Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 1er juillet 2022 par lequel le préfet du Nord a retiré sa carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 29 janvier 2025, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.
Par un jugement n°2206435 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2023, M. A..., représenté par Me Laïd, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et cet arrêté ;
2°) à titre principal d'enjoindre au préfet du Nord de lui restituer sa carte de séjour pluriannuelle et à titre subsidiaire de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente du réexamen de sa situation, dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 155 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
Sur la décision portant retrait du titre de séjour :
- elle méconnaît l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les articles L. 612-1, L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la décision portant interdiction de retour en France pour une durée de trois ans :
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juin 2023, le préfet du Nord, représenté par Me Rannou, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 7 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 septembre 2023.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 9 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pin, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Selon ses déclarations, M. A..., ressortissant guinéen né le 1er août 2001, est entré sur le territoire français le 19 mars 2017. Le préfet du Nord lui a délivré, en dernier lieu le 7 avril 2021, une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " vie privée et familiale " valable du 30 janvier 2021 au 29 janvier 2025. A la suite du placement en détention provisoire de M. A... le 12 février 2022, le préfet du Nord a mis en œuvre une procédure contradictoire informant l'intéressé de son intention de procéder au retrait de son titre de séjour. Par un arrêté du 1er juillet 2022, le préfet du Nord a retiré le titre de séjour pluriannuel dont bénéficiait M. A..., l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé son pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. M. A... relève appel du jugement du 30 décembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant retrait du titre de séjour :
En ce qui concerne la menace pour l'ordre public :
2. Aux termes de l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ".
3. M. A... soutient que le préfet du Nord ne pouvait pas estimer que sa présence sur le territoire français représentait une menace pour l'ordre public dès lors qu'il n'a pas été renvoyé devant une juridiction de jugement ni condamné dans la procédure pénale en cours.
4. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, par un mandat de dépôt du 12 février 2022, M. A... a été placé en détention provisoire à la suite de l'ouverture d'une information judiciaire à son encontre pour des faits de de viol et violences habituelles par conjoint commis entre 2020 et 2022, puis a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire, par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lille du 7 avril 2022 confirmée par un arrêt de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Douai du 14 avril 2022. Si cette détention provisoire puis son placement sous contrôle judiciaire ne constituent pas une preuve de la culpabilité de M. A..., sa mise en examen n'a pu être prononcée, conformément à l'article 80-1 du code de procédure pénale, que parce qu'il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'il ait pu participer, comme auteur, à la commission des infractions dont était saisi le juge d'instruction. A cet égard, la chambre d'instruction de la cour d'appel de Douai, dans son arrêt du 14 avril 2022, a relevé que la mise en cause de M. A... résultait des déclarations constantes de la victime, de sa vulnérabilité, de son état psychologique ainsi que des éléments médico-légaux.
5. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément permettant de douter de la vraisemblance des faits qui ont justifié la mise en détention provisoire de l'intéressé puis son placement sous contrôle judiciaire, le préfet pouvait se fonder sur ces faits pour estimer que la présence de M. A... en France constituait une menace pour l'ordre public et, par suite, retirer la carte de séjour pluriannuelle dont il bénéficiait. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
En ce qui concerne la vie privée et familiale :
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions concernant les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
8. M. A... fait valoir qu'il est entré en France en 2017, qu'il est père de deux enfants mineurs de nationalité française, nés en 2018 et 2020, qu'il a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle puis un baccalauréat professionnel dans le domaine du commerce et de la vente alimentaire et qu'il travaille, depuis 2017, en qualité d'employé de commerce dans un supermarché.
9. Toutefois, si M. A... soutient qu'il contribue à l'éducation et à l'entretien de ses enfants, il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, le contrôle judiciaire auquel il était soumis lui faisait interdiction d'entrer en relation, de quelque façon que ce soit, avec ses deux enfants. Par ailleurs, M. A... n'établit pas, par ses seules allégations, être dénué de toute attache privée ou familiale dans son pays d'origine, où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de quinze ans.
10. Dans ces conditions, compte tenu notamment de la durée de séjour de M. A... en France, eu égard à la menace que sa présence sur le territoire français faisait peser sur l'ordre public et alors même que l'intéressé disposait d'un emploi, la décision contestée n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle poursuivait et n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le préfet du Nord n'a pas porté à l'intérêt supérieur des enfants de M. A... une atteinte méconnaissant les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant. Il résulte aussi de l'ensemble de ces circonstances qu'en refusant de délivrer un titre de séjour à M. A..., le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai :
11. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / (...) "
12. M. A..., dont le contrôle judiciaire, tel qu'issu de l'arrêt de la chambre d'instruction de la cour d'appel de Douai du 14 avril 2022, lui fait interdiction d'avoir tout contact avec ses enfants, ne justifie pas, à la date de la décision attaquée, contribuer effectivement à leur entretien et à leur éducation depuis au moins deux ans s'agissant de l'aîné des enfants ni depuis la naissance du plus jeune d'entre eux. Si M. A... fait valoir que le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lille lui a accordé, par une ordonnance du 9 février 2023, un droit de visite médiatisé pour rencontrer ses enfants à raison d'une fois par mois, cette circonstance, postérieure à la décision contestée, est sans influence sur sa légalité.
13. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, que le préfet du Nord, en faisant obligation à M. A... de quitter le territoire français, aurait entaché cette décision d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
Sur la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :
14. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / (...) ".
15. Eu égard au comportement de M. A... tel qu'il a été exposé ci-dessus, le préfet du Nord a pu légalement estimer que la présence de l'intéressé sur le territoire français constituait une menace pour l'ordre public. Le préfet n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que cette circonstance justifiait, en l'espèce, de lui refuser le bénéfice d'un délai de départ volontaire.
Sur la décision portant interdiction de retour en France pendant trois ans :
16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
17. Ainsi qu'il a été dit, M. A... ne justifie pas contribuer à l'éducation et à l'entretien de ses enfants à la date de l'arrêté litigieux et son comportement représente une menace pour l'ordre public. Alors que le préfet du Nord a également relevé l'entrée récente de l'intéressé sur le territoire français, la circonstance que M. A... n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement et qu'il dispose d'un emploi ne constituent pas des circonstances humanitaires pouvant justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en interdisant à M. A... de retourner sur le territoire français pendant trois ans.
18. En second lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à la situation personnelle de M. A... décrite précédemment, que la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français pour une durée de trois ans est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Doivent également être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Laïd et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 16 novembre 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 novembre 2023.
Le président, rapporteur,
Signé : F.-X. PinLe président de chambre,
Signé : M. B...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°23DA00679