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06/06/2025 | FRANCE | N°468299

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 06 juin 2025, 468299


Vu les procédures suivantes :



Mme AB... C... et M. O... J..., d'une part, et Mmes I... V..., Lucille AC..., Z... Y..., H... W..., AA... E..., U... R..., A... P..., Florence G..., D... S..., L... K... et Marie Legeron et MM. X... Q... et T... B..., d'autre part, exerçant tous la profession d'infirmier libéral, ont déposé des plaintes ordinales, auxquelles le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de la Gironde s'est associé, à l'encontre de M. F... M..., infirmier libéral, et de la société d'exercice libéral par actions simplifiée ... devant la

chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des infirmiers de...

Vu les procédures suivantes :

Mme AB... C... et M. O... J..., d'une part, et Mmes I... V..., Lucille AC..., Z... Y..., H... W..., AA... E..., U... R..., A... P..., Florence G..., D... S..., L... K... et Marie Legeron et MM. X... Q... et T... B..., d'autre part, exerçant tous la profession d'infirmier libéral, ont déposé des plaintes ordinales, auxquelles le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de la Gironde s'est associé, à l'encontre de M. F... M..., infirmier libéral, et de la société d'exercice libéral par actions simplifiée ... devant la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des infirmiers de la région Nouvelle-Aquitaine. Par une décision n° 33-2019-00111 et 33-2019-00112 du 9 mars 2021, la chambre disciplinaire de première instance a rejeté ces plaintes.

Par une décision n° 33-2021-0359-2, 33-2021-0359-1 et 33-2021-0359 du 12 septembre 2022, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers, saisie d'appels par le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de la Gironde, de première part, M. J... et Mme C..., de deuxième part, et Mmes AC..., Y..., W..., E..., R..., P..., S... et K... et MM. J..., Q... et B..., de troisième part, a donné acte à Mmes G..., V... et Legeron de leur désistement, infligé à M. M... et à la ... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession d'infirmier pendant une durée de trois ans, assortie du sursis, et leur a enjoint de saisir le conseil de l'ordre des infirmiers de la Gironde, dans un délai de six mois sous astreinte de 1 000 euros par mois de retard passé ce délai, d'un avenant au contrat de collaboration respectant les règles déontologiques.

1° Sous le n° 468299, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux autres mémoires, enregistrés le 17 octobre 2022, le 17 janvier 2023 et les 19 janvier, 20 février et 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... M... et la ... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 12 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les appels ;

3°) de mettre à la charge solidaire des appelants la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 468901, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 novembre 2022 et 15 février 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. O... J..., Mme AB... C..., M. T... B..., Mme D... S..., Mme AA... E..., Mme U... R..., Mme A... P..., Mme H... W..., Mme L... K..., M. X... Q..., Mme Z... Y... et Mme N... AC... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 12 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers ;

2°) de mettre à la charge de M. M... et de la ... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. M... et de la ..., à Maître Ridoux, avocat de Mme AB... C... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des énonciations de la décision attaquée que, par deux plaintes distinctes, M. J... et plusieurs autres infirmiers libéraux exerçant à Bordeaux et dans son agglomération, ont formé des plaintes ordinales, auxquelles le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de la Gironde s'est associé, à l'encontre de M. M... et de la ..., inscrits au tableau de l'ordre des infirmiers de la Gironde. Cette société, dont M. M... est le seul associé et le gérant, emploie environ 25 à 35 collaborateurs infirmiers libéraux contractuels exerçant dans l'agglomération bordelaise et met à disposition des patients une permanence téléphonique centralisée leur permettant de se voir proposer, en fonction de leur lieu de résidence, un infirmier pour la prise en charge de leurs soins. Par une décision du 9 mars 2021, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des infirmiers de Nouvelle-Aquitaine a rejeté les plaintes dont elle était saisie. Par des pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, M. M... et la ..., d'une part, M. J... et autres d'autre part, demandent l'annulation, en tant qu'elle leur fait grief, de la décision du 12 septembre 2022 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers a, sur l'appel des plaignants et du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de la Gironde, réformé la décision de la chambre disciplinaire de première instance, infligé à M. M... et à la ... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession d'infirmier pendant une durée de trois ans, assortie du sursis, et leur a enjoint de saisir le conseil de l'ordre des infirmiers de la Gironde, dans un délai de six mois sous astreinte de 1 000 euros par mois de retard passé ce délai, d'un avenant au contrat de collaboration respectant les règles déontologiques, soit par le biais d'une " communication " au sens de l'article L. 4113-9 du code de la santé publique, soit par celui d'une " soumission " au sens de l'article L. 4113-12 du même code.

2. Le désistement de Mmes E..., P..., W... et AC... est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il leur en soit donné acte.

Sur le pourvoi de M. M... et de la ... :

En ce qui concerne la régularité de la décision attaquée :

3. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information. Il s'ensuit que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier.

4. M. M... soutient sans être contredit qu'il n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire préalablement à l'audience de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers. Il ressort des mentions de la décision attaquée qu'il était présent à cette audience et que la parole lui a été donnée. Il n'est pas établi ni même allégué que les propos qu'il y a tenus n'auraient pas été susceptibles de lui préjudicier. Par suite, M. M... est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque a été rendue au terme d'une procédure irrégulière.

En ce qui concerne le bien-fondé de la décision attaquée :

S'agissant du grief relatif au partage d'honoraires :

5. Aux termes de l'article R. 4312-30 du code de la santé publique : " Hormis les cas prévus dans les contrats validés par le conseil départemental de l'ordre et sous réserve des dispositions de l'article L. 4312-15, le partage d'honoraires entre infirmiers ou entre un infirmier et un autre professionnel de santé est interdit. L'acceptation, la sollicitation ou l'offre d'un partage d'honoraires, même non suivies d'effet, sont interdites. / La distribution des dividendes entre les membres d'une société d'exercice ne constitue pas un partage d'honoraires prohibé. Les rétrocessions d'honoraires prévues par les contrats d'exercice ne sont pas considérées comme des partages d'honoraires ". Pour juger que M. M... et la ... avaient méconnu l'interdiction prévue par ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale s'est fondée sur la circonstance que la redevance pour services rendus prévue par les contrats conclus entre la société et les collaborateurs infirmiers libéraux, qui était fixée à 20 % de la valeur des actes et majorations facturées par chaque infirmier à laquelle s'ajoutait le montant des aides de l'assurance maladie au titre de la télétransmission, n'était, en raison de ce mode de calcul, pas proportionnelle aux charges effectivement supportées par la société pour chaque infirmier concerné. En statuant ainsi, alors que cette considération est étrangère à la qualification de partage d'honoraires prohibé par les dispositions citées ci-dessus, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

S'agissant des griefs tirés du caractère inadapté du local professionnel et de l'exercice forain de la profession d'infirmier :

6. D'une part, aux termes de l'article R. 4312-67 du code de la santé publique : " L'infirmier dispose, au lieu de son exercice professionnel, d'une installation adaptée et de moyens techniques pertinents pour assurer l'accueil, la bonne exécution des soins, la sécurité des patients ainsi que le respect du secret professionnel. / (...) Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes professionnels ou la sécurité des personnes examinées ". Pour juger que M. M... et la ... avaient méconnu ces dispositions, la chambre disciplinaire nationale a estimé que, dès lors que les infirmiers collaborateurs exerçaient leur activité à l'échelle de l'ensemble de l'agglomération bordelaise, il appartenait à la société de proportionner le nombre de sites de consultations dont elle disposait tant au nombre d'infirmiers susceptibles d'y effectuer des permanences qu'au nombre de patients susceptibles de recourir à leur soins, de sorte que celle-ci aurait dû se doter de davantage de sites de consultations. En statuant ainsi, sans rechercher si les locaux dont le cabinet disposait ne permettaient pas de répondre aux besoins de la patientèle, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

7. D'autre part, aux termes de l'article R. 4312-75 du même code : " L'exercice forain de la profession d'infirmier est interdit. Toutefois des dérogations peuvent être accordées par le conseil départemental de l'ordre dans l'intérêt de la santé publique ". En retenant un grief pris de la méconnaissance de l'interdiction de l'exercice forain de la profession d'infirmier sans caractériser la circonstance que M. M... et sa société auraient utilisé des installations mobiles ou des locaux non spécialement affectés à l'usage de soins infirmiers pour recevoir la patientèle, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

S'agissant de la durée du préavis à respecter par les collaborateurs libéraux en cas de formation ou de congés :

8. Aux termes de l'article R. 4312-6 du code de la santé publique : " L'infirmier ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. " Il ressort des énonciations de la décision attaquée que la chambre disciplinaire nationale a estimé que la clause, figurant dans les contrats de collaboration libérale conclus par la ..., imposant aux infirmiers collaborateurs de prévenir deux mois à l'avance de leur intention de s'absenter pour une formation ou des congés était entachée d'illégalité en ce qu'elle méconnaissait ces dispositions. En statuant ainsi, alors qu'une telle clause n'est pas, par elle-même, de nature à mettre les infirmiers en situation d'aliéner leur indépendance professionnelle, la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, M. M... et la ... sont fondés à demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers qu'ils attaquent.

Sur le pourvoi de M. J... et autres :

10. En raison de l'annulation prononcée par la présente décision, le pourvoi de M. J... et autres a perdu son objet en tant qu'il conclut à l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. M... et la ..., qui ne sont pas la partie perdante, versent à M. J... et autres les sommes qu'ils demandent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire du conseil départemental de l'ordre des infirmiers de Gironde et de M. J... et autres la somme de 1 500 euros à verser, à ce titre, d'une part, à M. M... et, d'autre part, à la ....

D E C I D E :

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Article 1er : Il est donné acte du désistement de Mmes E..., P..., W... et AC... du pourvoi n° 468901.

Article 2 : La décision du 12 septembre 2022 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers est annulée.

Article 3 : L'affaire est renvoyée devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi n° 468901 de M. J... et autres.

Article 5 : Le conseil départemental de l'ordre des infirmiers de Gironde, M. J..., Mme C..., M. T... B..., Mme S..., Mme E..., Mme R..., Mme P..., Mme W..., Mme K..., M. Q..., Mme Y... et Mme AC... verseront solidairement les sommes de 1 500 euros à M. M..., d'une part, et à la ..., d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions de M. J... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. F... M... et à M. O... J..., premiers dénommés, et au conseil départemental de l'ordre des infirmiers de la Gironde.

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des infirmiers et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 mai 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Christophe Pourreau, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et Mme Sarah Houllier, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 6 juin 2025.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Sarah Houllier

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 468299
Date de la décision : 06/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 jui. 2025, n° 468299
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sarah Houllier
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE ; RIDOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:468299.20250606
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