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30/01/2025 | FRANCE | N°495916

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 30 janvier 2025, 495916


Vu les procédures suivantes :



1° Sous le n° 495916 :



Par une ordonnance n° 2313547, 2400710 du 9 juillet 2024, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 juillet 2024, la présidente du tribunal administratif de Melun a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe de ce tribunal le 19 janvier 2024, présentée par le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et l'association des avocats pour la défense

du droit des étrangers (ADDE).



Par cette requête, le GISTI et autr...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 495916 :

Par une ordonnance n° 2313547, 2400710 du 9 juillet 2024, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 juillet 2024, la présidente du tribunal administratif de Melun a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe de ce tribunal le 19 janvier 2024, présentée par le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et l'association des avocats pour la défense du droit des étrangers (ADDE).

Par cette requête, le GISTI et autre demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites nées du silence gardé par le président du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur la demande dont ils les ont saisis le 18 septembre 2023 et tendant à qu'ils prennent des mesures d'organisation aux fins de réduire le délai de délivrance des documents tenant lieu d'acte d'état civil aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire ;

2°) d'enjoindre à l'OFPRA et au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre toutes mesures utiles afin de réduire le délai de délivrance de ces documents à 60 jours, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'OFPRA et de l'Etat la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 495917 :

Par la même ordonnance du 9 juillet 2024, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 12 juillet 2024, la présidente du tribunal administratif de Melun a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée au greffe de ce tribunal le 18 décembre 2023, présentée par les associations La Cimade, service œcuménique d'entraide, Groupe accueil et solidarité, Service jésuite des réfugiés France, La ligue des droits de l'homme et DOM Asile.

Par cette requête, un nouveau mémoire, enregistré au greffe du tribunal administratif le 12 février 2024, et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 9 septembre, 14, 17 et 26 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, La Cimade, service œcuménique d'entraide, et autres demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les mêmes décisions que celles contestées par la requête présentée sous le n° 495916 ;

2°) d'enjoindre à l'OFPRA et au ministre de l'intérieur et des outre-mer de prendre les mêmes mesures que celles demandées par la requête n° 495916 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en tant qu'ordonnateur principal, d'examiner l'opportunité de faire application de l'article 12 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

4°) de mettre à la charge de l'OFPRA et de l'Etat la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2018-778 du 20 septembre 2018 ;

- le décret n° 2017-890 du 6 mai 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pierra Mery, maîtresse des requêtes en service extraordinaire ;

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'OFPRA ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 janvier 2025, présentée sous le n° 495917 par La Cimade, service œcuménique d'entraide, et autres.

Considérant ce qui suit :

1. La coordination française pour le droit d'asile a demandé à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et au ministre de l'intérieur et des outre-mer, par un courrier reçu le 18 septembre 2023, de prendre toutes mesures utiles en vue de réduire le délai de délivrance des pièces tenant lieu d'état civil aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire, afin que puisse leur être délivré le titre de séjour auquel ils ont droit et dont la détention conditionne l'exercice des droits et libertés qui leur sont reconnus. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une même décision, le GISTI et autre, d'une part, et La Cimade, service œcuménique d'entraide, et autres, d'autre part, demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles l'OFPRA et le ministre de l'intérieur et des outre-mer ont rejeté cette demande et d'enjoindre à ces autorités de prendre les mesures demandées.

Sur l'office du juge :

2. Lorsque le juge administratif est saisi d'une requête tendant à l'annulation du refus opposé par l'administration à une demande tendant à ce qu'elle prenne des mesures pour faire cesser la méconnaissance d'une obligation légale lui incombant, il lui appartient, dans les limites de sa compétence, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité et, si tel est le cas, d'enjoindre à l'administration de prendre la ou les mesures nécessaires. Cependant, et en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.

3. Il incombe à l'administration d'accomplir ses missions dans le respect des règles de droit qui lui sont applicables. Elle doit, à cet effet, faire disparaître de l'ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et qui relèvent de sa compétence. Il lui appartient, en outre, de prendre les mesures administratives d'ordre juridique, financier, technique ou organisationnel qu'elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité. Lorsque le juge administratif constate, eu égard notamment à la gravité ou à la récurrence des défaillances relevées, la méconnaissance caractérisée d'une règle de droit dans l'accomplissement de ses missions par l'administration et que certaines mesures administratives seraient, de façon directe, certaine et appropriée, de nature à en prévenir la poursuite ou la réitération, il lui revient, dans les limites de sa compétence et sous la réserve mentionnée au point 2, d'apprécier si le refus de l'administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité. Cette illégalité ne peut être regardée comme constituée que s'il apparaît au juge qu'au regard de la portée de l'obligation qui pèse sur l'administration, des mesures déjà prises, des difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, des contraintes liées à l'exécution des missions dont elle a la charge et des moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l'obligation, dont elle devrait se doter, celle-ci est tenue de mettre en œuvre des actions supplémentaires.

4. Lorsque l'illégalité du refus de l'administration de prendre des mesures est établie, le juge, saisi de conclusions en ce sens, lui enjoint d'y mettre fin par toutes mesures utiles. Il appartient normalement aux autorités compétentes de déterminer celles des mesures qui sont les mieux à même d'assurer le respect des règles de droit qui leur sont applicables. Toutefois, le juge peut circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l'instruction a révélé l'existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées, le défendeur conservant la possibilité de justifier de l'intervention, dans le délai qui a lui été imparti, de mesures relevant d'un autre domaine mais ayant un effet au moins équivalent. Enfin, dans l'hypothèse où l'édiction d'une mesure déterminée se révèle, en tout état de cause, indispensable au respect de la règle de droit méconnue et où l'abstention de l'autorité compétente de prendre cette mesure exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée, il appartient au juge d'ordonner à l'administration de prendre la mesure considérée.

Sur le litige :

5. L'article L. 121-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que l'OFPRA " exerce la protection juridique et administrative des réfugiés et apatrides ainsi que celle des bénéficiaires de la protection subsidiaire ". Aux termes de l'article L. 121-9 de ce code, l'Office " est habilité à délivrer aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire ou du statut d'apatride, après enquête s'il y a lieu, les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil (...) ". Il résulte des dispositions des articles R. 424-1 et R. 424-7 de ce code qu'est délivrée au bénéficiaire d'une protection internationale, selon le cas, une carte de résident ou une carte de séjour pluriannuelle, dans un délai de trois mois à compter de la décision de reconnaissance de cette protection au vu notamment de documents justifiant de sa nationalité et de son état civil, les justificatifs d'état civil étant constitués, en vertu de l'annexe 10 de ce code, par " une attestation d'état civil (transmise par l'OFPRA à la préfecture en vue de la fabrication du titre) ". Il résulte de ces dispositions que, dès lors que les attestations d'état civil établies par l'Office constituent les pièces justificatives obligatoires pour l'établissement par le préfet du titre de séjour découlant de la protection internationale accordée, leur délai de délivrance intervient, en principe, dans le délai de trois mois à compter de la décision d'octroi de la protection internationale dans lequel le préfet doit établir un tel titre.

6. Il ressort des pièces des dossiers que le délai de délivrance des attestations d'état civil aux personnes nouvellement bénéficiaires d'une protection internationale n'a cessé de croître entre 2017 et 2023, passant de 3,8 mois à 11,7 mois en moyenne. Les associations requérantes soutiennent que ce délai, excessif, a pour conséquence de rendre difficile, voire impossible, l'accès des personnes protégées aux droits et libertés, notamment sociaux et économiques, que garantit leur statut, dès lors qu'il allonge d'autant le délai d'instruction des demandes de titres de séjour par les préfets et par suite le délai d'attente pour le plein exercice de ces droits et libertés.

7. Toutefois, d'une part, il ressort des pièces des dossiers que des mesures de renforcement et de réorganisation du service protection de l'OFPRA ont été engagées et mises en œuvre depuis 2022. Si l'Office a dû faire face, ces dernières années, à une augmentation importante des demandes d'asile et à la croissance du nombre de personnes placées sous sa protection, les délais de délivrance des attestations d'état civil par l'Office ont ainsi commencé à décroître à compter du dernier trimestre 2023, pour être ramenés à moins de dix mois.

8. D'autre part, il résulte des articles R. 431-15-3 et R. 431-15-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le préfet met à disposition du réfugié ou du bénéficiaire d'une protection subsidiaire qui a souscrit une demande de titre de séjour, dont l'obtention est de droit, une attestation de prolongation de l'instruction de sa demande portant la mention " reconnu réfugié " ou " a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire ", d'une durée de six mois renouvelable, lui permettant " de justifier de la régularité de son séjour pendant la durée qu'il précise et [qui] lui confère le droit d'exercer la profession de son choix ". Par ailleurs, afin de tenir compte des délais d'établissement des attestations d'état civil, la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a créé dans ce code un article L. 561-16 aux termes duquel, " dans l'attente de la fixation définitive de son état civil par l'OFPRA, le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire peut solliciter le bénéfice des droits qui lui sont ouverts en application du code du travail, du code de la sécurité sociale, du code de l'action sociale et des familles et du code de la construction et de l'habitation, sur la base de la composition familiale prise en compte dans le cadre de l'examen des demandes d'asile (...) ", en fournissant l'attestation établie, sur demande, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ou par le gestionnaire du lieu d'hébergement, sur présentation de la décision lui reconnaissant la qualité de réfugié ou lui accordant le bénéfice de la protection subsidiaire. Il résulte ainsi de ces différentes dispositions que la seule qualité de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire et l'attestation de prolongation d'instruction délivrée par le préfet dans l'attente de l'obtention des justificatifs d'état civil nécessaires à l'établissement du titre permettent aux intéressés d'exercer l'essentiel des droits et libertés attachés à leur statut.

9. Si les associations requérantes font valoir qu'alors que les délais de délivrance des attestations d'état civil par l'OFPRA demeurent excessifs, la méconnaissance ou l'inexacte application des dispositions législatives et règlementaires citées au point 8 ainsi que les problèmes rencontrés dans certaines préfectures pour obtenir l'attestation de prolongation d'instruction ou son renouvellement rendent difficile voire impossible l'exercice de certains droits par les bénéficiaires d'une protection internationale, elles se bornent sur ce point à des allégations générales. Eu égard à la difficulté inhérente aux missions qu'exerce l'OFPRA, en particulier dans l'établissement des justificatifs d'état civil des personnes protégées, le seul constat d'un délai excessif de délivrance de ces justificatifs d'état civil et des titres de séjour, dont il n'est pas établi, eu égard à l'ensemble des mesures administratives et des dispositions législatives et règlementaires déjà prises, décrites au point 8, qu'il entraînerait par lui-même une atteinte caractérisée à la protection due aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire et à l'exercice de leurs droits et libertés, n'est pas de nature à entacher d'illégalité le refus de prendre des mesures supplémentaires. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des décisions contestées.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par le ministre de l'intérieur et l'OFPRA, que les requêtes du GISTI et autre et de La Cimade et autres doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes du GISTI et autre et de La Cimade et autres sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Groupe d'information et de soutien des immigrés, à l'association La Cimade, premières associations requérantes dénommées, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et Mme Pierra Mery, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 30 janvier 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Pierra Mery

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 495916
Date de la décision : 30/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jan. 2025, n° 495916
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pierra Mery
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 01/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:495916.20250130
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