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02/12/2024 | FRANCE | N°473678

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 02 décembre 2024, 473678


Vu la procédure suivante :



MM. A... B..., Christophe Constantin, Stéphane Magisson, Fabrice Quille, Raymond Roussinaud et Christophe Targa ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les six décisions du 13 juin 2019 par lesquelles l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Marne a autorisé la société Yto France à les licencier. Par six jugements n° 1901920, n° 1901921, n° 1901923, n° 1901925, n° 1901926, n° 1901928 du 26 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.



Par un arrêt n°s 20NC02143, 20NC02144, 20NC02145, 20NC02146, 20NC02147, 20NC...

Vu la procédure suivante :

MM. A... B..., Christophe Constantin, Stéphane Magisson, Fabrice Quille, Raymond Roussinaud et Christophe Targa ont demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler les six décisions du 13 juin 2019 par lesquelles l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Marne a autorisé la société Yto France à les licencier. Par six jugements n° 1901920, n° 1901921, n° 1901923, n° 1901925, n° 1901926, n° 1901928 du 26 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.

Par un arrêt n°s 20NC02143, 20NC02144, 20NC02145, 20NC02146, 20NC02147, 20NC02148, 20NC02149, 20NC02150, 20NC02151 du 28 février 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté les appels respectivement formés par M. B..., Constantin, Magisson, Quille, Roussinaud et Targa contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 avril et 28 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leurs appels ;

3°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et de la société Yto France la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- l'arrêté du 28 avril 2017 portant extension d'un accord national conclu dans le secteur de la métallurgie ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de MM. B..., Constantin, Targa, Quille, Roussinaud et Magisson ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision du 9 avril 2019, la directrice des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Grand-Est a validé l'accord collectif majoritaire du 22 février 2019 portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Yto France, spécialisée dans la production de boîtes de vitesse et de transmissions pour les tracteurs agricoles, prévoyant la suppression de 75 postes de travail et la création de 7 postes de travail. Dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan, par six décisions du 13 juin 2019, l'inspectrice du travail de l'unité départementale de la Haute-Marne a autorisé la société Yto France à licencier M. B..., Constantin, Magisson, Quille, Roussinaud et Targa, salariés protégés, pour motif économique. Par six jugements du 26 juin 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces décisions. M. B... et autres se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 28 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté les appels qu'ils ont respectivement formés contre ces jugements.

2. Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : / 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. / (...) 2° A des mutations technologiques ; / 3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; / 4° A la cessation d'activité de l'entreprise. / (...) ".

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière.

4. En premier lieu, lorsque l'employeur invoque, à l'appui d'un projet de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé, les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise, il n'appartient pas à l'autorité administrative de rechercher si ces difficultés sont dues à une faute de l'employeur, sans que sa décision fasse obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui aurait causé une telle faute.

5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que l'autorité administrative n'avait pas entaché sa décision d'illégalité en retenant que le motif économique du projet de licenciement était établi, la cour a relevé que le volume des ventes de la société Yto France avait significativement et continuellement baissé depuis 2013, que cette baisse s'était amplifiée à compter de 2017, entraînant une diminution du chiffre d'affaires de l'ordre de près de 15 millions d'euros en 2017 et de 11 millions d'euros à la fin du mois d'octobre 2018, et que ses résultats nets comptables avaient constamment diminué depuis 2011, aboutissant à une perte de plus de 4 millions d'euros pour l'année 2016 et de près de 6 millions d'euros pour l'année 2017, en dépit d'une recapitalisation et de la suppression de 40 postes dans le cadre d'un plan de départ volontaire en 2017, ainsi que du recours prolongé à un dispositif d'activité partielle à compter de l'année 2017. En s'abstenant ainsi de rechercher si ces difficultés économiques de l'entreprise étaient dues à une faute de l'employeur, elle n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit.

6. En second lieu, au titre du contrôle qui lui incombe, l'inspecteur du travail doit notamment vérifier la régularité de la demande d'autorisation de licenciement au regard de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, au nombre desquelles figurent les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié. En outre, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation légale et, le cas échéant, conventionnelle en matière de reclassement, il doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a été procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. En revanche, il ne lui appartient pas de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe.

7. Aux termes des stipulations de l'article 16.2 de l'accord national du 23 septembre 2016 relatif à l'emploi dans la métallurgie, étendu par l'arrêté du 28 avril 2017 de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social : " les entreprises qui envisagent le licenciement pour motif économique d'au moins 10 salariés en informent la ou les [commissions paritaires régionales de l'emploi et de la formation professionnelle] concernées ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que lorsque l'employeur qui, ayant un projet de licenciement collectif d'ordre économique, sollicite l'autorisation de licencier un salarié protégé, relève du champ d'application de cet accord du 23 septembre 2016, il appartient à l'inspecteur du travail, dans le cadre de son contrôle de la régularité de la procédure suivie par l'employeur, de vérifier si ce dernier a dûment saisi la commission territoriale de l'emploi.

8. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger remplie l'obligation conventionnelle résultant de l'article 16.2 de l'accord national du 23 septembre 2016 relatif à l'emploi dans la métallurgie, la cour a relevé, d'une part, que par deux lettres respectivement du 28 novembre 2018 et du 26 mars 2019, la société Yto France avait saisi la commission paritaire régionale de l'emploi et de la formation professionnelle des industries métallurgiques du Grand-Est de son projet de licenciement collectif, que la première lettre mentionnait les catégories de postes concernées et le nombre de salariés dont le licenciement était projeté, et que la seconde précisait la liste des postes des salariés concernés par l'accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi adopté le 22 février 2019, d'autre part, que ni les stipulations de l'accord national du 23 septembre 2016 ni aucune disposition législative ou règlementaire n'imposait de communiquer à cette commission paritaire le profil personnalisé des salariés concernés par le projet de licenciement collectif. Eu égard à ce qui été dit aux points 6 et 7, la cour n'a pas, en statuant ainsi, commis d'erreur de droit.

9. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de MM. B..., Constantin, Magisson, Quille, Roussinaud et Targa est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., premier requérant dénommé, à la société Yto France, à Me Hervé Dechriste, liquidateur judiciaire de cette société et à la ministre du travail et de l'emploi.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 473678
Date de la décision : 02/12/2024

Analyses

66-07-01-04-03 TRAVAIL ET EMPLOI. - LICENCIEMENTS. - AUTORISATION ADMINISTRATIVE - SALARIÉS PROTÉGÉS. - CONDITIONS DE FOND DE L'AUTORISATION OU DU REFUS D'AUTORISATION. - LICENCIEMENT POUR MOTIF ÉCONOMIQUE. - RÉDUCTION D’EFFECTIFS – CONTRÔLE DE L’AUTORITÉ ADMINISTRATIVE – CONTRÔLE DE L’IMPUTABILITÉ DES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES À LA FAUTE DE L’EMPLOYEUR – ABSENCE [RJ1].

66-07-01-04-03 Lorsque l’employeur invoque, à l’appui d’un projet de licenciement pour motif économique d’un salarié protégé dans le cadre d’une réduction d’effectifs, les difficultés économiques rencontrées par l’entreprise, il n’appartient pas à l’autorité administrative de rechercher si ces difficultés sont dues à une faute de l’employeur, sans que sa décision fasse obstacle à ce que le salarié, s’il s’y estime fondé, mette en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de l’employeur en demandant réparation des préjudices que lui aurait causé une telle faute.


Publications
Proposition de citation : CE, 02 déc. 2024, n° 473678
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:473678.20241202
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