Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 avril 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n°2306499 du 31 mai 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 juin 2023, Mme A..., représentée par Me Ndeko, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 31 mai 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes et l'arrêté du 14 avril 2023 du préfet de Maine-et-Loire ;
2°) d'enjoindre à l'Etat, à titre principal, de prendre en charge sa demande d'asile et de lui remettre une attestation de demandeur d'asile en procédure normale ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 7 jours à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier :
- il est insuffisamment motivé ;
- le jugement attaqué est infondé :
- l'arrêté du 14 avril 2023 méconnait l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, elle n'a pas reçu l'ensemble des documents composant les brochures A et B prévues pour l'application de ces dispositions, elle a seulement reçu les pages de garde de chaque brochure ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 :
* l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 susmentionné n'a pas eu lieu ;
* l'entretien individuel n'a pas été confidentiel et aucun résumé de l'entretien n'a été mis à sa disposition ;
- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les stipulations de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :
* des défaillances systémiques affectent actuellement le système de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie ;
- l'arrêté de transfert est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 :
* sa situation personnelle n'a pas été examinée ;
* compte tenu de son état psychique fragile, suite aux multiples violences dont elle a été victime en Italie, et son suivi médical ne sera pas assuré ;
- il existe un risque de renvoi par ricochet vers la Guinée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pons a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne, a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 10 mars 2023. Elle a sollicité l'asile auprès du préfet de la Loire-Atlantique le 21 mars 2023. La consultation du fichier " Eurodac " a montré que les empreintes digitales de l'intéressée avaient été enregistrées en Italie le 6 décembre 2022 et que celle-ci y avait déposé une première demande d'asile. Les autorités italiennes, saisies le 27 mars 2023 d'une demande de reprise en charge de la requérante, y ont explicitement consenti le 7 avril 2023. Le préfet de Maine-et-Loire a alors pris à l'encontre Mme A... un arrêté de transfert aux autorités italiennes en date du 14 avril 2023. Mme A... relève appel du jugement du 31 mai 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce qui est allégué, le jugement attaqué s'est prononcé expressément sur le moyen soulevé par la requérante tiré du défaut d'examen de sa vulnérabilité liée à son état de santé, en cas de transfert en Italie, dans son paragraphe 11. Cette motivation est suffisante en l'espèce.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen de la situation de Mme A....
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de1'entretien individuel visé à l'article 5. / (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tous cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a attesté avoir reçu communication du guide du demandeur d'asile et de l'information sur les règlements communautaires constitués de la brochure A intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et de la brochure B intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue française, que ces guides ont été traduits oralement en langue soussou, langue comprise par Mme A..., par un interprète de la société ISM Interprétariat, ainsi que la requérante en a attesté par sa signature apposée sur le compte-rendu d'entretien le 21 mars 2023. Aucun élément ne vient étayer les allégations de Mme A... selon lesquelles elle ne se serait vu remettre que les pages de garde de ces documents d'information. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / (...) ". Aux termes de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. (...) /(...) ".
8. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 21 mars 2023 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené avec le concours d'un interprète en langue soussou. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant sa confidentialité. Mme A... ne saurait soutenir sérieusement qu'aucun résumé de l'entretien n'aurait été mis à sa disposition, dès lors qu'elle a reconnu avoir reçu l'ensemble des informations requises, figurant dans le guide du demandeur d'asile et dans la brochure d'information portant sur les règlements européens, qui lui ont également été remis, et dont elle a déclaré avoir compris la teneur. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par l'arrêté contesté de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. (...) ".
10. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment son article 4, et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 3.
11. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
12. Mme A... fait état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Italie. Toutefois, en se bornant à produire différents rapports d'organisations non gouvernementales, l'intéressée n'établit pas que les carences affectant les conditions matérielles d'accueil en Italie révèleraient l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile ou les conditions d'accueil des demandeurs d'asile ausens de l'article 3 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 cité au point 9. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision de transfert en cause méconnait l'article 3-2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 en raison des défaillances systémiques que connaît l'Italie.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". La faculté laissée aux autorités françaises, par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui leur est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne leur incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. La requérante fait valoir sa vulnérabilité particulière en raison de ses problèmes de santé, résultant notamment de son état psychique fragile, à la suite des multiples violences dont elle aurait été victime en Italie, et que son suivi médical ne sera pas assuré. Toutefois, les pièces médicales versées au dossier ne permettent pas de penser que le suivi de l'état de santé de l'intéressée ne pourrait pas être assuré en Italie, dont le système de santé est comparable à celui de la France. Aucun autre élément du dossier ne permet de démontrer que son état de santé la placerait dans une situation de vulnérabilité spécifique imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Dans ces conditions, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision contestée est entachée d'un défaut d'examen du risque de renvoi par ricochet et qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de Maine-et-Loire aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et aurait méconnu les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ainsi que ses conclusions à fin d'injonction doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2023.
Le rapporteur,
F. PONSLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT01865