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25/02/2025 | FRANCE | N°499430

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 25 février 2025, 499430


Vu la procédure suivante :



La société Espinho, à l'appui de sa demande tendant à la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2020 et 2021, a produit des mémoires, enregistrés les 10 et 28 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.



Par une ordonnance n° 2309111

du 3 décembre 2024, enregistrée le

5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du con...

Vu la procédure suivante :

La société Espinho, à l'appui de sa demande tendant à la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2020 et 2021, a produit des mémoires, enregistrés les 10 et 28 octobre 2024 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2309111 du 3 décembre 2024, enregistrée le

5 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Espinho, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du

7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistré le 10 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Espinho soutient, d'une part, que les dispositions du 2 du I de l'article 1737 du code général des impôts, applicables au litige, méconnaissent le principe de proportionnalité des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, d'autre part, qu'un changement de circonstances de droit est intervenu depuis la décision du Conseil constitutionnel n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 par laquelle ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution.

Par trois mémoires, enregistrés les 25 octobre et 8 novembre 2024 et le 15 janvier 2025, le ministre de l'économie, des finances et de la relance soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et en particulier que les dispositions contestées ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 et que la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 97-395 DC du 30 décembre 1997 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agathe Lieffroy, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Espinho ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 31 janvier 2025, présentée par la société Espinho ;

Considérant ce qui suit :

1. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 1737 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du

montant : (...) 2. De la facture, le fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle ".

3. La société Espinho soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles prévoient une amende dont le taux est fixé à 50 % d'un montant, qui, ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle, est décorrélé de la situation financière de l'auteur de la facture et sans lien avec un éventuel préjudice financier subi par le Trésor public.

4. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, qui découle nécessairement de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avec le principe énoncé par son article 8, aux termes duquel : " La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ". Il résulte notamment de ces dernières dispositions, qui s'appliquent à toute sanction ayant le caractère de punition, qu'une peine ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés les principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines dont découle le principe de proportionnalité des peines, et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère, ainsi que les droits de la défense.

5. En premier lieu, en sanctionnant d'une amende fiscale la délivrance de factures fictives, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle, d'une part, au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l'acquéreur allégué d'un produit ou d'une prestation de service ne correspondant à aucune réalité et, d'autre part, au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

6. En second lieu, d'une part, en fixant l'amende encourue en proportion du montant figurant sur la facture fictive, le législateur a instauré une sanction dont l'assiette est en lien avec la nature de l'infraction. D'autre part, le taux de 50 % retenu ne peut être regardé comme manifestement disproportionné au regard de la gravité des manquements que le législateur a entendu réprimer, dès lors que ceux-ci portent sur une opération réalisée par des professionnels dans le cadre de leur activité et ont nécessairement un caractère intentionnel.

7. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente, en tout état de cause, pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Strasbourg.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Espinho et à la ministre chargée des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre ainsi qu'au tribunal administratif de Strasbourg.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 janvier 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et Mme Agathe Lieffroy, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 25 février 2025.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

La rapporteure :

Signé : Mme Agathe Lieffroy

Le secrétaire :

Signé : M. Brian Bouquet

La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 499430
Date de la décision : 25/02/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 25 fév. 2025, n° 499430
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agathe Lieffroy
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SARL MEIER-BOURDEAU, LECUYER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499430.20250225
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