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12/12/2023 | FRANCE | N°22NT02373

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 12 décembre 2023, 22NT02373


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme H... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale J... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur son recours dirigé contre la décision du 15 octobre 2021 de l'ambassade de France au Congo refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à la jeune J... A..., en qualité de mineur

à scolariser.



Par un jugement n° 2114760 du 11 juillet 2022, le tribunal adminis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale J... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née du silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur son recours dirigé contre la décision du 15 octobre 2021 de l'ambassade de France au Congo refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à la jeune J... A..., en qualité de mineur à scolariser.

Par un jugement n° 2114760 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 juillet 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 juillet 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par Mme C....

Il soutient que :

- les documents d'états civils et le jugement de tutelle ont un caractère inauthentique et frauduleux ;

- il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires ;

- l'intérêt supérieur de l'enfant est de rester au Congo ;

- Mme C... ne justifie pas de sa participation effective à l'entretien de la jeune J... A... ;

- la jeune J... A... n'est pas éligible à la délivrance d'un visa au titre de la scolarisation d'un mineur étranger dès lors qu'il n'est pas justifié de son niveau scolaire ;

- Mme C... ne justifie pas de ressources suffisantes pour accueillir la jeune J... A....

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mai 2023, Mme H... A...-I..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale J... A..., représentée par Me Aymard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Dubost.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante française, a demandé à l'ambassade de France au Congo de délivrer un visa de long séjour à la jeune J... A..., ressortissante congolaise née le 1er janvier 2008 qu'elle présente comme sa nièce, en qualité de mineure à scolariser. Cette autorité a rejeté sa demande le 15 octobre 2021. Mme C... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours contre la décision de l'autorité consulaire, dont il a été accusé réception le 25 octobre 2021. Mme C... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par ladite commission sur son recours. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 11 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes annulant la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France et lui enjoignant de faire délivrer le visa de long séjour sollicité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision de l'ambassade de France au Congo, sur les circonstances que les documents d'états civils et le jugement de tutelle ont un caractère inauthentique ou frauduleux, que l'intérêt supérieur de l'enfant est de rester au Congo, qu'il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, de ce que le niveau scolaire de la demanderesse de visa n'est pas justifié et qu'enfin Mme C... ne justifie ni participer à l'entretien et à l'éducation de la jeune J... A... ni disposer de ressources suffisantes lui permettant d'accueillir cette dernière en France.

3. En premier lieu, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

5. D'une part, à l'appui de la demande de visa présentée pour la jeune J... A..., ont été produits une réquisition aux fins de déclaration tardive de naissance rendue le 11 mai 2012 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mfilou-Njammaba à Brazzaville, l'acte de naissance n°403/08/R09 dressé le 17 mai 2012 sur cette réquisition ainsi que le passeport de la demanderesse de visa. Ces documents, qui comportent les mentions essentielles et suffisantes pour déterminer l'identité de la personne qui y figure, font état de la naissance J... A... le 1er janvier 2008 de l'union de M. B... G... A... et de Mme F... nés respectivement le 20 janvier 1988 et le 20 janvier 1990. La circonstance qu'une copie d'un acte de naissance en date du 10 septembre 2008 ait été également produite, dont Mme C... explique qu'il a été retrouvé postérieurement à la demande faite au procureur de la République aux fins de déclaration tardive de naissance, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère probant de ces documents et ce malgré les quelques erreurs qui y figurent dès lors notamment que Mme C... produit également l'acte de naissance du père de l'enfant.

6. D'autre part, par un jugement du 15 novembre 2018 rendu par le tribunal d'instance de Poto-Poto-Moungali, Mme C... a été désignée tutrice de sa nièce, la jeune J... A.... Il ressort du certificat établi le 26 janvier 2021 par le chef de greffe qu'il n'a pas fait l'objet d'un appel. Les circonstances alléguées par le ministre de l'intérieur selon lesquelles le jugement aurait été rendu seulement trois jours après l'enregistrement de la requête et que le président du tribunal aurait fait l'objet, au cours de l'année 2018, à une date qui n'est pas établie, d'une mutation au sein d'une autre juridiction ne permettent pas d'établir son caractère frauduleux. Enfin, si l'article 359 du code de la famille congolais prévoit que la tutelle des enfants mineurs s'ouvre au décès des pères et mères, il résulte toutefois des dispositions de l'article 356 du même code que le président du tribunal populaire, sur requête d'un parent ou allié de l'enfant peut nommer un administrateur provisoire concernant un enfant dont les parents sont, en raison de leur incapacité, absence, éloignement ou de toute autre cause hors d'état de manifester leur volonté pour poursuivre l'administration légale de leur enfant.

7. Dans ces conditions, le jugement du 15 novembre 2018 ne peut être regardé comme frauduleux et les actes d'état civil produits comme irréguliers, falsifiés ou inexacts.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.

10. Par un jugement du 15 novembre 2018 précédemment mentionné, Mme C... a été désignée en qualité de tutrice de la jeune J... A.... Ce jugement, alors même qu'il n'a pas été rendu exécutoire par jugement d'une juridiction française, a eu pour effet de déléguer à Mme C... l'exercice de l'autorité parentale sur la demanderesse de visa. Mme C... mentionne sa volonté d'accueillir en France cette dernière, qui dispose d'une inscription au sein d'un établissement en France, pendant la seule durée de l'année scolaire, afin qu'elle puisse retourner dans son pays d'origine lors des vacances scolaires. Elle justifie pour cela vivre avec son concubin et son enfant au sein d'un appartement de type 3 d'une surface habitable de 69,95 m² et de revenus qui s'élèvent, pour le couple, à un montant moyen mensuel de 3 562 euros en 2021. Il ressort enfin des pièces du dossier que la demanderesse de visa réside avec sa grand-mère âgée dont l'état de santé est fragile, que sa mère n'a jamais été présente à ses côtés et que son père atteint d'une pathologie psychiatrique n'est pas en mesure d'assurer son éducation. Elle justifie également d'envois réguliers d'argent depuis 2017 à la grand-mère de l'enfant afin de participer à l'entretien et à l'éducation de la jeune J... A.... Dans ces conditions, alors même que la jeune J... A... n'a pas justifié de son niveau scolaire, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement estimer que l'intérêt de l'enfant était de demeurer dans son pays d'origine, notamment eu égard à la situation familiale de l'intéressée ainsi qu'aux ressources de Mme C... et aux conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale.

11. En troisième lieu, lorsque, comme en l'espèce, la délivrance d'un visa de séjour répond à l'intérêt supérieur de l'enfant, la circonstance, à la supposer établie, que la délégation d'autorité parentale aurait pour motivation de permettre à la jeune J... A... de s'installer durablement en France ne saurait caractériser un détournement de l'objet de ce visa, qui répond au contraire à un projet de cette nature.

12. Il résulte de ce qui précède que la commission de recours a méconnu les stipulations citées précédemment au point 8 du présent arrêt en rejetant la demande de visa litigieuse.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France sur le recours dirigé contre la décision de l'ambassade de France au Congo du 15 octobre 2021 et lui a enjoint de délivrer le visa de long séjour sollicité.

Sur les frais liés au litige :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Mme C... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme H... C....

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 décembre 2023.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02373


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02373
Date de la décision : 12/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : AYMARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-12;22nt02373 ?
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