Vu la procédure suivante :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 1er décembre 2022 par laquelle le président du conseil départemental des Ardennes a, sur son recours administratif préalable, confirmé la décision du 6 septembre 2021 de récupération d'un indu de revenu de solidarité active d'un montant de 11 694,70 euros pour la période du 1er octobre 2019 au 6 septembre 2021 et de le décharger de l'obligation de rembourser cet indu. Par un jugement n° 2200092 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 juin et 12 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Ardennes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat du département des Ardennes ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un contrôle, la caisse d'allocations familiales des Ardennes a retenu que M. D..., allocataire du revenu de solidarité active, menait depuis le 1er août 2019 une vie maritale avec la personne chez laquelle il vivait et a mis à sa charge, par une décision du 6 septembre 2021, un indu de revenu de solidarité active d'un montant de 11 694,70 euros. Cet indu a été confirmé, à la suite du recours administratif préalable exercé par M. D..., par une décision du 1er décembre 2021 du président du conseil départemental des Ardennes. Par un jugement du 11 avril 2023, contre lequel le département des Ardennes se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cette décision et déchargé M. D... de l'obligation de rembourser cet indu.
2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour annuler la décision du 1er décembre 2021 du président du conseil départemental des Ardennes, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est fondé sur deux motifs tirés, premièrement, de ce que M. C..., directeur général des services du département des Ardennes et signataire de la décision en litige, était incompétent pour la prendre et, deuxièmement, de ce que l'indu n'était pas justifié, la vie de couple stable et continue de M. D... avec la personne qui l'hébergeait à titre gracieux n'étant pas établie.
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles : " Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l'objet, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, d'un recours administratif auprès du président du conseil départemental ". D'autre part, aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 3221-3 du code général des collectivités territoriales : " Le président du conseil départemental est le chef des services du département. Il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, donner délégation de signature en toute matière aux responsables desdits services ". Enfin, l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que : " toute décision (...) comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". Ces dispositions n'imposent pas d'assortir une signature de la précision selon laquelle le signataire signe en son nom propre ou par délégation.
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 1er décembre 2021 par laquelle la décision du 6 septembre 2021 de récupération d'un indu de revenu de solidarité active a été confirmée a été signée par M. B... C..., directeur général des services du département des Ardennes. En jugeant que M. C... était l'auteur de cette décision en son nom propre et non le signataire de cette décision par délégation, alors que celui-ci disposait d'une délégation de signature du président du conseil départemental pour prendre une telle décision, le tribunal a commis une erreur de droit et a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un montant forfaitaire, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre. / Le revenu de solidarité active est une allocation qui porte les ressources du foyer au niveau du montant forfaitaire (...) ". L'article L. 262-3 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " L'ensemble des ressources du foyer (...) est pris en compte pour le calcul du revenu de solidarité active, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 515-8 du code civil : " Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. "
6. Il résulte de ces dispositions que, pour le bénéfice du revenu de solidarité active, le foyer s'entend du demandeur, ainsi notamment que, le cas échéant, de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin et des enfants ou personnes de moins de vingt-cinq ans à charge qui remplissent les conditions précisées par l'article R. 262-3 du code de l'action sociale et des familles. Pour l'application de ces dispositions, le concubin est la personne qui mène avec le demandeur une vie de couple stable et continue. Une telle vie de couple peut être établie par un faisceau d'indices concordants, au nombre desquels la circonstance que les intéressés mettent en commun leurs ressources et leurs charges.
7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite du déménagement de M. D..., qui a rendu le 1er août 2019 le logement qu'il occupait jusqu'alors pour vivre chez Mme A... à Charleville-Mézières et qui possède également une maison à Bogny-sur-Meuse assurée comme résidence secondaire, la caisse d'allocations familiales des Ardennes a, à la demande du département, diligenté une enquête, lors de laquelle le contrôleur assermenté, dont les constatations de fait font foi jusqu'à preuve du contraire, s'est rendu chez l'allocataire le 30 juillet 2021, soit deux ans après son emménagement chez Mme A..., et au terme de laquelle il a relevé que M. D... était toujours logé gracieusement par Mme A..., qu'il était connu à cette adresse de manière stable et continue auprès de l'administration fiscale et de l'assurance maladie, qu'il avait mentionné expressément en réponse aux demandes d'information complémentaires qui lui avaient été faites que cette adresse était " chez lui " sans préciser qu'il y serait hébergé par un tiers, que les intéressés se présentaient comme étant en couple sur les réseaux sociaux avec " de nombreuses photos de leurs vacances " vers plusieurs destinations " ne laissant aucun doute sur leur relation " et que l'examen des comptes bancaires de M. D... mettaient en évidence de nombreux mouvements financiers avec ceux de Mme A.... En jugeant que ce faisceau d'indices concordants n'établissait pas que M. D... menait avec Mme A... une vie de couple stable et continue, le tribunal administratif, qui n'a relevé aucun élément propre à apporter la preuve contraire des constatations de fait opérées par le contrôleur assermenté de la caisse d'allocations familiales, a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
8. Il suit de là que le département requérant est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 11 avril 2023 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Article 3 : Les conclusions présentées par le département des Ardennes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département des Ardennes et à M. E... D....
Délibéré à l'issue de la séance du 5 décembre 2024 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 30 décembre 2024.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Redondo
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber