Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.
Par un jugement n° 2111103 du 11 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur, sous astreinte, de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 juin 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 avril 2022 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C....
Il soutient que la décision contestée n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale de Mme C....
Par un mémoire en défense enregistré le 7 avril 2023, Mme B... C..., représentée par Me Aymard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que le moyen soulevé par le ministre de l'intérieur n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant congolais, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 30 octobre 2018. Mme B... C..., qui se présente comme sa fille, a demandé la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale à l'ambassade de France en République démocratique du Congo, laquelle a rejeté sa demande. Mme C... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours formé à l'encontre de cette décision, dont elle a accusé réception le 28 juin 2021. Ce recours ayant été implicitement rejeté, Mme C... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 11 avril 2022 par lequel ce tribunal a annulé cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint, sous astreinte, de délivrer à l'intéressée le visa sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...). / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'autorité administrative s'est fondée pour rejeter la demande de visa sur la circonstance que Mme C... était âgée de plus de dix-neuf ans à la date d'introduction de la demande de réunification familiale.
4. Il est constant qu'au départ de ses parents et de son jeune frère de la République démocratique du Congo en 2015 puis en 2017, Mme C... née le 7 juillet 1999 a assumé la charge de ses deux sœurs nées en 2003 et 2006 dont l'une est atteinte d'une maladie chronique. Si le père de l'intéressée a obtenu en France le statut de réfugié le 30 octobre 2018, après que Mme C... ait eu l'âge de dix-neuf ans, il a conservé des liens avec celle-ci qu'il a financièrement soutenue depuis son départ. Alors que les deux sœurs de l'intéressée ont obtenu le visa sollicité et ont rejoint la France, Mme C... s'est vu opposer un refus. L'ensemble de la cellule familiale à l'exception de Mme C... vit donc désormais en France. Dans ces conditions la décision contestée a pour effet d'isoler brusquement Mme C..., jeune majeure, de ses sœurs avec lesquels elle a toujours vécu ainsi que de sa mère, de son frère et de son père qui, du fait de son statut de réfugié, ne peut se rendre en République démocratique du Congo où elle réside. La circonstance que Mme C... poursuive des études onéreuses dans son pays d'origine est à cet égard sans incidence. Par suite, la décision contestée a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France sur le recours formé par Mme C... et lui a enjoint de délivrer, sous astreinte, le visa de long séjour sollicité.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... C....
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 novembre 2023.
La rapporteure,
A.-M. DUBOST
Le président de la formation
de jugement,
C. RIVAS
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01823