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21/11/2024 | FRANCE | N°474791

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 21 novembre 2024, 474791


Vu la procédure suivante :



Le président de l'université Pierre et Marie Curie a porté plainte contre M. C... F... devant la section disciplinaire du conseil académique de l'université. Par une décision du 25 avril 2017, la section disciplinaire du conseil académique a infligé à M. F... la sanction de l'exclusion définitive de cette université.



Par une décision du 10 décembre 2020, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a rejeté l'appel formé par M

. F... contre cette décision.



Par une décision n° 450374 du 30 mai 2022,...

Vu la procédure suivante :

Le président de l'université Pierre et Marie Curie a porté plainte contre M. C... F... devant la section disciplinaire du conseil académique de l'université. Par une décision du 25 avril 2017, la section disciplinaire du conseil académique a infligé à M. F... la sanction de l'exclusion définitive de cette université.

Par une décision du 10 décembre 2020, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire, a rejeté l'appel formé par M. F... contre cette décision.

Par une décision n° 450374 du 30 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette décision et renvoyé l'affaire au CNESER, statuant en matière disciplinaire.

Par une décision du 6 avril 2023, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a annulé la décision de la section disciplinaire du conseil académique de l'université Pierre et Marie Curie et infligé à M. F... la sanction de l'exclusion définitive de l'établissement Sorbonne Université.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 juin et 30 août 2023 et le 26 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement Sorbonne Université la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 2017-596 du 21 avril 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de M. F... et à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Sorbonne Université ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 25 avril 2017, la section disciplinaire du conseil académique de de l'université Pierre et Marie Curie a infligé à M. F..., étudiant en troisième année de licence, la sanction de l'exclusion définitive de cette université désormais fusionnée au sein de l'établissement Sorbonne Université. Par une décision du 10 décembre 2020, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a rejeté l'appel formé par M. F... contre cette décision. Par une décision n° 450374 du 30 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette décision et renvoyé l'affaire au CNESER, statuant en matière disciplinaire. M. F... se pourvoit en cassation contre la décision du 6 avril 2023 par laquelle le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a, sur renvoi du Conseil d'Etat, annulé la décision du 25 avril 2017 de la section disciplinaire du conseil académique de l'université Pierre et Marie Curie et lui a infligé la sanction de l'exclusion définitive de l'établissement Sorbonne Université.

Sur le pourvoi :

2. M. F... ne justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision du 6 avril 2023 du CNESER, statuant en matière disciplinaire, qu'en tant que celle-ci lui inflige une sanction. Il doit ainsi être regardé comme ne contestant que l'article 2 de cette décision, l'article 1er de cette décision, en tant qu'il annule la décision du 25 avril 2017 de la section disciplinaire du conseil académique de l'université Pierre et Marie Curie et l'article 3 portant notification de la décision rendue, ne lui faisant pas grief.

3. Aux termes de l'article R. 712-29 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au litige : " Les poursuites sont engagées devant la section disciplinaire compétente : / 1° Par le président de l'université dans les cas prévus à l'article R. 712-11. / En cas de défaillance, le recteur de région académique, chancelier des universités, engage la procédure, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification d'une demande expresse à l'autorité compétente à cette fin ; / 2° Par le recteur d'académie dans le cas prévu à l'article R. 712-12 ; / 3° Par le ministre chargé de l'enseignement supérieur lorsque les poursuites sont engagées à l'encontre du président de l'université ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 712-11 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les enseignants-chercheurs et enseignants ainsi que les usagers mentionnés au a et au b du 2° de l'article R. 712-10 relèvent de la section disciplinaire de l'établissement où les faits donnant lieu à des poursuites ont été commis. (...) ". Aux termes de l'article R. 712-10 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Relèvent du régime disciplinaire prévu aux articles R. 712-9 à R. 712-46 : / (...) / 2° Tout usager de l'université lorsqu'il est auteur ou complice, notamment : / a) D'une fraude ou d'une tentative de fraude commise à l'occasion d'une inscription, d'une épreuve de contrôle continue, d'un examen ou d'un concours ; / b) D'un fait de nature à porter atteinte à l'ordre ou au bon fonctionnement de l'université ; / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le président de l'université est l'autorité compétente pour engager des poursuites disciplinaires contre un usager auteur ou complice de faits de nature à porter atteinte à l'ordre ou au bon fonctionnement de l'université.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 8 mars 2016, le président de l'université Pierre et Marie Curie a donné à Mme D... A..., directrice du cabinet, délégation de signature pour " toute convention, tout acte et décision concernant l'Université ". Par un arrêté du même jour, le président de l'université Pierre et Marie Curie a également donné à Mme A... délégation de pouvoir pour le maintien de l'ordre et de la sécurité dans les locaux de l'établissement. Il ne résulte d'aucun de ces deux arrêtés que Mme A... était habilitée à engager, au nom du président de l'université Pierre et Marie Curie, des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un usager de l'établissement. Par suite, s'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la section disciplinaire du conseil académique de l'université Pierre et Marie Curie avait été régulièrement saisie, par un courrier du 7 février 2017 signé par le président de l'université, de poursuites à l'encontre de M. F... à raison de propos injurieux et menaçants proférés à l'égard de M. E..., enseignant-chercheur, sa saisine, par un courrier du 20 février 2017 signé au nom du président de l'université par la directrice du cabinet, du chef de poursuite de propos injurieux et menaçants tenus à l'égard de M. B..., responsable du bureau des études et du suivi de l'étudiant, était irrecevable.

5. Dans ces conditions, le CNESER, statuant en matière disciplinaire, ne pouvait, par la voie de l'évocation, après avoir annulé la décision du 25 avril 2017 de la section disciplinaire du conseil académique de de l'université Pierre et Marie Curie, statuer sur les poursuites disciplinaires engagées contre M. F... à raison des propos injurieux et menaçants qu'il aurait tenus à l'égard de M. B..., ces poursuites étant, ainsi qu'il a été dit au point précédent, irrecevables devant la section disciplinaire du conseil académique de l'université. Il s'ensuit que le CNESER, statuant en matière disciplinaire, a entaché sa décision d'erreur de droit en retenant que M. F... devait être sanctionné à raison des propos menaçants et inappropriés qu'il lui est reproché d'avoir prononcés à l'égard de M. B....

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. F... est fondé à demander l'annulation de l'article 2 de la décision du 6 avril 2023 du CNESER, statuant en matière disciplinaire.

7. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il incombe, dès lors, au Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond.

Sur le règlement au fond :

8. Eu égard au motif, exposé aux points 4 et 5, de l'annulation de la décision du 6 avril 2023 du CNESER, statuant en matière disciplinaire, le Conseil d'Etat se trouve saisi, en premier ressort, du seul chef de poursuite de propos injurieux et menaçants qui auraient été tenus par M. F... à l'égard de M. E....

9. En principe, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, à l'autorité administrative ou, le cas échéant, au juge administratif d'apprécier si les mêmes faits sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction administrative. Il n'en va autrement que lorsque la légalité de la décision administrative ou, le cas échéant, de la décision juridictionnelle est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale, l'autorité de la chose jugée s'étendant alors exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.

10. Il résulte de l'instruction que, si M. F... conteste avoir été l'auteur des courriels à caractère injurieux et menaçant envoyés à M. E..., depuis une adresse électronique personnelle déclarée à son université lors de son inscription, en alléguant notamment que ces messages auraient été falsifiés par M. E..., aucun élément versé à l'instruction n'est de nature à remettre en cause l'authenticité et l'origine de ces courriels. A cet égard, si le jugement de la 29ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 21 janvier 2021 a relaxé M. F... du chef d'envois réitérés de messages malveillants émis par voie de communications électroniques à destination de M. E..., il résulte de ce qui a été dit au point 9 que, contrairement à ce que soutient le requérant, aucune autorité de chose jugée ne s'attache aux motifs de ce jugement. En outre, il résulte de l'instruction que les messages insultants et menaçants adressés les 26 janvier et 2 février 2017 à M. E... comportaient comme objet " Urgent - Rendez-vous - 'proto-algèbre' ", laissant entendre que ceux-ci se rapportaient directement aux échanges antérieurs que M. E... et F... avaient eus par voie électronique concernant l'existence d'une algèbre dans les travaux d'Euclide, M. F... ayant, au demeurant, utilisé les termes de " proto-algèbre " dans un courriel adressé le 20 janvier 2017 au directeur de la licence en mathématiques et dans lequel il faisait état de ses échanges avec M. E... à ce sujet. Dans ces conditions, M. F... doit être regardé comme étant l'auteur de l'envoi à un enseignant-chercheur de courriels dont le caractère insultant et menaçant est établi. Par suite, il a porté atteinte à l'ordre et au bon fonctionnement de l'université au sens des dispositions du b du 2° de l'article R. 712-10 du code de l'éducation, dans leur rédaction applicable au litige, ces faits étant constitutifs d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

11. Aux termes de l'article R. 811-36 du code de l'éducation, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Les sanctions disciplinaires applicables aux usagers des établissements publics d'enseignement supérieur sont, sous réserve des dispositions de l'article R. 811-37 : / 1° L'avertissement ; / 2° Le blâme ; / 3° La mesure de responsabilisation définie au II ; / 4° L'exclusion de l'établissement pour une durée maximum de cinq ans. Cette sanction peut être prononcée avec sursis si l'exclusion n'excède pas deux ans ; / 5° L'exclusion définitive de l'établissement ; / 6° L'exclusion de tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée maximum de cinq ans ; / 7° L'exclusion définitive de tout établissement public d'enseignement supérieur. / (...) ".

12. Eu égard au caractère réitéré et virulent des insultes et menaces proférées à l'encontre d'un enseignant-chercheur, il sera fait une juste appréciation de la gravité de la faute commise en infligeant à M. F... la sanction de l'exclusion définitive de l'établissement Sorbonne Université, lequel s'est substitué, dans ses droits et obligations, à l'université Pierre et Marie Curie en application de l'article 2 du décret du 21 avril 2017 portant création de l'université Sorbonne Université.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'établissement Sorbonne Université qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F... une somme de 3 000 euros à verser à cet établissement au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 2 de la décision du CNESER, statuant en matière disciplinaire, du 6 avril 2023 est annulé.

Article 2 : Il est infligé à M. F... la sanction de l'exclusion définitive de l'établissement Sorbonne Université.

Article 3 : M. F... versera à l'établissement Sorbonne Université une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. F... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. C... F... et à l'établissement Sorbonne Université.

Copie en sera adressée au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 474791
Date de la décision : 21/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2024, n° 474791
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP GUÉRIN - GOUGEON ; SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:474791.20241121
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