Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 22VE00659 du 16 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a enjoint au maire de la commune de Saint-Prix de placer M. A... B... en congé de longue maladie pendant un an à compter du 24 janvier 2017 puis en congé de longue durée jusqu'au 23 mars 2019, de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux, notamment ses droits à pension de retraite, pour la période comprise entre le 24 janvier 2017 et le 23 mars 2019, et de lui verser le traitement et les éventuelles primes ou indemnités auxquelles il peut prétendre au regard de la réglementation applicable, et a prononcé une astreinte de 50 euros par jour de retard à l'encontre de la commune faute d'exécution dans un délai de deux mois.
Par un arrêt n° 22VE00659 du 6 juillet 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur la requête de M. B..., premièrement, condamné la commune de Saint-Prix à verser à ce dernier la somme de 2 000 euros au titre de la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée par l'arrêt du 16 novembre 2022 pour la période comprise entre le 19 janvier et le 6 juillet 2023, deuxièmement, ordonné à la commune de lui communiquer sans délai la copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter l'arrêt de la cour du 16 novembre 2022 en ce qui concerne la prime annuelle dite de " 13ème mois " et l'indemnisation des congés payés non pris, et troisièmement, rejeté le surplus de la requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 août et 13 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Saint-Prix demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce dernier arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de M. B... et, le cas échéant, de supprimer l'astreinte prononcée à son encontre ou à tout le moins d'en modérer le montant ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- l'arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- l'arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Christine Allais, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la commune de Saint-Prix ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., alors adjoint technique territorial de la commune de Saint-Prix, a été placé en congé de maladie ordinaire en raison d'un syndrome anxio-dépressif, à compter du 24 janvier 2017. Par deux arrêtés des 6 septembre et 27 novembre 2018, le maire de la commune l'a placé en disponibilité d'office et a implicitement rejeté sa demande de congé de longue durée. Par un jugement du 3 mars 2020, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé ces arrêtés. M. B... a demandé à la cour d'assurer l'exécution de cet arrêt du 10 mai 2021. Par un arrêt du 16 novembre 2022, la cour, d'une part, a enjoint au maire de Saint-Prix de placer M. B... en congé de longue maladie pendant un an à compter du 24 janvier 2017 puis en congé de longue durée jusqu'au 23 mars 2019, de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux, notamment ses droits à pension de retraite, pour la période comprise entre le 24 janvier 2017 et le 23 mars 2019, et de lui verser le traitement et les éventuelles primes ou indemnités auxquelles il peut prétendre au regard de la réglementation applicable et, d'autre part, a prononcé à l'encontre de la commune une astreinte, au taux de 50 euros par jour, à défaut de pouvoir justifier dans un délai de deux mois avoir exécuté l'arrêt du 10 mai 2021. La commune de Saint-Prix doit être regardée comme demandant l'annulation de l'arrêt du 6 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles, saisie par M. B... d'une nouvelle demande d'exécution complète de l'arrêt du 10 mai 2021, en tant que la cour a jugé que cet arrêt n'était pas entièrement exécuté en ce qui concerne la prime annuelle dite de " 13ème mois " et l'indemnisation des congés payés non pris et a, en conséquence, d'une part, liquidé provisoirement à un montant de 2 000 euros, pour la période comprise entre le 19 janvier et le 6 juillet 2023, l'astreinte prononcée par l'arrêt du 16 novembre 2022 et, d'autre part, enjoint à la commune de justifier des mesures prises pour exécuter l'arrêt du 16 novembre 2022 en ce qui concerne les deux points non encore entièrement exécutés.
Sur le pourvoi de la commune de Saint-Prix :
2. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, font obstacle, d'une part, à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période, parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de la période en cause, s'éteigne à l'expiration de celle-ci et, d'autre part, à ce que, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, tout droit à indemnité financière soit dénié au travailleur qui n'a pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé. Ce droit au report ou, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, à indemnisation financière, s'exerce toutefois, en l'absence de dispositions sur ce point dans le droit national, dans la limite de quatre semaines par année de référence prévue par les dispositions citées ci-dessus de l'article 7 de la directive.
3. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est en outre pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une durée de report de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive. Par ailleurs, le droit à l'indemnité financière de remplacement des congés annuels non pris doit s'apprécier à la date de la fin de la relation de travail mentionnée par l'article 7 de la directive, le nombre de jours de congés non pris indemnisables à ce titre correspondant au nombre de jours de congés dont, à cette date, le report demeure possible.
4. Aux termes de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l'autorité territoriale. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point 2 et, par suite, illégales. En revanche, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant une période de report, il est en principe loisible à l'autorité territoriale de rejeter une demande de report des jours de congés annuels non pris par un fonctionnaire territorial en raison d'un congé de maladie lorsque cette demande tend au report de ces jours de congés au-delà d'une période de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congés annuels ont été ouverts. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 qu'il en va de même, par voie de conséquence, pour une demande d'indemnisation au titre de congés annuels non pris pour lesquels cette période de report de quinze mois est expirée à la date de la fin de la relation de travail. Est à cet égard sans incidence la circonstance que le délai dans lequel l'agent doit, après la fin de la relation de travail, demander le bénéfice de cette indemnisation ne soit, quant à lui, pas limité à quinze mois.
5. Dès lors, en jugeant que la limitation à quinze mois de la période de report ne s'imposait qu'aux demandes de report de jours de congés annuels non pris, mais non aux demandes tendant à leur indemnisation du fait de la fin de la relation de travail, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la commune de Saint-Prix est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque dans la mesure où la cour a jugé que son arrêt du 10 mai 2021 n'était pas entièrement exécuté, et a, d'une part, liquidé provisoirement à un montant de 2 000 euros, pour la période comprise entre le 19 janvier et le 6 juillet 2023, l'astreinte prononcée par l'arrêt du 16 novembre 2022 et, d'autre part, enjoint à la commune de justifier des mesures prises pour exécuter l'arrêt du 16 novembre 2022 en ce qui concerne la prime annuelle dite de " 13ème mois " et l'indemnisation des congés payés non pris.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, ce qui implique de se prononcer sur l'exécution de l'arrêt du 10 mai 2021 en ce qui concerne les seuls points faisant l'objet de la cassation, l'arrêt attaqué du 6 juillet 2023 étant devenu définitif en tant qu'il juge que l'arrêt du 10 mai 2021 a été entièrement exécuté sur les autres points invoqués par M. B..., faute d'avoir été contesté dans cette mesure.
Sur la requête de M. B... :
8. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. / Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ". Aux termes de l'article L. 911-6 du même code : " L'astreinte est provisoire ou définitive. Elle doit être considérée comme provisoire à moins que la juridiction n'ait précisé son caractère définitif. Elle est indépendante des dommages et intérêts ". Aux termes de l'article L. 911-7 du même code : " En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. / Sauf s'il est établi que l'inexécution de la décision provient d'un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l'astreinte définitive lors de sa liquidation. / Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée ".
9. M. B... soutient qu'il aurait dû percevoir intégralement au titre des années 2018, 2019, 2020 et 2021 la prime annuelle dite de " 13ème mois " qui lui était versée auparavant. Toutefois, la commune de Saint-Prix produit une délibération du 19 décembre 2017 qui a institué, à compter du 1er janvier 2018, un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), ayant " vocation à se substituer à l'ensemble des primes et indemnités des différentes filières ", et qui a prévu que les agents absents de leur travail au-delà de cinq jours dans les trente jours précédant la date de fin d'un arrêt de travail ne percevraient plus leur régime indemnitaire sauf si l'absence est imputable à des congés de maternité, des congés de paternité, des congés annuels ou à la formation.
10. Il résulte de cette délibération qu'aucune rémunération indemnitaire ne pouvait être légalement versée par la commune de Saint-Prix à M. B... dès lors qu'il était placé en congé de longue maladie, puis de longue durée.
11. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la commune de Saint-Prix est fondée à soutenir qu'elle ne pouvait donner une suite favorable à la demande d'indemnisation des congés payés acquis au cours du congé de longue maladie et du congé de longue durée mais non pris présentée par M. B... au titre des années 2017, 2018 et 2019 dès lors qu'étaient expirées, à la date de départ en retraite de l'intéressé, soit le 23 janvier 2022, les périodes de quinze mois suivant le terme de chacune de ces années au cours desquelles les droits à congés annuels ouverts au titre de ces années pouvaient être reportés. S'agissant en revanche de l'indemnisation des congés non pris au titre des années 2020, 2021 et 2022, il résulte de l'instruction, en particulier du bulletin de paie de régularisation pour la période du 1er au 31 mars 2023 produit par la commune, qu'elle a donné lieu au versement par la commune à l'intéressé d'une indemnité représentative de ses congés payés.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'arrêt du 10 mai 2021 doit être regardé comme ayant été entièrement exécuté. Il n'y a dès lors pas lieu de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de la commune de Saint-Prix. La requête de M. B... doit par suite être rejetée.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Prix qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à ce titre une somme à la charge de M. B....
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt n° 22VE00659 du 6 juillet 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant que la cour, d'une part, a liquidé provisoirement à un montant de 2 000 euros, pour la période comprise entre le 19 janvier et le 6 juillet 2023, l'astreinte prononcée par l'arrêt du 16 novembre 2022 et, d'autre part, a enjoint à la commune de Saint-Prix de justifier des mesures prises pour exécuter l'arrêt du 16 novembre 2022 en ce qui concerne la prime annuelle dite de " 13ème mois " et l'indemnisation des congés payés non pris.
Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Prix au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Saint-Prix.
Copie en sera adressée à M. A... B... et au ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 mars 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et Mme Christine Allais, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 4 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Christine Allais
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin