Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de A... d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2300078 du 25 mai 2023, le tribunal administratif de A... a annulé l'arrêté du 29 septembre 2022, enjoint au préfet de la Seine-Maritime de remettre à M. B... un titre de séjour " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, condamné l'Etat à verser à Me Quèvremont, conseil de M. B..., la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 juin 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de A... a annulé son arrêté du 29 septembre 2022 pour erreur de droit ;
- il s'en rapporte à son mémoire de première instance s'agissant des autres moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Souty, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) subsidiairement à l'annulation de l'arrêté du 29 septembre 2022 et à ce qu'il soit enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, ainsi que de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de dix jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures de première instance.
M. B... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. M. B..., ressortissant guinéen né le 5 octobre 2003 à Dubreka (Guinée), déclare être entré en France le 30 juin 2019. Se déclarant mineur, il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance de Seine-Maritime. Le 2 février 2021, il a sollicité son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si, par un arrêté du 29 septembre 2022, le préfet de Seine-Maritime a rejeté cette demande, a obligé M. B... à quitter le territoire français dans les trente jours et a fixé le pays de renvoi, par un jugement du 25 mai 2023 dont le préfet de la Seine-Maritime relève appel, le tribunal administratif de A... a annulé cet arrêté et a enjoint à cette autorité de remettre à M. B... le titre de séjour sollicité.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française ".
3. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
4. La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties
5. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son état civil, M. B... a présenté, au soutien de sa demande, un extrait d'acte de naissance délivré le 15 octobre 2003, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance en date du 27 novembre 2020, une transcription de ce jugement supplétif établie le 7 décembre 2020 ainsi qu'une carte d'identité consulaire, délivrée le 28 mai 2021, attestant d'une naissance le 5 octobre 2003. Les documents d'état civil présentés par l'intéressé ont fait l'objet d'un examen technique documentaire par la cellule zonale de la fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Seine-Maritime est et ont donné lieu, le 29 juin 2022, à trois rapports d'un brigadier de police, analyste en fraude documentaire et à l'identité.
7. Pour écarter la force probante de ces documents, le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé sur ces rapports lesquels ont relevé, s'agissant de l'extrait d'acte de naissance du 15 octobre 2003 produit par M. B..., l'absence de cohérence entre le numéro de l'acte et le numéro de feuillet, ce qui n'est pas conforme avec les règles en vigueur depuis 1991.
8. S'agissant du jugement supplétif du 27 novembre 2020, le préfet a relevé, sur la base de l'analyse de la police aux frontières, que le formalisme du document n'était pas conforme aux documents d'état civil guinéens, les alignements préimprimés n'étant pas respectés, que la référence à l'article 158 du code de l'enfant n'était pas cohérente dès lors que cet article est prévu pour les naissances entre 2008 et 2019 alors que M. B... déclare être né en 2003 et que ce dernier n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 193 du code civil de la république de Guinée pour présenter un jugement supplétif dans la mesure où sa naissance a été déclarée le 15 octobre 2022.
9. S'agissant de la transcription du jugement supplétif du 7 décembre 2020, le service de la police aux frontières a émis un " avis défavorable " dès lors que, d'une part, les mentions pré-imprimées ne sont pas parfaitement alignées et centrées, et que, d'autre part, le timbre sec est totalement illisible.
10. Si l'intimé se prévaut également d'une carte d'identité consulaire qui lui a été délivrée le 28 mai 2021 par les autorités consulaires guinéennes en France, ce document, qui ne constitue pas un acte d'état civil, n'est pas de nature à justifier de son identité dès lors qu'il a été établi sur le fondement d'actes d'état civil non probants.
11. Par ailleurs, si le tribunal pour enfants de A... a admis la minorité de M. B... à l'occasion du jugement du 28 août 2019 prononçant son placement au service de l'aide sociale à l'enfance, il ressort des termes mêmes de ce jugement que M. B... n'avait produit aucun document d'état civil devant cette juridiction.
12. Ainsi, compte tenu des non-conformités constatées ainsi que de l'incohérence entre les documents produits par M. B..., ces derniers ne peuvent être regardés comme revêtus de garanties d'authenticité suffisantes alors que les éléments de preuve produits par le préfet de la Seine-Maritime sont quant à eux suffisants pour établir leur absence d'authenticité au sens de l'article 47 du code civil.
13. Il suit de là que, dès lors que M. B... a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance alors qu'il ne justifie pas être entré en France en étant mineur, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en rejetant la demande de titre de séjour de l'intéressé pour ce seul motif.
14. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de A... a annulé l'arrêté du 29 septembre 2022 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. B..., l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.
15. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B... devant le tribunal administratif de A..., ce dernier n'ayant pas produit de mémoire devant la cour.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne le moyen commun aux décisions attaquées :
16. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté a été signé par M. Jean-François Courtois, conseiller d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer, directeur des migrations et de l'intégration de la préfecture de la Seine-Maritime, qui bénéficiait d'une délégation de signature donnée par un arrêté du 29 août 2022 du préfet de la Seine-Maritime, qui l'habilitait à signer les décisions en litige. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté du 29 septembre 2022 doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
17. En premier lieu, si l'arrêté du 29 septembre 2022 fait état d'une date de naissance erronée, cette simple erreur de plume n'est pas de nature à l'entacher d'illégalité alors qu'il ressort des termes mêmes de cet arrêté que le préfet de la Seine-Maritime a procédé à un examen complet de la situation de M. B....
18. En deuxième lieu, il ressort de ce qui a été dit ci-dessus que l'identité et la nationalité de M. B... ne peuvent être regardées comme certaines. Dès lors, en tout état de cause, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime a entaché sa décision d'une erreur de fait en estimant qu'il n'était pas âgé de moins de seize ans lors de son placement à l'aide sociale à l'enfance.
19. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui résidait depuis trois ans seulement en France à la date de la décision en litige, ne justifie d'aucune attache personnelle ou familiale sur le territoire français, alors que le préfet de la Seine-Maritime soutient sans que cela soit contesté qu'il n'est pas isolé dans son pays d'origine où résident ses parents ainsi que ses deux sœurs.
20. Par ailleurs, si M. B... a suivi, à partir de 2020, une formation en apprentissage en maintenance des véhicules, rien ne fait obstacle à ce qu'il poursuive une telle formation professionnelle hors de France et en particulier dans son pays d'origine.
21. Dans ces conditions, en refusant de l'admettre au séjour, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
22. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'a pas davantage commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
23. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux évoqués ci-dessus, il y a lieu d'écarter les moyens tirés du défaut d'examen complet de la situation de M. B..., de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation.
24. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision portant refus de séjour n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français n'a pas été prise sur le fondement d'une décision illégale. Le moyen tiré d'une telle exception d'illégalité ne peut, dès lors, qu'être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
25. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français ne sont pas entachées d'illégalité. Par suite, la décision fixant le pays de renvoi n'a pas été prise sur le fondement de décisions illégales. Le moyen tiré d'une telle exception d'illégalité ne peut, dès lors, qu'être écarté.
26. Il résulte de ce tout qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de A... a annulé son arrêté du 29 septembre 2022, lui a fait injonction de délivrer à M. B... un titre de séjour portant mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
27. Par voie de conséquence, la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de A... doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300078 du 25 mai 2023 du tribunal administratif de A... est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de A... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime, à M. D... B... et à Me Souty.
Délibéré après l'audience publique du 22 février 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.
Le rapporteur,
Signé : B. Baillard Le président de chambre,
Signé : M. C...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef
Et par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
N°23DA01140 2