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19/12/2024 | FRANCE | N°24DA01622

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 19 décembre 2024, 24DA01622


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille :



- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 23 avril 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile ;

- d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de procéder

au réexamen de sa situation ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille :

- de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

- d'annuler l'arrêté du 23 avril 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile ;

- d'enjoindre au préfet du Nord, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2404331 du 19 juin 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle à titre provisoire de M. A... (article 1), a annulé l'arrêté du 23 avril 2024 (article 2), a enjoint au préfet du Nord de procéder au réexamen de la situation de M. A... (article 3), a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A..., Me Danset-Vergoten, au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4), et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 5).

Procédures devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01622, le 6 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour d'annuler le jugement du 19 juin 2024 en ses articles 2 à 4 et de rejeter la demande présentée en première instance par M. A....

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;

- les moyens invoqués par M. A... en première instance et tirés du défaut d'examen particulier de sa situation, de la violation des articles 3.2, 4 et 17 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 53-1 de la Constitution, et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 octobre 2024, M. A..., représenté par Me Sophie Danset-Vergoten, demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

- de confirmer le jugement ;

- de rejeter la requête du préfet du Nord ;

- d'enjoindre au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation ;

- de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté est entaché d'une insuffisance de motivation, d'un défaut d'examen particulier de sa situation, d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les articles 3.2, 4, 5 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 53-1 de la Constitution.

M. A... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 août 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Par une ordonnance du 4 novembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 novembre 2024.

II - Par une requête, enregistrée sous le n° 24DA01769 le 28 août 2024, le préfet du Nord, représenté par Me Nicolas Rannou, demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 19 juin 2024.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... en première instance ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié de la préfecture ; en tout état de cause, l'audience devant le tribunal est de nature à remédier à l'éventuelle défaillance au stade de l'entretien ;

- les moyens invoqués par M. A... en première instance et tirés du défaut d'examen particulier de sa situation, de la violation des articles 3.2, 4 et 17 du règlement (UE) 604/2013, des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 53-1 de la Constitution et de l'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 octobre 2024, la présidente de la 1ère chambre a dispensé d'instruction la requête n° 24DA01769, en application des dispositions de l'article R. 611-8 du code de justice administrative.

M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 novembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Les rapports de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure, ont été entendus au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant guinéen (République de Guinée) né le 22 mars 1999, a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture du Nord le 15 février 2024. A la suite de cette demande, le préfet du Nord, constatant que les empreintes de l'intéressé avaient été enregistrées dans la base dactyloscopique centrale de données informatisées du système Eurodac en Italie le 19 septembre 2023 et que ce dernier avait également été enregistré en qualité de demandeur d'asile dans cet Etat le 24 octobre 2023, a saisi les autorités italiennes le 4 mars 2024, d'une demande de prise en charge de l'intéressé. L'Italie a donné son accord explicite le 18 mars 2024 à sa prise en charge. Par un arrêté du 23 avril 2024, le préfet du Nord a décidé de remettre M. A... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile sur le fondement de l'article 18.1.b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par les deux requêtes susvisées, qu'il convient de joindre, le préfet du Nord interjette appel et demande qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2404331 du 19 juin 2024, en tant que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 23 avril 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de M. A..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur la requête n°24DA01622 :

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Lille :

2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Entretien individuel - 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'Etat membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point précédent ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ". Si un agent de préfecture est affecté au service des étrangers ou si figure au dossier mention d'éléments de son parcours professionnel le rendant apte à mener l'entretien prévu à l'article 5 du règlement du 26 juin 2013, l'agent doit être regardé comme qualifié en vertu du droit national pour conduire cet entretien.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été reçu en entretien individuel le 15 février 2024 à la préfecture du Nord et qu'il a signé le résumé de cet entretien. Ce résumé, s'il comporte la signature de la personne ayant mené l'entretien, ne contient aucune mention de son identité, même sommaire par des initiales, permettant de l'identifier. Il est cependant revêtu, en bas de la dernière page, d'un cachet administratif portant les mentions " République française ", " préfecture du Nord ", " D.I.I. Asile 3 ". A cet égard, l'administration fait valoir, pour la première fois en appel, que ce cachet administratif n'est pas le " cachet sommaire d'un service " mais un cachet individuel, répertorié dans un registre actualisé des tampons du contrôle interne de la fraude, et qu'il est dévolu à un agent de la préfecture affecté au sein du service des étrangers, précisément identifié, qui en dispose seul et qui le reçoit à sa prise de fonction. Dans ces conditions, le préfet du Nord doit être regardé comme rapportant la preuve que l'entretien a été mené par une " personne qualifiée en vertu du droit national " au sens de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013. Par suite, il est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondée, pour annuler l'arrêté du 23 avril 2024 prononçant le transfert de M. A... aux autorités italiennes, sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... en première instance et en appel.

S'agissant des autres moyens :

Au titre de la légalité externe :

Quant aux moyens tirés du défaut de motivation et du défaut d'examen sérieux de sa situation :

6. Aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du troisième alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

7. En premier lieu, l'arrêté litigieux, après avoir visé le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, mentionne les éléments de fait relatifs à la situation de M. A..., en rappelant notamment qu'il a irrégulièrement franchi les frontières italiennes le 19 septembre 2023 et que les autorités italiennes, saisies le 4 mars 2024 d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 18.1.b de ce règlement, ont explicitement accepté sa prise en charge le 18 mars 2024. L'arrêté indique en outre que l'intéressé ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et enfin qu'il n'établit pas l'existence d'un risque personnel qui conduirait à ce que soit portée une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités italiennes. Ainsi, cet arrêté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et sont de nature à permettre à l'intéressé de comprendre le critère retenu pour la détermination de l'État responsable de sa demande d'asile.

8. En second lieu, il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté contesté, telle qu'elle vient d'être exposée au point précédent, que le préfet du Nord a procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. A... avant d'édicter la décision de transfert. Dès lors, le moyen tiré du défaut d'examen de sa situation doit être écarté.

Quant au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 :

9. L'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre la brochure A, intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' ", et la brochure B, intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", en langue malinké. Ces documents, signés par M. A... lors de leur remise, lui ont été expliqués par le truchement d'un interprète en langue malinké lors de l'entretien individuel du 15 février 2024. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

Au titre de la légalité interne :

Quant aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 53-1 de la Constitution, de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 3.2 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et de l'erreur manifeste d'appréciation :

12. D'une part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

13. D'autre part, aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 de ce règlement (UE) : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un Etat membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier Etat membre auprès duquel la demande a été introduite, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable devient l'Etat membre responsable. ".

14. L'Italie étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet État membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

15. Enfin, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". La mise en œuvre par les autorités françaises de cet article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " (...) les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". La faculté laissée à chaque État membre, par l'article 17 du règlement précité, de décider d'examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

16. M. A... soutient que sa demande d'asile ne pourra être examinée convenablement en Italie du fait des défaillances récurrentes de cet État dans le traitement des demandes d'asile et dans l'accueil des demandeurs. A l'appui de ses allégations, il se prévaut notamment d'une circulaire en date du 5 décembre 2022, adressée à l'ensemble des services des autres Etats chargés de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, par laquelle le ministre de l'intérieur italien a indiqué à ces Etats qu'ils étaient priés de suspendre temporairement les transferts vers l'Italie pour des raisons liées à l'indisponibilité des installations d'accueil. Il se réfère également à des rapports publiés par l'association Médecins sans frontières en 2016 et par l'organisation Amnesty International en 2020, à divers articles de presse parus dans des quotidiens ou hebdomadaires français et européens, ainsi qu'à des décisions de juridictions françaises et européennes.

17. Toutefois, dans la circulaire du 5 décembre 2022, le ministre de l'intérieur italien se borne à demander à ses homologues " une suspension temporaire " des transferts de demandeurs d'asile en Italie pour des motifs purement techniques liés à la saturation des centres d'accueil. Or, aucune pièce du dossier ne démontre qu'à la date de l'arrêté contesté, la demande de suspension des transferts vers l'Italie était encore en vigueur. En outre, il ressort des pièces du dossier que, plus d'un an après cette circulaire, les autorités italiennes ont, par une décision du 18 mars 2024, accepté la prise en charge de la demande d'asile présentée par M. A... en Italie le 24 octobre 2023 et en cours d'examen. Par ailleurs, il ne ressort pas des autres éléments versés au dossier que les conditions matérielles d'accueil en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d'une ampleur telle qu'il y aurait lieu de conclure d'emblée, et quelles que soient les circonstances, à l'existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l'ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d'être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine. Il ne ressort enfin pas des pièces du dossier que le transfert de M. A... vers l'Italie pour le traitement de sa demande d'asile, en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, entraînerait un risque sérieux qu'il soit exposé à un défaut d'instruction de sa demande d'asile et à des traitements indignes en violation des règles du droit européen de l'asile. Ainsi, les documents produits à l'appui de ses affirmations, qui concernent la situation générale en Italie, ne permettent pas de tenir pour établi que M. A..., qui ne fait au demeurant pas état d'une particulière vulnérabilité, serait, en raison de sa propre situation, exposé à un risque sérieux de ne pas être traité par les autorités de ce pays dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en ne lui permettant pas de bénéficier de la clause discrétionnaire instituée par l'article 17 du règlement du 26 juin 2013, le préfet du Nord aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation et méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3.2 du règlement du 26 juin 2013 et des dispositions de l'article 53-1 de la Constitution.

Quant aux moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

18. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

19. M. A... se borne à invoquer la méconnaissance des dispositions précitées sans faire état ni de l'ancienneté et de la continuité de son séjour en France, ni de la stabilité et de l'intensité des attaches personnelles et familiales qu'il y aurait nouées, alors qu'il a déclaré lors de l'entretien du 15 février 2024 être célibataire, sans enfant et sans famille en France. Dans ces conditions, la mesure de transfert en litige ne peut être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

20. Il suit de là que les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 avril 2024 par lequel le préfet du Nord a décidé de le remettre aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile et à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation doivent être rejetées.

En ce qui concerne les frais de la première instance :

21. Partie perdante dans la première instance, M. A... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 23 avril 2024, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A... et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser au conseil de l'intéressé, au titre des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

En ce qui concerne les conclusions présentées par M. A... par la voie de l'appel incident :

23. En premier lieu, compte tenu du rejet de sa demande d'annulation de l'arrêté du 23 avril 2024, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.

24. En second lieu, partie perdante dans l'instance d'appel, M. A... ne peut voir accueillies ses conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Sur la requête n°24DA01769 :

25. Le présent arrêt statuant sur la requête en annulation présentée contre le jugement n°2404331 du 19 juin 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille, la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement devient sans objet.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 19 juin 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Lille est annulé en ses articles 2 à 4.

Article 2 : Les demandes présentées par M. B... A... en première instance sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution de la requête n° 24DA01769 du préfet du Nord.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. A... à fin d'injonction et en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me Sophie Danset-Vergoten.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

Délibéré après l'audience publique du 28 novembre 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. Legrand

La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°24DA01622, 24DA01769 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24DA01622
Date de la décision : 19/12/2024

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : DANSET-VERGOTEN;DANSET-VERGOTEN;CENTAURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;24da01622 ?
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