Vu la procédure suivante :
Par deux demandes distinctes, M. C... E... et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier, en premier lieu, d'une part, d'annuler la décision du 23 novembre 2020 par laquelle le directeur de la caisse d'allocations familiales (CAF) des Pyrénées-Orientales a mis à la charge de M. E... un indu d'aide personnalisée au logement, d'allocation adulte handicapé et de prime de naissance d'un montant total de 2 412,70 euros au titre de la période ayant couru du 1er juillet au 31 octobre 2019, ainsi que la décision implicite confirmant ces indus sur leur recours administratif préalable, d'autre part, d'enjoindre à la CAF des Pyrénées-Orientales de leur restituer les sommes prélevées pour le recouvrement de cet indu et de les rétablir dans leurs droits à ces prestations à compter du 1er novembre 2019 avec versement rétroactif, en deuxième lieu, d'annuler la décision implicite par laquelle le directeur de la CAF des Pyrénées-Orientales a rejeté leur demande de remise de dette concernant l'indu d'aide personnalisée au logement et d'enjoindre à la CAF de leur restituer les sommes prélevées pour son recouvrement. Par un jugement n° 2102153, 2102155 du 9 juin 2022, le tribunal administratif a rejeté les conclusions relatives à l'allocation adulte handicapé et de prime de naissance comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et a rejeté les conclusions, pour lesquelles il s'est reconnu compétent, relatives à l'aide personnalisée au logement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 juin et 7 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette leurs conclusions relatives à leurs droits à l'aide personnalisée au logement et à la décision portant récupération de l'indu, en tant qu'elle porte sur l'aide personnalisée au logement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit dans cette mesure à leur demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, représenté par le directeur de la CAF des Pyrénées-Orientales, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la consommation ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. et Mme F... et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la caisse d'allocations familiales des Pyrénées-Orientales.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. E..., allocataire de la caisse d'allocations familiales (CAF) des Pyrénées-Orientales, a déclaré le 29 octobre 2019 à cette caisse qu'il avait quitté la France pour le Maroc depuis le mois de juillet 2019, pour s'y marier. M. E... ayant en parallèle saisi la commission de surendettement des particuliers des Pyrénées-Orientales, cette commission a décidé, le 30 janvier 2020, une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire puis a informé M. E..., le 28 avril 2020, de l'effacement de ses dettes, en l'absence de contestation de cette décision dans le délai de trente jours. Informé du départ de M. E... à l'étranger, le directeur de la CAF a suspendu ses droits à l'aide personnalisée au logement, à l'allocation adulte handicapé et à la prime de naissance à compter du 1er novembre 2019. Puis, par une décision du 23 novembre 2020, il a mis à la charge de M. E..., qui avait regagné la France avec son épouse en octobre 2020, un indu de 2 412,70 euros d'aide personnalisée au logement et d'allocation adulte handicapé au titre de la période ayant couru du 1er juillet 2019 au 31 octobre 2019. Enfin, par une décision implicite, le directeur de la CAF a rejeté la demande de remise gracieuse formée par M. E.... Le tribunal administratif de Montpellier a rejeté les demandes de M. E... et de son épouse, Mme B..., tendant à l'annulation de ces décisions par un jugement du 9 juin 2022, dont les intéressés demandent l'annulation en tant qu'il a statué sur leurs conclusions relatives à leurs droits à l'aide personnalisée au logement et à la décision portant récupération de l'indu, en tant qu'elle porte sur l'aide personnalisée au logement ;
Sur le jugement, en tant qu'il statue sur les droits de M. E... à l'aide personnalisée au logement pour la période du 1er juillet 2019 au 31 octobre 2020 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 823-12 du code de la construction et de l'habitation : " Les aides personnelles au logement cessent d'être dues à partir du premier jour du mois civil au cours duquel les conditions d'ouverture du droit cessent d'être réunies. ". Aux termes de l'article R. 822-23 du même code : " Est considéré comme résidence principale, pour l'application du premier alinéa du II de l'article L. 822-2, le logement effectivement occupé soit par le bénéficiaire de l'aide personnelle au logement, soit par son conjoint, soit par une des personnes à charge au sens de l'article R. 823-4, au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure. ". Il résulte de ces dernières dispositions que la condition de résidence cesse d'être remplie en cas d'absence se prolongeant pendant plus de quatre mois au cours de la période considérée. En jugeant que les requérants, qui se trouvaient au Maroc pour des motifs personnels, n'établissaient pas l'existence d'un cas de force majeure à l'origine d'une absence de leur résidence principale pendant plus de quatre mois au cours de l'année 2019 ni au cours de l'année 2020, alors même que la crise sanitaire aurait provoqué une fermeture des frontières à partir de mars 2020, le tribunal administratif, qui a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, a exactement qualifié les faits de l'espèce.
Sur le jugement, en tant qu'il statue sur le bien-fondé de l'indu mis à la charge de M. E..., en tant qu'il porte sur l'aide personnalisée au logement :
3. Toutefois, en deuxième lieu, aux termes de l'article L. 724-1 du code de la consommation : " Lorsque le débiteur se trouve dans une situation irrémédiablement compromise caractérisée par l'impossibilité manifeste de mettre en œuvre des mesures de traitement mentionnées au premier alinéa, la commission [de surendettement des particuliers] peut, dans les conditions du présent livre : 1° soit imposer un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire si elle constate que le débiteur ne possède que des biens meublants nécessaires à la vie courante et des biens non professionnels indispensables à l'exercice de son activité professionnelle, ou que l'actif n'est constitué que de biens dépourvus de valeur marchande ou dont les frais de vente seraient manifestement disproportionnés au regard de leur valeur vénale (...) ". Aux termes de l'article L. 741-1 du même code : " Si l'examen de la demande de traitement de la situation de surendettement fait apparaître que le débiteur se trouve dans la situation irrémédiablement compromise définie au deuxième alinéa de l'article L. 724-1 et ne possède que des biens mentionnés au 1° du même article L. 724-1, la commission impose un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. " Aux termes de l'article L. 741-2 : " En l'absence de contestation dans les conditions prévues à l'article L. 741-4, le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire entraîne l'effacement de toutes les dettes, professionnelles et non professionnelles, du débiteur, arrêtées à la date de la décision de la commission, à l'exception des dettes mentionnées aux articles L. 711-4 et L. 711-5 et des dettes dont le montant a été payé au lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé, personnes physiques. ". Aux termes de l'article L. 741-3 : " Les créances dont les titulaires n'ont pas été avisés de la décision imposée par la commission et n'ont pas contesté cette décision dans le délai fixé par décret mentionné à l'article L. 741-4 sont éteintes. ". Aux termes de l'article R. 741-1 : " Lorsque la commission impose un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, cette décision est notifiée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / Cette lettre mentionne les dispositions de l'article L. 741-4. Elle indique que la décision peut être contestée par déclaration remise ou adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au secrétariat de la commission dans un délai de trente jours à compter de sa notification. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 741-2 : " La commission procède à des mesures de publicité pour permettre aux créanciers qui n'ont pas été avisés de sa décision de former un recours devant le juge des contentieux de la protection. / Les titulaires de créances disposent d'un délai de deux mois à compter de cette publicité pour exercer leur recours ".
4. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour confirmer l'indu d'aide personnalisée au logement mis à la charge de M. E..., le tribunal administratif a jugé que le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire entraînait l'effacement des seules dettes ayant été déclarées à la commission de surendettement et a relevé qu'en l'espèce, il ne résultait d'aucun des éléments produits que cet indu aurait été effacé dans le cadre de la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire dont a bénéficié M. E.... En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article L. 741-2 du code de la consommation citées au point 3, si elles prévoient que l'effacement des dettes du débiteur par l'effet de la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire porte sur les dettes arrêtées à la date de la décision de la commission de surendettement des particuliers, n'ont cependant ni pour objet ni pour effet de limiter la portée de cet effacement aux seules dettes ayant été déclarées à cette commission, le tribunal administratif a commis une erreur de droit. Si le directeur de la CAF des Pyrénées-Orientales demande au Conseil d'Etat statuant au contentieux de substituer à ces motifs le motif tiré de ce que la dette d'aide personnalisée au logement ne peut en tout état de cause avoir été effacée par la décision du 30 janvier 2020 de la commission départementale de surendettement, dès lors que cette décision est antérieure à la décision ayant notifié l'indu correspondant, ce moyen, qui n'est pas d'ordre public et qui est présenté pour la première fois en cassation, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.
5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le dernier moyen du pourvoi ni qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident de la CAF des Pyrénées-Orientales, M. E... et Mme B... sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur leurs conclusions relatives à la décision portant récupération de l'indu, en tant qu'elle porte sur l'aide personnalisée au logement.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, représenté par le directeur de la CAF des Pyrénées-Orientales, la somme de 1 500 euros à verser à M. E... et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que la somme demandée par l'Etat soit mise à la charge de M. E... et Mme B..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 9 juin 2022 du tribunal administratif de Montpellier est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. E... et Mme B... relatives à la décision portant récupération de l'indu du 23 novembre 2020, en tant qu'elle porte sur l'aide personnalisée au logement.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure au tribunal administratif de Montpellier.
Article 3 : L'Etat, représenté par le directeur de la CAF des Pyrénées-Orientales, versera la somme de 1 500 euros à M. E... et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées au même titre par l'Etat sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... E..., premier requérant dénommé, et au directeur de la caisse d'allocations familiales des Pyrénées-Orientales.
Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 mai 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera et M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Jean-Dominique Langlais, conseiller d'Etat-rapporteur ;
Rendu le 31 mai 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Dominique Langlais
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras