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11/10/2017 | FRANCE | N°402497

France | France, Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 11 octobre 2017, 402497


Vu la procédure suivante :

Le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. D...E...devant la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins. Par une décision n° 1076 du 24 janvier 2013, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. E...la sanction de radiation du tableau de l'ordre des médecins.

Par une décision n° 11870 du 15 avril 2014, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté les appels formés par M. E...et par le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques de

l'ordre des médecins contre cette décision et a décidé que la sanction prendra...

Vu la procédure suivante :

Le Conseil national de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. D...E...devant la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins. Par une décision n° 1076 du 24 janvier 2013, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. E...la sanction de radiation du tableau de l'ordre des médecins.

Par une décision n° 11870 du 15 avril 2014, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté les appels formés par M. E...et par le conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques de l'ordre des médecins contre cette décision et a décidé que la sanction prendrait effet au 1er juillet 2014.

M. E...a demandé à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, sur le fondement de l'article R. 4126-53 du code de la santé publique, la révision de sa décision du 15 avril 2014. Par une décision n° 12989 du 17 juin 2016, la chambre disciplinaire nationale a, d'une part, déclaré sa décision nulle et non avenue et, d'autre part, rejeté l'appel formé par M. E...contre la décision du 24 janvier 2013 de la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine et décidé que la sanction prendrait effet au 1er juillet 2014.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 août et 17 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 17 juin 2016 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins en tant qu'elle rejette son appel et décide la date d'effet de la sanction ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, auditeur,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. E...et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 24 janvier 2013, la chambre disciplinaire de première instance d'Aquitaine de l'ordre des médecins a prononcé la radiation de M. E...du tableau de l'ordre des médecins au motif qu'il avait provoqué délibérément la mort de plusieurs patients hospitalisés au centre hospitalier de Bayonne ; que, par une décision du 15 avril 2014, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par M. E... contre cette décision et a décidé que la sanction prendrait effet à compter du 1er juillet 2014 ; que, par une décision du 30 décembre 2014, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté le pourvoi formé par M. E...contre cette décision ; que M. E... a ultérieurement demandé à la chambre disciplinaire nationale la révision de sa décision du 15 avril 2014 au motif qu'un arrêt du 24 octobre 2015 de la cour d'assises du Maine-et-Loire l'avait déclaré non coupable de la mort de plusieurs de ses patients ; que, par une décision du 17 juin 2016, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a déclaré nulle et non avenue sa décision du 15 avril 2014, puis, statuant à nouveau sur les requêtes d'appel de M. E...et du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques de l'ordre des médecins, a rejeté ces deux appels et fixé au 1er juillet 2014 la date d'exécution de la sanction ; que M. E...se pourvoit en cassation contre cette décision du 17 juin 2016 en tant qu'elle rejette son appel et fixe la date d'exécution de la sanction ;

2. Considérant qu'aux termes du 3° de l'article R. 4126-53 du code de la santé publique, la révision d'une décision définitive portant interdiction temporaire d'exercer ou radiation du tableau de l'ordre peut être demandée par un praticien " si, après le prononcé de la décision, un fait vient à se produire ou à se révéler ou lorsque des pièces, inconnues lors des débats, sont produites, de nature à établir l'innocence de ce praticien " ; qu'aux termes de l'article R. 4126-54 du même code : " (...) lorsque le recours en révision est recevable, la chambre déclare la décision attaquée nulle et non avenue et statue à nouveau sur la requête initiale (...) " ;

3. Considérant que la décision du 15 avril 2014 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par M. E...contre la décision de la chambre disciplinaire de première instance prononçant la sanction de radiation était fondée sur la circonstance que ce dernier avait délibérément provoqué la mort de Mmes A..., C...et B...; que, par son arrêt du 24 octobre 2015, la cour d'assises de Maine-et-Loire a notamment acquitté M. E...du crime d'empoisonnement de Mme C..., au motif qu'il subsistait un doute sur la réalité de son intention homicide, ainsi que du crime d'empoisonnement de MmeB..., au motif qu'il n'avait pas commis l'injection létale qui lui était reprochée ; qu'enfin, pour rejeter à nouveau, après avoir déclarée nulle et non avenue sa décision du 15 avril 2014, l'appel de M.E..., la chambre disciplinaire nationale s'est fondée, d'une part, sur le fait que M. E...avait délibérément provoqué la mort de Mme C... et, d'autre part, sur ce que, par le même arrêt du 24 octobre 2015, la cour d'assises de Maine-et-Loire avait jugé que M. E...avait volontairement attenté à la vie de Mme F... par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort ;

4. Considérant, en premier lieu, que si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement d'acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité ; qu'il appartient, dans ce cas, au juge disciplinaire d'apprécier si les faits, qui peuvent, d'ailleurs, être différents de ceux qu'avait connu le juge pénal, sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction ;

5. Considérant, par suite, qu'en jugeant que, dès lors que l'arrêt du 24 octobre 2015 de la cour d'assises de Maine-et-Loire avait acquitté M. E...du crime d'atteinte à la vie de Mme C...en raison du doute sur la réalité de son intention homicide, il incombait au juge disciplinaire d'asseoir sa conviction sur l'ensemble des éléments du dossier s'agissant des faits reprochés à ce praticien à l'égard de MmeC..., la chambre disciplinaire nationale n'a pas commis d'erreur de droit ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des termes de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale a pris en compte, pour asseoir sa conviction, l'ensemble des éléments du dossier qui lui était soumis, y compris l'arrêt déjà mentionné du 24 octobre 2015 de la cour d'assises de Maine-et-Loire ; que M. E...n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'elle aurait, faute de l'avoir fait, commis une erreur de droit ; que la seule circonstance qu'elle n'a pas systématiquement indiqué les éléments sur lesquels son appréciation différait de celle du juge pénal n'entache pas sa décision d'insuffisance de motivation ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. E...ne contestait pas, y compris dans sa demande de révision, avoir volontairement injecté à Mme C...une ampoule de Norcuron, produit contenant du curare qui ne doit normalement être administré que sous le contrôle d'un anesthésiste-réanimateur avec une assistance respiratoire ; qu'en estimant, au vu de cette circonstance et des faits retracés dans le rapport de signalement d'événements graves adressé le 9 août 2011 par un cadre de santé de l'unité d'hospitalisation de courte durée du centre hospitalier de Bayonne à la direction de cet hôpital, qu'il avait volontairement provoqué la mort de cette patiente, la chambre disciplinaire nationale a porté, sur les pièces du dossier qui lui était soumis, une appréciation souveraine, exempte de dénaturation ; qu'en en déduisant, alors même qu'il aurait entendu soulager la souffrance de sa patiente, qu'il avait méconnu les dispositions de l'article R. 4127-38 du code de la santé publique, aux termes desquelles : " Le médecin (...) n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort " et ainsi commis une faute déontologique de nature à justifier une sanction disciplinaire, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a exactement qualifié les faits du dossier qui lui était soumis ;

8. Considérant, enfin, qu'en se fondant, pour rejeter les appels dont elle était saisie et confirmer, par suite, la sanction de radiation prononcée en première instance, sur le fait que le praticien avait délibérément provoqué la mort d'au moins deux patients, la chambre disciplinaire nationale n'a pas prononcé une sanction hors de proportion avec les fautes reprochées ; qu'en fixant pour le début de cette sanction la même date que celle déjà fixée par sa décision du 15 avril 2014, elle a tenu compte de ce que l'intéressé était déjà radié depuis le 1er juillet 2014 et n'a, par suite, pas commis d'erreur de droit ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. E... doit être rejeté, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. E...est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D...E...et au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 402497
Date de la décision : 11/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - JUGEMENTS - CHOSE JUGÉE - CHOSE JUGÉE PAR LA JURIDICTION JUDICIAIRE - CHOSE JUGÉE PAR LE JUGE PÉNAL - JUGEMENT DE RELAXE AU BÉNÉFICE DU DOUTE - AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE - ABSENCE [RJ1] - CONSÉQUENCE - AUTONOMIE DE L'APPRÉCIATION DE LA MATÉRIALITÉ DES FAITS ET LEUR QUALIFICATION JURIDIQUE PAR LE JUGE DISCIPLINAIRE.

54-06-06-02-02 Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement d'acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, au juge disciplinaire d'apprécier si les faits, qui peuvent, d'ailleurs, être différents de ceux qu'avait connus le juge pénal, sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINALES - POUVOIRS DU JUGE DISCIPLINAIRE - JUGEMENT PÉNAL DE RELAXE AU BÉNÉFICE DU DOUTE - AUTORITÉ DE CHOSE JUGÉE - ABSENCE [RJ1] - CONSÉQUENCE - AUTONOMIE DE L'APPRÉCIATION DE LA MATÉRIALITÉ DES FAITS ET LEUR QUALIFICATION JURIDIQUE PAR LE JUGE DISCIPLINAIRE.

55-04-01-03 Si les faits constatés par le juge pénal et qui commandent nécessairement le dispositif d'un jugement ayant acquis force de chose jugée s'imposent à l'administration comme au juge disciplinaire, la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement d'acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité. Il appartient, dans ce cas, au juge disciplinaire d'apprécier si les faits, qui peuvent, d'ailleurs, être différents de ceux qu'avait connus le juge pénal, sont suffisamment établis et, dans l'affirmative, s'ils justifient l'application d'une sanction.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 11 mai 1956, Sieur,, n° 23524, p. 200 ;

CE, 23 février 1979, SARL Rena, n° 07307, T. pp. 688-724 ;

CE, 5 mai 1986,,, n° 51149, T. pp. 370-371-739 ;

CE, 13 mars 1987, Office national d'immigration c/,et,, n° 53984, p. 90 ;

CE, Section, 28 juillet 1999, Groupement d'intérêt économique Mumm-Perrier-Jouet, n° 188973, p. 257. Comp., dans l'hypothèse d'un jugement de relaxe, CE, 3 janvier 1975, Société civile immobilière foncière Cannes-Benefiat et Ministre de l'aménagement du territoire, de l'équipement, du logement et du tourisme c/ Ville de Cannes, n°s 93525 93526 93876 93882, p. 1 ;

CE, 22 octobre 1975, SCI Domaine du Mas de Tanit, n° 93434, T. pp. 846-1212-1330 ;

CE, 29 juin 1977, Ministre de l'équipement c/ SARL Resto-Strada, n° 99825, T. pp. 932-1007 ;

CE, 4 mai 1979, Ministre du travail c/ Société Sidef, n° 11753, T. pp. 609-846-902.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 oct. 2017, n° 402497
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sara-Lou Gerber
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:402497.20171011
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