n'est ni établi ni même allégué que M. D... n'était pas absent ou empêché et le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit, dès lors, être écarté.
5. En deuxième lieu, l'arrêté du 3 octobre 2023 portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français ne statue pas sur une demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié. Il en résulte que le requérant ne saurait utilement se prévaloir des stipulations du b) de l'article 7 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui ne prévoient pas la délivrance de plein droit d'un certificat de résidence.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1(...) ". Les stipulations et dispositions précitées ne garantissent pas à un ressortissant étranger le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale.
7. M. E..., est entré en France en 2019, à l'âge de 32 ans, et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire national à partir de juin 2019, sans effectuer aucune démarche pour régulariser sa situation au regard de son séjour en France jusqu'à son interpellation le 3 octobre 2023. S'il fait valoir qu'il s'est marié avec une ressortissante française en mai 2022, il ressort des pièces du dossier qu'une procédure de divorce a été engagée dès le mois de juillet suivant. M. E... ne justifie ainsi pas de liens personnels, de nature privée et familiale, anciens et importants en France, son séjour y demeurant récent. Dès lors, compte tenu de la durée et des conditions du séjour en France de M. E..., sans enfants, qui a vécu la majeure partie de sa vie dans son pays d'origine et n'y est pas dépourvu d'attaches familiales, et eu égard aux effets d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet, en l'obligeant à quitter le territoire, a porté à son droit à mener une vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette mesure a été prise, ni, en tout état de cause, que des circonstances humanitaires ou des motifs exceptionnels s'opposeraient à son retour dans son pays d'origine. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences d'une décision portant obligation de quitter le territoire français sur la situation personnelle de M. E..., qui peut poursuivre sa vie personnelle dans le pays dont il est le ressortissant.
8. Le préfet de la Moselle n'avait pas l'obligation de rechercher si, en opportunité, il y avait lieu d'admettre M. E... au séjour en France et il ressort de l'arrêté du 3 octobre 2023 qu'il n'a pas été procédé à un tel examen. Il en résulte que le moyen tiré de l'absence d'un tel examen ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus de départ volontaire :
9. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-1 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) / 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;(...) ".
10. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que le préfet, pour refuser à M. E... le bénéfice d'un délai de départ volontaire, s'est fondé sur les dispositions du 2° de l'article L. 612-2 et du 3° de l'article L. 613-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. E... s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité du visa qui lui avait été délivré par les autorités espagnoles et, en tout état de cause, au-delà d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour. En l'absence de circonstances particulières, qui ne ressortent pas du dossier, le risque que M. E... se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet est établi et le préfet a pu, à bon droit, lui refuser le bénéfice d'un délai de départ volontaire.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 14 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé son arrêté en date du 3 octobre 2023. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. E... tendant à ce que la cour assure l'exécution de ce jugement ne peuvent qu'être rejetées. Il en va de même des conclusions à fin d'injonction qu'il présente.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2307089 du 14 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Strasbourg et ses conclusions en appel à fin d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La demande de M. E... tendant à ce que la cour assure l'exécution du jugement du 14 novembre 2023 est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé A. BarlerinLe président,
Signé A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC03473