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18/02/2025 | FRANCE | N°497683

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 18 février 2025, 497683


Vu la procédure suivante :



La société en nom collectif (SNC) Thunder (France) Propco II a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020 dans les rôles de la commune de Baziège (Haute-Garonne). Par un jugement n° 2206662 du 9 juillet 2024, la magistrate désignée par le président de ce tribunal a rejeté cette demande.



Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enreg

istrés les 9 septembre et 9 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l...

Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) Thunder (France) Propco II a demandé au tribunal administratif de Toulouse de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020 dans les rôles de la commune de Baziège (Haute-Garonne). Par un jugement n° 2206662 du 9 juillet 2024, la magistrate désignée par le président de ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 septembre et 9 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Thunder (France) Propco II demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Thunder (France) Propco II ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

3. Aux termes, d'une part, des dispositions de l'article 1518 A sexies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 156 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " I.- En cas de changement de méthode de détermination de la valeur locative d'un bâtiment ou terrain industriel en application des articles 1499-00 A ou 1500, la variation de la valeur locative qui en résulte fait l'objet d'une réduction dans les conditions prévues au II du présent article. / Cette réduction s'applique également à la variation de la valeur locative résultant d'un changement d'affectation au sens de l'article 1406 pour les locaux mentionnés au premier alinéa du présent I nouvellement affectés à un usage professionnel ou réciproquement. II.- A.- La réduction prévue au I s'applique lorsque la variation de valeur locative excède 30 % de la valeur locative calculée avant la prise en compte du changement prévu au même I et, le cas échéant, après l'application de l'avant-dernier alinéa de l'article 1467 et de l'article 1518 A quinquies. / La réduction est égale à 85 % du montant de la variation de valeur locative la première année où le changement est pris en compte, à 70 % la deuxième année, à 55 % la troisième année, à 40 % la quatrième année, à 25 % la cinquième année et à 10 % la sixième année. / Lorsque l'exploitant change pendant l'application de la réduction prévue au premier alinéa du présent A, ou lorsque le bâtiment ou terrain est concerné par l'application du I de l'article 1406, la réduction de valeur locative cesse de s'appliquer pour les impositions établies au titre de l'année qui suit la réalisation de l'un de ces changements. / (...) ".

4. Aux termes, d'autre part, des dispositions de l'article 1406 du code général des impôts : " I. - Les constructions nouvelles, ainsi que les changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties, sont portés par les propriétaires à la connaissance de l'administration, dans les quatre-vingt-dix jours de leur réalisation définitive et selon les modalités fixées par décret. Il en est de même pour les changements d'utilisation des propriétés bâties mentionnées au I de l'article 1498, pour les changements de catégorie des propriétés bâties mentionnées au I de l'article 146 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 et pour les changements de méthode de détermination de la valeur locative en application des articles 1499-00 A ou 1500 du présent code. / (...) ". Aux termes de l'article 1500 du même code : " I.-A.- Revêtent un caractère industriel les bâtiments et terrains servant à l'exercice d'une activité de fabrication ou de transformation de biens corporels mobiliers qui nécessite d'importants moyens techniques. / Revêtent également un caractère industriel les bâtiments et terrains servant à l'exercice d'activités autres que celles mentionnées au premier alinéa du présent A qui nécessitent d'importants moyens techniques lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant. / B.-1. Toutefois, dans les deux cas mentionnés au A, lorsque la valeur des installations techniques, matériels et outillages présents dans les bâtiments ou sur les terrains et destinés à l'activité ne dépasse pas un montant de 500 000 €, ces bâtiments et terrains ne revêtent pas un caractère industriel. / (...) ". Enfin, l'article 1499-00 A et le II de l'article 1500 du même code précisent les conditions dans lesquelles certains locaux de caractère industriel doivent être évalués selon la méthode normalement réservée à l'évaluation des locaux professionnels, prévue à l'article 1498 du même code.

5. Il résulte des dispositions précitées de l'article 1518 A sexies du code général des impôts que, lorsque des bâtiments ou terrains de caractère industriel, au sens des dispositions du I de l'article 1500 du code général des impôts, passibles de la taxe foncière, font l'objet, par application des dispositions de l'article 1499-00 A ou du II de l'article 1500 du même code, d'un changement de méthode de détermination de leur valeur locative, et que ce changement de méthode entraîne une variation de cette valeur dans une proportion excédant 30 %, la différence entre la valeur locative antérieure et la valeur locative nouvelle fait l'objet d'une réduction, destinée à lisser, sur une période de six ans, les écarts d'imposition, à la hausse ou à la baisse, qu'emporte un tel changement. Ce mécanisme de lissage s'applique, dans les mêmes conditions, à la variation de la valeur locative résultant d'un changement d'affectation de bâtiments et terrains qui, alors qu'ils revêtaient auparavant un caractère industriel, deviennent des locaux professionnels, ou de locaux anciennement professionnels acquérant, du fait d'un changement d'affectation, un caractère industriel. Ces dispositions ont pour objet, ainsi qu'il résulte des travaux préparatoires à leur adoption, d'atténuer les effets, pour les contribuables, d'un rehaussement des valeurs locatives et de lisser les effets financiers, pour les collectivités territoriales, d'une diminution des valeurs locatives de propriétés situées sur leur territoire. En vertu, toutefois, des dispositions du troisième alinéa du A du II du même article, ce lissage de la variation des valeurs locatives cesse notamment de s'appliquer lorsque l'exploitant change ou lorsque se produit tout événement entrant dans le champ du I de l'article 1406 du code général des impôts, postérieurement au changement de méthode de détermination de la valeur locative ou au changement d'affectation à l'origine de son application.

6. La société Thunder (France) Propco II soutient que les dispositions de l'article 1518 A sexies du code général des impôts porteraient atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques en ce que le mécanisme de lissage qu'elles instituent, hors de tout dispositif transitoire lié à l'entrée en vigueur d'une législation nouvelle, serait susceptible d'entraîner, lorsqu'il s'applique à un bien ayant fait l'objet d'un changement d'affectation, une déconnexion injustifiée et ne reposant pas sur des critères objectifs et rationnels entre, d'une part, la faculté contributive réelle s'attachant à la détention de ce bien au regard des faits existants au 1er janvier de l'année d'imposition et, d'autre part, la valeur locative cadastrale retenue, après lissage, pour le calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties due à raison de ce bien.

7. Les dispositions contestées sont applicables au présent litige, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux. Par suite, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 1518 A sexies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année 2020, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société SNC Thunder (France) Propco II jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif Thunder (France) Propco II, au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; Mme Emilie Bokdam-Tognetti, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillères d'Etat, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 février 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 497683
Date de la décision : 18/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 18 fév. 2025, n° 497683
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Prévot
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:497683.20250218
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