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25/07/2024 | FRANCE | N°23LY00514

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 25 juillet 2024, 23LY00514


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du département du Rhône du 11 juin 2021 accordant à la société Générale Frigorifique l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire et la décision du 17 décembre 2021 par laquelle la ministre chargée du travail a confirmé cette décision.



Par un jugement n° 2201206 du 17 janvier 2023, le tribunal a rejeté sa demande.



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Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 13 février 2023, M. B..., représenté par Me Ruiz, dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du département du Rhône du 11 juin 2021 accordant à la société Générale Frigorifique l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire et la décision du 17 décembre 2021 par laquelle la ministre chargée du travail a confirmé cette décision.

Par un jugement n° 2201206 du 17 janvier 2023, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 13 février 2023, M. B..., représenté par Me Ruiz, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et les décisions des 11 juin et 17 décembre 2021 de l'inspecteur et du ministre du travail ;

2°) d'enjoindre au ministre de réexaminer son recours hiérarchique ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions de l'inspecteur du travail et du ministre sont insuffisamment motivées ;

- les fautes invoquées par son employeur, à savoir l'agression physique d'un de ses collègues le 16 février 2021, le fait d'avoir insulté un autre salarié le 8 mars 2021, de ne pas avoir porté son masque, d'avoir adopté un comportement agressif, injurieux et insultant à l'égard de ses collègues de travail, ne sont pas établies ; il n'a pas été mis à pied ;

- il n'y a pas eu réitération de mêmes faits pouvant justifier le prononcé d'un licenciement ;

- la demande de licenciement est liée aux mandats qu'il détenait, à sa candidature aux élections du CSE et, plus globalement, à son appartenance syndicale à la CGT.

Par des mémoires enregistrés les 12 juin et 23 novembre 2023, la société Générale Frigorifique, représentée par Me Sonzogni, conclut au rejet de la requête et qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 21 septembre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, conclut au rejet de la requête.

Il s'en rapporte à ses écritures présentées devant le tribunal.

Par une ordonnance du 24 novembre 2023, l'instruction a été close au 22 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public,

- et les observations de Me Sonzogni, pour la société Générale Frigorifique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 11 juin 2021, l'inspectrice du travail de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités du Rhône a autorisé, à la demande de la société Générale Frigorifique dont le nom commercial est Générale Frigorifique France, le licenciement pour motif disciplinaire de M. B..., ancien délégué du personnel et candidat aux élections du comité social et économique (CSE) de novembre 2021 qui occupait les fonctions de magasinier polyvalent au sein de l'entrepôt de Saint-Bonnet-de-Mure. Cette décision a été confirmée, sur recours hiérarchique de M. B..., par une décision du 17 décembre 2021 du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. M. B... relève appel du jugement du 17 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de ces deux décisions.

Sur la décision de l'inspectrice du travail :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ".

3. En l'espèce, dans sa décision, l'inspectrice du travail, après avoir mentionné les mandats au titre desquels M. B... bénéficiait d'une protection, cité les dispositions applicables du code du travail et rappelé la procédure suivie, a exposé les griefs de l'employeur, a apprécié s'ils étaient matériellement établis ou prescrits, exposé les motifs pour lesquels les griefs retenus étaient d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement et indiqué que la demande de licenciement était sans lien avec le mandat. Cette décision, dans laquelle l'inspectrice du travail n'était pas tenue de répondre à chacun des arguments soulevés par le requérant, qui comprend les considérations de droit et les éléments de fait sur lesquels elle se fonde, est suffisamment motivée.

En ce qui concerne la légalité interne :

4. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

5. A l'appui de sa demande de licenciement, la société Générale Frigorifique s'est prévalue, dans un contexte de rappels à l'ordre et de sanctions disciplinaires précédemment intervenus, de trois séries de griefs à l'encontre de M. B..., tenant, d'une part, à un comportement général vis-à-vis de certains de ses collègues fait d'intimidations, de provocations, d'insultes et de menaces, d'autre part, à l'agression physique, le 16 février 2021, de l'un de ses collègues en présence d'un autre salarié, témoin de la scène et, enfin, à des insultes proférées le 8 mars 2021 à l'égard de ce témoin. L'inspectrice du travail, qui ne s'est pas prononcée sur le premier de ces griefs, a estimé que l'employeur ne pouvait se prévaloir des faits survenus le 8 mars, postérieurement à la convocation à l'entretien préalable, mais que l'agression du 16 février 2021 était matériellement établie et constituait, compte tenu des antécédents disciplinaires de l'intéressé, une faute de nature à justifier son licenciement.

6. En premier lieu, M. B... ne peut utilement faire valoir que son comportement agressif, injurieux et insultant à l'égard de ses collègues de travail ne serait pas établi dès lors que, ainsi qu'il vient d'être indiqué, l'inspectrice du travail ne s'est pas fondée sur ce grief pour retenir que l'intéressé avait eu un comportement fautif. De même, l'inspectrice du travail n'a pas retenu à l'encontre de M. B... le fait que, lors de l'altercation du 16 février 2021, il ne portait pas de masque, de sorte que la circonstance que ce fait ne serait pas suffisamment établi est sans incidence sur la légalité de la décision.

7. Il ressort des pièces du dossier que les deux magasiniers présents lors de l'altercation avec M. B... le 16 février 2021 ont porté des témoignages précis, circonstanciés, et concordants sur le déroulement des faits, dans deux comptes-rendus d'entretien établis le 19 février 2021. S'il est constant que ces entretiens ont été menés à l'initiative de leur employeur, les comptes-rendus ont été signés par lesdits salariés. Il résulte de ces comptes-rendus qu'après qu'une altercation verbale a éclaté entre M. B... et un autre magasinier au cours de laquelle ils ont échangé des menaces, M. B... est descendu de son chariot, a attrapé l'autre magasinier à la gorge, a commencé à serrer, a apposé son front contre celui de l'autre magasinier, et finalement, après un nouvel échange de provocations, a mis un coup avec la paume de sa main sur la tempe de son collègue. La matérialité des faits survenus le 16 février 2021, qui ne reposent pas sur des déclarations de l'employeur mais sur les comptes-rendus d'entretien signés par les deux magasiniers présents, dont la victime, qui sont concordants et circonstanciés, et qui ont d'ailleurs conduit l'employeur à sanctionner la victime pour les propos qu'elle a tenus à son agresseur, est suffisamment établie. L'absence de prononcé par l'employeur de mise à pied, qui est une mesure facultative, et la circonstance que le requérant ait continué à travailler pendant plusieurs jours en présence de la victime dans l'entrepôt ne sont pas de nature à démontrer que l'altercation, telle que décrite par ces deux employés, n'aurait pas eu lieu.

8. En deuxième lieu, compte tenu de la gravité des faits survenus le 16 février 2021, et de la mise à pied d'une journée dont il avait fait l'objet en août 2020 à raison d'une insubordination envers certains de ses supérieurs, qui pouvait être prise en compte par l'inspectrice du travail bien qu'elle se rapporte à des faits différents et ait été contestée par l'intéressé, l'inspectrice a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, estimer que les faits survenus le 16 février 2021 étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement.

9. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre d'élus ou de militants CGT et les procédures de licenciement dont M. B... fait état dans ses écritures aient été en lien avec leur appartenance syndicale. Il n'apparaît pas non plus que M. B... aurait été victime d'une discrimination sur le montant de sa rémunération, les éléments sur lesquels l'inspectrice du travail s'est fondée pour, le 2 avril 2019, signaler à l'employeur une potentielle différence de traitement entre ce dernier et d'autres employés reposant sur un panel de comparaison ne paraissant pas pertinent, ainsi que l'a au demeurant noté la cour d'appel de Lyon le 30 octobre 2020 saisie d'un litige porté par un autre salarié protégé de l'entreprise. Enfin, si l'employeur du requérant a été condamné, dans cet autre litige, à réparer le préjudice subi par un représentant syndical à raison de mentions discriminatoires portées dans son compte-rendu d'entretien d'évaluation de l'année 2005 et de la notification de deux sanctions disciplinaires injustifiées, une telle circonstance ne suffit pas à démontrer, en l'espèce, que le licenciement de M. B... serait en rapport avec les fonctions représentatives qu'il exerçait ou son appartenance syndicale.

Sur la décision du ministre :

10. Aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet (...) ". Lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement formée par un employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision.

11. D'une part, le ministre du travail ayant confirmé la décision de l'inspectrice du travail, le moyen tiré de ce que la décision ministérielle serait insuffisamment motivée doit être écarté comme inopérant.

12. D'autre part, en estimant que les faits reprochés à M. B... le 16 février 2021 étaient matériellement établis, qu'ils constituaient une faute de nature à justifier une mesure de licenciement et qu'il n'existait pas de lien entre la demande de licenciement et les mandats exercés par l'intéressé, le ministre n'a pas, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 6 à 9 ci-dessus, commis d'erreur d'appréciation.

13. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. Il y a lieu en revanche, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à sa charge la somme de 1 000 euros à verser à la société Générale Frigorifique.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à la société Générale Frigorifique une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Générale Frigorifique et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 2 juillet 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre,

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

M. Chassagne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juillet 2024.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY00514

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00514
Date de la décision : 25/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : SONZOGNI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/08/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-25;23ly00514 ?
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