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23/01/2025 | FRANCE | N°22DA01576

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 1ère chambre, 23 janvier 2025, 22DA01576


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... C..., l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles et l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), ont demandé au tribunal administratif d'Amiens :



1°) d'annuler l'arrêté du 4 mai 2018 par lequel le préfet de la Somme a autorisé la société Parc éolien de Monsures à exploiter un parc de sept éoliennes et de deux postes de livraison sur le territoire de la comm

une de Monsures ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... C..., l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles et l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), ont demandé au tribunal administratif d'Amiens :

1°) d'annuler l'arrêté du 4 mai 2018 par lequel le préfet de la Somme a autorisé la société Parc éolien de Monsures à exploiter un parc de sept éoliennes et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Monsures ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1802655 du 23 juin 2020, le tribunal administratif d'Amiens a sursis à statuer sur la demande jusqu'à ce que la préfète de la Somme ait procédé à la transmission d'un arrêté de régularisation édicté dans le respect des modalités définies aux points 91 à 98 du jugement, ou, à défaut, jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la notification du jugement.

Par un jugement n° 1802655 du 16 juin 2022, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 4 mai 2018 du préfet de la Somme portant autorisation unique en vue de l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Monsures et l'arrêté du 15 février 2022 de la préfète de la Somme portant autorisation unique modificative (article 1), a rejeté le surplus des conclusions présentées par les demandeurs (article 2), a rejeté les conclusions présentées par la société Parc éolien de Monsures au titre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement (article 3) et a rejeté les conclusions présentées par la société Parc éolien de Monsures sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 juillet 2022, et des mémoires enregistrés les 2 octobre 2023, 30 octobre 2023, 16 novembre 2023, 18 décembre 2023, 12 janvier 2024, un mémoire récapitulatif enregistré le 13 mars 2024, et un mémoire enregistré le 7 mai 2024, la société Parc éolien de Monsures, représentée par Me Hélène Gélas, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 16 juin 2022 ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... C..., de l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles et de l'association SPPEF ;

3°) à défaut, de surseoir à statuer sur la demande au titre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement dans l'attente de l'instruction de la demande d'autorisation modificative ;

4°) de mettre à la charge de chacun des demandeurs la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour défaut de motivation ;

- le jugement d'annulation est mal-fondé : c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a retenu l'insuffisance de l'étude d'impact en ce qui concerne l'état initial des chauves-souris et les conséquences du projet à leur égard ; en premier lieu, dans son jugement avant dire droit du 23 juin 2020, le tribunal a jugé que seuls les moyens tirés de la présentation insuffisante des capacités financières de la société Parc éolien de Monsures dans le dossier de demande, l'absence de prise en compte de l'effet cumulé engendré par les parcs de Belleuse et de Lavacquerie dans l'étude acoustique et l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale étaient de nature à entacher d'illégalité l'arrêté du 4 mai 2018 ; aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par le jugement avant dire droit ou de moyens nouveaux, ne pouvait donc être utilement soulevé et retenu par le tribunal, sauf à ce que des circonstances nouvelles de fait ou de droit aient été révélées par la procédure de régularisation ; en second lieu, le nouvel avis de la MRAe ne révèle pas d'éléments nouveaux ; en tout état de cause, un éventuel vice n'a pas privé le public d'une information adaptée dès lors qu'il n'a jamais été démontré la présence de nouvelles espèces protégées susceptibles d'être affectées par le projet ni l'existence d'un risque différent de celui identifié dans l'étude ; la cour pourrait au demeurant surseoir à statuer pour permettre la régularisation de l'étude écologique ; le juge est d'ailleurs tenu, lorsqu'il est saisi de conclusions à fin de régularisation, d'y faire droit si les vices sont régularisables ; elle a fait réaliser par un bureau d'études un inventaire complet des chiroptères selon les préconisations de la MRAe ; cet inventaire permet de constater que les informations présentées dans l'étude d'impact étaient parfaitement pertinentes et que les mesures d'évitement et de réduction adoptées sont bien suffisantes et adaptées ;

- la demande de première instance est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir ;

- elle renvoie à ses écritures de première instance ;

- les arrêtés attaqués ne sont pas entachés d'illégalité externe :

- la demande d'autorisation a fait l'objet d'une instruction effective, complète et impartiale ;

- en premier lieu, l'étude d'impact est suffisante : d'une part, le parc éolien de Blanc-Mont a été mentionné dans le cadre du dossier de régularisation porté à la connaissance du public et a été pris en compte dans l'étude d'encerclement actualisée ; d'autre part, il a été tenu compte, dans l'étude de saturation ou d'encerclement, de l'impact du projet sur les villages de Monsures, Belleuse, Croissy-sur-Celle, Fontaine-Bonneleau, Lavacquerie, Rogly et Thoix ; l'étude chiroptérologique n'est pas insuffisante ; enfin, la nouvelle étude acoustique prend bien en compte l'effet cumulé engendré par les parcs de Belleuse et de Lavacquerie ; le préfet a pris le soin de viser, dans l'arrêté de régularisation, le plan de bridage acoustique proposé dans le dossier de régularisation ;

- en deuxième lieu, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude de dangers est inopérant ;

- en tout état de cause, les éventuelles insuffisances de l'étude d'impact n'ont pas nui à l'information du public et n'ont pas exercé une influence sur les décisions prises ; elles sont au demeurant régularisables ;

- en troisième lieu, les avis rendus en 2016 et 2020 au nom du ministre chargé de l'aviation civile ont été rendus régulièrement ; en tout état de cause, l'irrégularité tenant à ce vice pourra facilement être régularisé par la voie d'une autorisation modificative ;

- en quatrième lieu, le moyen tiré de l'absence de consultation de la communauté de communes Somme Sud-Ouest en méconnaissance de l'article R. 423-43 du code de l'environnement est inopérant ;

- en cinquième lieu, l'article R. 521-6 du code de l'environnement n'a pas été méconnu dans la mesure où l'adjoint au maire qui a rendu l'avis à la place du maire empêché était compétent pour ce faire ; si le vice était retenu, il pourrait être régularisé ;

- en sixième lieu, le moyen tiré du non-respect des modalités de publicité de l'avis d'enquête publique prévues à l'article R. 123-11 du code de l'environnement est inopérant ;

- les arrêtés attaqués ne sont pas entachés d'illégalité interne :

- en premier lieu, le projet ne méconnaît pas les articles L. 181-3, L. 511-1 du code de l'environnement et R. 111-26 du code de l'urbanisme : d'une part, il n'est pas établi que le projet présenterait une sensibilité particulière pour les chiroptères et risquerait d'entraîner la disparition plus spécifiquement de la noctule commune ; d'autre part, il n'est pas établi que le projet entraînerait un phénomène de saturation et d'encerclement paysager sur les villages de Monsures, Belleuse, Croissy-sur-Celle, Fontaine-Bonneleau, Lavacquerie, Rogly et Thoix ;

- en deuxième lieu, les mesures " éviter, réduire, compenser ", (ERC) sont suffisantes pour la protection de l'avifaune ;

- en troisième lieu, le projet ne porte pas atteinte aux paysages : d'une part, il ne porte pas atteinte aux paysages diurnes et nocturnes au sens de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ; d'autre part, le moyen tiré de l'atteinte porté par le projet au château de Monsures, au village de Monsures, au village de l'Estoc, au site de Conty et aux vallées de la Selle, de Luzières et des Evoissons est inopérant ;

- en quatrième lieu, le détournement de pouvoir n'est pas établi alors que le maire de Monsures intéressé n'est pas l'autorité de délivrance de l'autorisation contestée ;

- en cinquième lieu, le moyen tiré de l'atteinte au principe de précaution est inopérant ;

- en sixième lieu, il n'est pas établi de risque suffisamment caractérisé pour la noctule commune justifiant une dérogation " espèces protégées " qui n'a pas été demandée par la préfecture ni recommandée par la MRAe ; en tout état de cause, une dérogation pourrait être délivrée en application de l'article L.181-18 du code de l'environnement ;

- en septième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 220-1 du code de l'environnement et l'atteinte allégué au principe d'égalité entre les citoyens est inopérant ;

- en huitième lieu, le moyen tiré de l'absence de garanties suffisantes sur l'effectivité des mesures paysagères préventives, réductrices ou compensatrices est inopérant ;

- en neuvième lieu, le projet ne porte pas atteinte à la sécurité, à la salubrité publique et à la commodité du voisinage.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2023, et des mémoires enregistrés les 9 novembre 2023, 10 novembre 2023, 28 novembre 2023, 4 décembre 2023, 18 décembre 2023, 8 février 2024, 22 avril 2024 et 3 janvier 2025, M. A... B... C..., l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles et l'association Sites et Monuments, anciennement dénommée SPPEF, représentés par Me Alexis Frenoy, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

- de rejeter la requête ;

- d'annuler l'arrêté du préfet de la Somme du 4 mai 2018 ;

- de mettre à la charge du préfet de la Somme et de la société Parc éolien de Monsures la somme de 5 000 euros à leur verser en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils ont intérêt à agir contre l'arrêté du 4 mai 2018 ; leur demande de première instance est recevable ;

- l'arrêté attaqué a été délivré sur la base du seul régime issu du décret n°2014-450 du 2 mai 2014, relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, évoquée notamment par les articles L. 512-1 et L. 512-2 du code de l'environnement ;

- le jugement n'est pas irrégulier mais a été suffisamment motivé ;

- le jugement est bien-fondé : c'est à bon droit que le tribunal a annulé l'arrêté du 4 mai 2018 et la décision modificative du 15 février 2022, au motif que la société pétitionnaire n'a pas régularisé le vice relatif à l'insuffisance de l'étude d'impact révélé par le nouvel avis de la MRAe en procédant à des écoutes en altitude continues tout au long de l'année ; l'arrêté de régularisation du 15 février 2022 a été rendu sur la base d'un dossier comportant une étude d'impact insuffisante, en méconnaissance du jugement avant-dire droit ;

- l'inventaire chiroptérologique réalisé en 2023 ne peut être pris en compte faute d'avoir été intégré dans le dossier de demande d'autorisation, de couvrir l'intégralité du cycle biologique des chiroptères concernés et d'avoir été réalisé près des boisements où l'activité chiroptérologique est la plus importante ;

- en tout état de cause, la régularisation des vices n'est qu'une faculté aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable au litige ;

- ils se réfèrent à leurs moyens de première instance ;

- tous les nouveaux moyens soulevés en appel sont recevables, pour avoir été soulevés dans les deux mois suivant la réception, le 4 octobre 2023, de leur mémoire en défense ; la nouvelle branche du moyen relative à l'absence de prise en compte du parc de Blanc-Mont est recevable, même si elle a été soulevée après la cristallisation automatique des moyens ;

- ils insistent en particulier sur les moyens de légalité externe suivants : l'étude d'impact est insuffisante, du fait, d'une part, de la non-prise en compte du parc de Blanc-Mont sur le territoire des communes de Fremontiers et Velennes situées à moins de 7 kms du projet de parc éolien de Monsures, au titre des effets cumulés, d'autre part, de la minoration des phénomènes d'atteinte à la commodité du voisinage par l'absence d'étude de saturation ou d'encerclement concernant le village de Belleuse, alors que pour sept communes avoisinantes (Belleuse, Croissy-sur-Celle, Fontaine-Bonneleau, Lavacquerie, Monsures, Rogy et Thoix), les deux angles d'occupation et de respiration dépassent les seuils d'alerte, enfin de l'insuffisance des développements concernant les espèces protégées ; la nouvelle étude acoustique ne prend pas en compte l'effet cumulé des parcs de Belleuse et Lavacquerie ; les dispositions de l'article L. 181-3 du code de l'environnement ont été méconnues du fait des insuffisances de cette étude acoustique et parce que ni l'étude acoustique ni l'arrêté du 15 février 2022 ne précisent les mesures de bridage effectivement adoptées ; il n'y a pas de plan de bridage au titre des vents de nord-ouest et sud-est ; l'accord du ministre chargé de l'aviation civile a été irrégulièrement émis ; le défaut d'avis conforme du ministre chargé de l'aviation civile entraîne l'incompétence du préfet de la Somme et de la cour pour procéder à la délivrance de l'autorisation sollicitée ; les dispositions de l'article L. 512-6 du code de l'environnement ont été méconnues ; l'étude de dangers est insuffisante ; la communauté de communes Somme Sud-Ouest n'a pas été consultée, en méconnaissance de l'article R. 423-53 du code de l'urbanisme ; l'avis d'enquête publique a été publié, en méconnaissance de l'article R.123-11 du code de l'urbanisme ;

- ils insistent également sur les moyens de légalité interne suivants : le projet méconnaît les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement et R. 111-26 du code de l'urbanisme eu égard au risque de disparition définitive de la noctule commune et à l'atteinte à la commodité du voisinage ; la société pétitionnaire a refusé toute démarche effective " éviter, réduire, compenser ", en violation de l'article L.110-1 du code de l'environnement ; le projet méconnaît les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement dans la mesure où aucune dérogation " espèces protégées " n'a été délivrée ; il méconnaît l'article L.220-1 du code de l'environnement et crée une rupture du principe d'égalité entre les citoyens en surdensifiant les éoliennes dans un seul secteur ; le projet porte atteinte aux chiroptères, en méconnaissance de l'article L.511-1 du code de l'environnement ; le principe de précaution posé par l'article 5 de la charte de l'environnement justifie le rejet du projet alors que le risque de disparition de la noctule commune est avéré ; le projet, qui s'inscrit dans un site non dépourvu d'intérêt, va directement porter atteinte au château de Monsures en raison des phénomènes de surplomb, de rapport d'échelle et de covisibilité, au centre du village de Monsures et à la forêt de Monsures ; il va également porter atteinte au site patrimonial remarquable du bourg de Conty et aux vallées de la Selle, de Luzières et des Evoissons, considérées comme des paysages emblématiques de la Somme ; les mesures préventives, réductrices ou compensatrices prévues par le dossier de demande d'autorisation ne présentent aucune garantie permettant d'assurer leur effectivité ; la prise en compte effective des risques d'incendie et de nuisance sonores n'était aucunement garantie par l'autorisation délivrée le 4 mai 2018, contrairement aux prescriptions des articles R. 111-2 du code de l'urbanisme, L. 181-13 et L. 511-1 du code de l'environnement ; les arrêtés sont entachés de détournement de pouvoir, en raison de l'intérêt du maire de Monsures au projet.

La requête a été communiquée au préfet de la Somme et au ministre de la transition écologique qui n'ont pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 22 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 13 mai 2024.

Par une lettre du 23 décembre 2024 et en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, la cour a invité les parties à présenter, dans un délai de sept jours, leurs observations sur l'éventuelle régularisation des vices tirés :

-des incidences du projet, en ce compris le parc éolien de Blanc-Mont, sur le paysage et la commodité du voisinage en ce qui concerne les villages de Belleuse, Monsures et la vallée de la Selle ;

-de l'insuffisance des mesures ERC en ce qui concerne les dimensions du rotor.

La société Parc éolien de Monsures, représentée par Me Hélène Gélas, a présenté le 2 janvier 2025 un mémoire d'observations en réponse.

M. B... C... et autres, représentés par Me Alexis Frenoy, ont présenté les 5, 6 et 8 janvier 2025 des mémoires d'observations en réponse.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- l'ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le décret n° 2016-1110 du 11 août 2017 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes ;

- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Stéphane Eustache, rapporteur public,

- et les observations de Me Tatiana Boudrot, représentant la société Parc éolien de Monsures, et de Me Alexis Frenoy, représentant Me B... C... et autres.

Une note en délibéré présentée par Me Frenoy a été enregistrée le 23 janvier 2025.

Considérant ce qui suit :

1. La société Parc éolien de Monsures a présenté, le 15 novembre 2016, une demande d'autorisation unique valant permis de construire un parc de sept aérogénérateurs d'une puissance unitaire maximale de 3,45 mégawatts et de deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Monsures (80160). Par un arrêté du 4 mai 2018, le préfet de la Somme lui a délivré l'autorisation sollicitée. M. B... C..., l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles et l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler cette autorisation.

2. Par un jugement avant-dire droit n° 1803655 du 23 juin 2020, le tribunal, après avoir écarté les autres moyens tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 mai 2018, a, sur le fondement des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer sur la requête pour permettre, le cas échéant, la régularisation des vices entachant la légalité de l'arrêté. Ces vices concernaient l'insuffisance de l'étude acoustique, l'insuffisance de la présentation des capacités financières de la société pétitionnaire et l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale.

3. Saisie 15 janvier 2021, la mission régionale d'autorité environnementale (MRAe) de la région Hauts-de-France a émis un avis le 15 mars 2021. Une enquête publique complémentaire de régularisation a été organisée du 1er septembre au 1er octobre 2021 inclus. Par un arrêté du 15 février 2022, la préfète de la Somme a délivré une autorisation unique modificative de l'arrêté du 4 mai 2018. Les requérants ont persisté dans leur demande d'annulation de l'arrêté du 4 mai 2018 et ajouté la demande d'annulation de l'arrêté du 15 février 2022. Par un jugement du 16 juin 2022 clôturant la première instance, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 4 mai 2018 et l'arrêté du 15 février 2022 (article 1), a rejeté le surplus des conclusions présentées par les demandeurs (article 2) et a rejeté les conclusions présentées par la société Parc éolien de Monsures au titre de l'article L. 181-18 du code de l'environnement (article 3) et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4).

4. Par la présente requête, la société Parc éolien de Monsures demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler le jugement du 16 juin 2022, de rejeter la demande de M. A... B... C... et autres ou, à défaut, de surseoir à statuer en application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Sur la régularité du jugement du 16 juin 2022 :

5. La société appelante reproche au jugement d'être insuffisamment motivé, en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative qui dispose que " les jugements sont motivés. ".

6. Il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif d'Amiens a exposé au point 6 de son jugement que, dans son nouvel avis émis le 15 mars 2021 à la suite du jugement avant-dire droit du 23 juin 2020, la MRAe de la région Hauts-de-France avait souligné la fréquentation du site par des espèces de chiroptères particulièrement fragiles et menacées, dont une étude du muséum national d'histoire naturelle publiée en juillet 2020 avait mis en évidence la sensibilité particulière à l'éolien. Il en a déduit que le nouveau moyen invoqué par M. B... C... et autres et tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact était opérant, dès lors qu'il se fondait sur de nouveaux éléments révélés par l'avis de la MRAe. La circonstance que le tribunal n'ait pas explicité le caractère nouveau des éléments révélés par la procédure de régularisation n'est pas de nature à entacher d'irrégularité le jugement. En outre, la contestation du caractère de " moyen nouveau fondé sur des éléments révélés par la procédure de régularisation " ne relève pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif d'Amiens doit être écarté comme non fondé.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :

7. La société Parc éolien de Monsures conteste l'intérêt à agir de M. B... C... et des deux associations demanderesses.

8. D'une part, aux termes de l'article R. 181-50 du code de l'environnement : " Les décisions mentionnées aux articles L. 181-12 à L. 181-15 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / (...) 2° Par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3, dans un délai de quatre mois à compter de : / a) L'affichage en mairie dans les conditions prévues au 2° de l'article R. 181-44 ; / b) La publication de la décision sur le site internet de la préfecture prévue au 4° du même article. (...) ".

9. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-3 de ce code : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". Parmi ces intérêts, l'article L.511-1 du même code mentionne les dangers ou les inconvénients " pour la commodité du voisinage, (...) pour la protection (...) des paysages (...) ".

10. Enfin, aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'environnement : " Lorsqu'elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l'amélioration du cadre de vie, de la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, de l'urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d'une manière générale, oeuvrant principalement pour la protection de l'environnement, peuvent faire l'objet d'un agrément motivé de l'autorité administrative. (...) Ces associations sont dites "associations agréées de protection de l'environnement" (...) ". Aux termes de l'article L. 142-1 du même code : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 (...) justifie (...) d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ".

11. En premier lieu, il ressort de l'article 2 des statuts de l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles que cette association a pour objet " la protection de l'environnement, du patrimoine culturel et des paysages contre toutes les atteintes qui pourraient leur être portées, notamment par l'implantation d'éoliennes et des équipements qui y sont liés ", notamment " sur le territoire des communes de la communauté de communes Somme Sud-Ouest (CC2SO) ", dont est membre la commune de Monsures. Aux termes du même article, l'association " s'efforcera de (...) lutter, notamment par toutes actions en justice, contre les projets et installations de parcs d'aérogénérateurs industriels (dits parcs éoliens) ".

12. Contrairement à ce que soutient la société appelante, ces stipulations définissent avec une précision suffisante l'objet et le périmètre d'action de l'association. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le projet, qui comporte un parc de sept aérogénérateurs d'une puissance unitaire maximale de 3,45 mégawatts et deux postes de livraison, prend place sur le territoire de la commune de Monsures, incluse dans le champ géographique d'intervention de l'association. Compte tenu des caractéristiques du projet, de son lieu d'implantation et des incidences qu'il est susceptible d'entraîner sur le paysage, l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté du 4 mai 2018 et de l'arrêté du 15 février 2022.

13. En deuxième lieu, il résulte de l'article 1er des statuts de l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) que l'objet de l'association est " 1° de défendre les paysages contre les enlaidissements de toute réclame commerciale ou autre, de tout affichage imposé avec un abus manifeste. / 2° d'empêcher que les sites naturels ou urbains qui font la beauté du visage de la France, ne soient dégradés ou détruits par des spéculations des industries, des constructions, des travaux publics, conçus, installés, exécutés sans aucun souci de l'aspect de la région et des intérêts matériels mêmes qui sont attachés à cet aspect. (...) ". Il ressort de l'arrêté du 3 août 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer approuvant les modifications apportées au titre et aux statuts de l'association SPPEF que cette association est devenue l'association " Sites et Monuments " et qu'elle poursuit le même objet statutaire, puisque ses nouveaux statuts indiquent qu'elle " a pour but de défendre le territoire métropolitain et ultra-marin de toute atteinte, notamment destructions, dégradations y compris publicitaires, dispersions ou aliénation, le patrimoine : paysager, rural et environnemental, bâti, architectural et urbain, historique, artistique, archéologique ou pittoresque (...) ".

14. Il ressort de l'arrêté du 31 mai 2021 du ministre de la transition écologique portant publication de la liste des associations agréées au titre de la protection de l'environnement dans le cadre national que l'association SPPEF, désormais dénommée " Sites et Monuments ", bénéficie d'un agrément au titre de la protection de l'environnement pour cinq ans depuis le 1er janvier 2018, soit antérieurement à la date de délivrance de l'autorisation unique attaquée, conformément aux dispositions de l'article L. 142-1 du code de l'environnement. Cette association justifie ainsi d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre toute décision qui, relevant de son objet statutaire, produit des effets dommageables pour les sites et paysages et l'environnement au sens de l'article L. 141-1 du même code. Il en va notamment ainsi d'une autorisation environnementale de construire et d'exploiter un parc éolien.

15. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. B... C... est propriétaire du château de Monsures qui est situé à un kilomètre de distance de la première éolienne du parc projeté. L'étude acoustique versée par la société Parc éolien de Monsures à l'appui de son dossier de demande relève un risque modéré de dépassement des seuils réglementaires d'émergence du bruit au niveau du château de Monsures. Par suite, et même si le plan de bridage proposé par la société pétitionnaire est susceptible de limiter ces émergences, M. B... C... justifie d'un intérêt suffisamment direct et certain pour contester l'arrêté du 4 mai 2018 et l'arrêté du 15 février 2022.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Parc éolien de Monsures n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a écarté sa fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de M. B... C... et des deux associations demanderesses.

En ce qui concerne le cadre juridique :

17. En premier lieu, aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale : " Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : / 1° Les autorisations délivrées (...) au titre de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...), avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, (...) ; / 2° Les demandes d'autorisation au titre (...) de l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 (...) régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable ; / (...) ". Sous réserve des dispositions de l'article 15 précité, l'article 16 de la même ordonnance abroge les dispositions de l'ordonnance du 20 mars 2014 relatives à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement.

18. En vertu de l'article L. 181-17 du code de l'environnement, issu de l'article 1er de l'ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l'autorisation environnementale est soumise, comme l'autorisation l'unique l'était avant elle ainsi que les autres autorisations mentionnées au 1° de l'article 15 de cette ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation et celui des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

19. Si, en application du 2° de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017, les demandes d'autorisations uniques déposées au titre de l'ordonnance du 20 mars 2014 sont considérées, depuis le 1er mars 2017, comme des autorisations environnementales, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'il revient au juge administratif, lorsqu'il est saisi d'une contestation contre une autorisation unique, d'en apprécier la légalité au regard des règles de procédure relatives aux autorisations uniques dont le 2° de l'article 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 impose l'application à la date de sa délivrance.

En ce qui concerne l'office du juge et les moyens invocables :

20. En l'espèce, aucune partie ne poursuit l'annulation du jugement avant-dire droit du 23 juin 2020. La société pétitionnaire appelante poursuit l'annulation du seul jugement du 16 juin 2022 qui clôt l'instance et annule les arrêtés du 4 mai 2018 et du 15 février 2022.

21 D'une part, à compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'article L. 181-18 du code de l'environnement, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. À ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Elles ne peuvent en revanche utilement soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse de moyens déjà écartés par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation et qui ne pouvaient pas être décelés avant le jugement avant-dire droit.

22. D'autre part, il appartient au juge d'appel, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, s'il censure les motifs d'annulation retenus par les premiers juges dans leur jugement qui clôt l'instance, d'examiner si les vices identifiés par le jugement avant-dire droit ont été régularisés et de se prononcer sur les éventuels vices propres de la mesure de régularisation et sur les vices révélés par la procédure de régularisation.

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

23. Pour annuler les arrêtés du 4 mai 2018 et du 15 février 2022, le tribunal administratif d'Amiens a considéré que l'étude d'impact sur l'état initial des chauves-souris était insuffisante et que ce vice ne pouvait pas être régularisé.

S'agissant de l'opérance du moyen :

24. La société pétitionnaire conteste l'opérance du moyen retenu, dès lors, d'une part, que l'insuffisance de l'étude d'impact en ce qui concerne les conséquences du projet sur les chiroptères ne faisait pas partie des trois vices identifiés dans le jugement avant-dire droit, d'autre part, que le moyen n'est pas fondé sur un élément révélé par la procédure de régularisation.

25. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 21, la circonstance qu'un vice n'ait pas été identifié par un jugement avant-dire droit ne fait pas obstacle à ce que les parties puissent invoquer et le juge retenir, à l'occasion du jugement qui clôt l'instance, des moyens nouveaux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.

26. Il ressort de l'avis de la MRAe des Hauts-de-France du 15 mars 2021 que celui-ci diffère substantiellement de celui émis le 7 novembre 2017 par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement Hauts-de-France, notamment en ce qui concerne les conséquences du projet sur les chiroptères. L'autorité environnementale souligne, en effet, la fréquentation du site par des espèces de chiroptères dont l'évolution récente de la recherche scientifique naturaliste, en particulier une étude du Muséum national d'histoire naturelle, met en évidence en juillet 2020 le risque de disparition, à l'instar de la noctule commune, ou la forte dégradation, à l'instar de la noctule de Leisler, la pipistrelle de Kuhl, la pipistrelle de Nathusius et la pipistrelle commune, et la sensibilité particulière à l'éolien. La MRAe a conclu à la nécessité de compléter les inventaires pour vérifier le niveau des enjeux du site pour ces espèces qui avait été qualifié de " faible " à " modéré " par l'étude écologique complémentaire de 2020. Elle a recommandé à la société pétitionnaire de réaliser trois sorties et non pas deux, impliquant au moins une écoute supplémentaire pendant la période de " gestation transit " entre le 15 mars et 15 mai, et de compléter les mesures déjà effectuées à 25-30 mètres via un mât de mesures au droit des éoliennes à hauteur de pale, entre 33 et 36 mètres. Ce faisant, l'avis de la MRAe, rendu dans le cadre de la procédure de régularisation, a révélé l'éventualité d'un nouveau vice tenant à l'insuffisance de l'étude d'impact en ce qui concerne les conséquences du projet sur les chiroptères.

27. Ces éléments nouveaux suffisent à justifier que M. B... C... et autres aient pu utilement invoquer, à l'occasion de la clôture de la première instance, le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact au regard des conséquences du projet sur les chiroptères. Par suite, la circonstance que les études sur lesquelles s'appuie l'avis de la MRAe ne seraient pas des éléments nouveaux relatifs à la situation de fait du projet est sans incidence sur l'existence d'éléments révélés par les conclusions et recommandations émises par la MRAe dans le cadre de la procédure de régularisation, qui rendent opérant le nouveau moyen invoqué tenant à une insuffisance alléguée de l'étude d'impact sur ce point.

S'agissant du bien-fondé du moyen :

28. La société pétitionnaire conteste le bien-fondé des conclusions et recommandations émises par la MRAe et soutient que les études auxquelles elle se réfère ne justifiaient pas que des prospections complémentaires, et notamment des écoutes en altitude du cortège chiroptérologique, soient réalisées à peine d'insuffisance de l'étude écologique initiale complétée en 2020.

29. Il résulte de l'instruction que la société Parc éolien de Monsures a réalisé en 2014-2015 une première série d'écoutes dont les résultats ont été consignés dans l'étude d'impact initiale de 2017, puis une deuxième série d'écoutes en 2020, dont les résultats ont été communiqués à la MRAe et au public. La société fait valoir que trois sorties ont été réalisées au cours de la période de gestation-transit dans le cadre de l'étude d'impact initiale et six sorties complémentaires en 2020. Cependant, il résulte de l'instruction qu'elle a fait réaliser par un bureau d'études sur la période du 9 mars 2023 au 30 novembre 2023 un inventaire complet des chiroptères en continu sur un mât de mesure au sol à 5 mètres et en hauteur à 80 mètres pour un total de 6 745,4 heures d'enregistrement réparties sur 534 nuits. Pour déterminer si les critiques de la MRAe relatives à l'insuffisance de l'étude écologique initiale complétée en 2020 étaient justifiées, il y a lieu d'analyser les résultats des écoutes réalisées en 2023.

30. En premier lieu, s'agissant des espèces présentes sur le site, les nouvelles écoutes ont révélé l'existence de 12 espèces de chiroptères, dont seulement 4 à haute altitude, à savoir, par ordre décroissant d'effectifs, la pipistrelle commune, la pipistrelle de Nathusius, la noctule de Leisler et la pipistrelle de Kuhl. Ces données confirment ainsi la prédominance de la pipistrelle commune et la grande rareté des noctules sur le site, déjà relevées dans l'étude d'impact initiale complétée en 2020.

31. Si M. B... C... et autres remettent en cause la fiabilité des mesures effectuées en 2023 compte tenu du positionnement du mât d'écoute en plein champ, et non pas à proximité des zones boisées, il résulte de l'instruction que les éoliennes du projet seront implantées à 270 mètres de ces zones sensibles, soit à une distance supérieure à celle considérée comme suffisante au regard des recommandations de l'organisme EUROBATS. L'implantation du mât de mesure n'est donc pas de nature à avoir biaisé les résultats des écoutes.

32. En second lieu, s'agissant des enjeux locaux et des impacts du projet, il ne ressort pas des analyses de 2023 qu'elles apporteraient une plus-value par rapport aux données collectées en 2014-2015 et en 2020.

33. D'une part, les analyses effectuées en 2014-2015 ont permis d'identifier trois groupes d'espèces sensibles sur le site : les pipistrelles, les sérotines et les noctules ainsi que le grand Murin. L'étude d'impact comporte, pour chaque espèce, une fiche détaillée qualifiant d'abord sa " patrimonialité " et sa " sensibilité " en général puis ses " enjeux " sur le site à l'aune des écoutes réalisées et les " impacts potentiels " des éoliennes. Il en ressort que le grand Murin présente une patrimonialité " forte à très forte " mais une sensibilité " modérée " aux risques de collision éoliens ; sa présence étant rare sur le site, les enjeux sont qualifiés de " faibles " et les impacts potentiels " faibles à modérés ". La noctule commune a une patrimonialité " très faible à faible ", une sensibilité aux risques de collision éoliens " forte à très forte ", un enjeu local " faible " et des impacts potentiels " modérés ". Pour la pipistrelle commune, la patrimonialité est " nulle ", la sensibilité aux risques de collision éoliens " forte à très forte ", l'enjeu local " faible " et les impacts potentiels " modérés à forts ". L'étude d'impact estime que la mesure d'évitement consistant à éloigner toutes les éoliennes des haies et boisements assurera un niveau d'impact " résiduel " sur ces espèces sensibles.

34. D'autre part, les analyses effectuées en 2020 selon une méthodologie différente - chaque espèce s'est vu attribuer une " note patrimoniale " tenant compte de la rareté et des menaces, et une note relative au niveau " d'activité " localement constaté, dont la moyenne a permis de déterminer le niveau d'" enjeu " - ont abouti à relever le niveau d'enjeu de " faible " à " fort " pour le grand Murin, du fait d'une plus forte pondération de sa patrimonialité, et de faible " à " modéré " pour la pipistrelle commune, pour mieux tenir compte de sa forte sensibilité à l'éolien., alors que l'enjeu est demeuré " faible " pour les sérotules et noctules. Ainsi, en dépit de ces différences, les mesures d'évitement préconisées ont été jugées suffisantes par le cabinet d'étude.

35. Enfin, au terme des analyses effectuées en 2023, l'enjeu local est " fort " pour le grand Murin, " modéré " pour la pipistrelle commune et " faible " pour la noctule commune, ce qui confirme les résultats de 2020. L'étude conclut aussi que l'éloignement des éoliennes à 270 mètres des zones boisées permettra de réduire à un niveau acceptable les incidences sur les espèces localement identifiées. Il en résulte que les études réalisées en 2023 n'ont fait que conforter l'étude d'impact complétée en 2020, qui doit, par conséquent, être regardée comme complète et fiable.

36. Par suite, la société Parc éolien de Monsures est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a retenu le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude chiroptérologique pour annuler les arrêtés des 4 mai 2018 et 15 février 2022.

37. Comme rappelé au point 22, lorsque le juge d'appel, saisi par l'un des défendeurs de première instance, censure le motif retenu par les premiers juges, il lui appartient en principe, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des moyens présentés par l'intimé en première instance, alors même qu'ils ne seraient pas repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant lui, à la seule exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel. Toutefois, lorsqu'il est saisi d'un jugement qui clôt l'instance, le juge d'appel ne peut se prononcer que sur les vices propres de la mesure de régularisation et sur les moyens nouveaux fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation. Il lui appartient également de s'assurer que les vices identifiés par le jugement avant-dire droit ont été dûment régularisés.

En ce qui concerne la régularisation des trois vices identifiés par le jugement avant-dire droit :

S'agissant du vice tiré de l'insuffisance de la présentation des capacités financières :

38. Le tribunal administratif a relevé, aux points 27 et 88 de son jugement avant-dire droit que la société Parc éolien de Monsures justifiait de ses capacités financières, mais qu'il demeurait nécessaire de compléter l'information du public. La société Parc éolien de Monsures ne remet pas en cause l'existence et l'étendue du vice tiré de l'insuffisance de présentation de ses capacités financières, tandis que M. B... C... et autres ne contestent pas sa régularisation, qu'il appartient toutefois au juge d'appel de vérifier.

39. D'une part, il résulte de l'instruction que la lettre d'engagement du 27 février 2019 de la société Valeco atteste d'une manière précise et suffisamment certaine des capacités financières de la société porteuse du projet en 2018. Cependant, comme le relève à juste titre la commissaire-enquêtrice dans son rapport sur l'enquête publique complémentaire, le changement d'actionnariat de la société Valeco, qui est désormais détenu à 100% par le groupe EnBW, a nécessité la mise à jour des capacités financières de la société Parc éolien de Monsures. Il résulte des nouvelles données fournies par cette société que le projet est prévu pour être financé intégralement par l'apport de fonds propres du groupe EnBW. La société pétitionnaire produit à l'appui de son dossier notamment la lettre d'engagement du groupe EnBW du 30 mai 2020 de procéder à cet investissement et les bilans comptables des trois dernières années de la société Valeco qui témoignent de sa solidité financière.

40. D'autre part, conformément aux préconisations du tribunal, une enquête publique complémentaire a été régulièrement organisée du 1er septembre 2021 au 1er octobre 2021 et la commissaire-enquêtrice a relevé, dans ses conclusions et avis du 25 octobre 2021, que le dossier de régularisation soumis au public présentait de manière complète et détaillée les capacités financières actualisées de la société Parc éolien de Monsures et n'a fait l'objet d'aucune remarque.

41. Enfin, l'arrêté du 15 février 2022 indique en son article 1 que l'arrêté préfectoral du 4 mai 2018 est modifié " au regard des compléments apportés à la présentation des capacités financières dont dispose la société ", ce qui atteste de la prise en compte par l'administration de la régularisation effectuée à cet égard.

42. Il suit de là que le vice tenant à l'insuffisance de présentation des capacités financières de la société pétitionnaire dans le dossier de demande d'autorisation doit être regardé comme régularisé.

S'agissant du vice tiré de l'insuffisance de l'étude acoustique :

43. Le tribunal administratif a relevé, au point 17 de son jugement avant-dire droit, que l'étude acoustique jointe au dossier d'étude d'impact n'analysait pas les effets cumulés engendrés par les parcs de Belleuse et de Lavacquerie, situés à proximité du site d'implantation du projet, qui étaient déjà autorisés à la date du dépôt de l'étude d'impact, et que cette insuffisance de l'étude acoustique avait eu pour effet de nuire à l'information complète de la population et entachait d'un vice de procédure l'autorisation d'exploitation délivrée par le préfet de la Somme.

44. La société Parc éolien de Monsures remet en cause l'existence même du vice au regard des dispositions applicables.

45. Le décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes a été pris pour l'application de l'ordonnance n° 2016-1058 dont l'article 6 prévoit que : " Les dispositions de la présente ordonnance s'appliquent : /- aux projets relevant d'un examen au cas par cas pour lesquels la demande d'examen au cas par cas est déposée à compter du 1er janvier 2017 ; /- aux projets faisant l'objet d'une évaluation environnementale systématique pour lesquels la première demande d'autorisation est déposée à compter du 16 mai 2017. (...). ".

46. Même si la société Parc éolien de Monsures a déposé sa demande d'autorisation unique valant permis de construire son parc éolien le 15 novembre 2016, celle-ci est soumise aux dispositions de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans leur rédaction applicable avant l'intervention du décret du 11 août 2016. Cet article prévoit que : " I. -Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II. -L'étude d'impact présente : (...) / 4° Une analyse des effets cumulés du projet avec d'autres projets connus. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l'étude d'impact : / -ont fait l'objet d'un document d'incidences au titre de l'article R. 214-6 et d'une enquête publique ; /-ont fait l'objet d'une étude d'impact au titre du présent code et pour lesquels un avis de l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement a été rendu public. /Sont exclus les projets ayant fait l'objet d'un arrêté au titre des articles R. 214-6 à R. 214-31 mentionnant un délai et devenu caduc, ceux dont la décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution est devenue caduque, dont l'enquête publique n'est plus valable ainsi que ceux qui ont été officiellement abandonnés par le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage ; (...) ".

47. Il suit de là que c'est à bon droit que, dans son jugement avant-dire droit, le tribunal administratif d'Amiens a appliqué les dispositions précitées au litige et considéré que, dès lors que les parcs éoliens de Belleuse et Lavacquerie étaient déjà autorisés à la date du dépôt de l'étude d'impact de la société Parc éolien de Monsures, ils devaient être pris en compte au titre des effets cumulés, notamment quant aux nuisances sonores engendrées, même s'ils n'étaient pas encore construits et si le modèle d'aérogénérateurs n'était pas arrêté. La société Parc éolien de Monsures n'est ainsi, en tout état de cause, pas fondée à remettre en cause le vice identifié dans son existence et dans son étendue.

48. M. B... C... et autres contestent l'étendue de ce vice dont ils estiment qu'il aurait dû englober un autre parc, celui de Blanc-Mont.

49. Cependant, d'une part, le jugement avant-dire droit n'a pas prescrit la prise en compte de ce parc, d'autre part, les intéressés ne l'avaient pas évoqué en première instance, enfin, la soumission de ce parc aux mêmes obligations de prise en compte que les deux parcs de Belleuse et Lavacquerie au regard de leurs effets cumulés n'a pas été révélée par la procédure de régularisation du vice tiré de l'insuffisance de l'étude acoustique ou d'un autre vice, mais préexistait à celle-ci dès lors que ce parc avait fait l'objet d'une enquête publique du 21 mars au 21 avril 2016 et avait été autorisé le 7 avril 2017. M. B... C... et autres ne peuvent ainsi utilement soutenir que le vice identifié aurait dû prendre en compte le parc de Blanc-Mont.

50. M. B... C... et autres contestent la régularisation du vice en soutenant que la nouvelle étude acoustique ne prend pas effectivement en compte le bruit des parcs de Belleuse et de Lavacquerie et que le nouveau plan de bridage est fondé sur des mesures erronées.

51. En premier lieu, en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité, on entend par " émergence " la différence entre le niveau du bruit ambiant - incluant le bruit des installations en fonctionnement - et le niveau du bruit résiduel - en l'absence du bruit généré par ces installations.

52. En l'espèce, si la mesure du bruit ambiant n'est pas contestée, M. B... C... et autres se plaignent de ce que le " bruit résiduel " a été mesuré alors que les parcs éoliens de Belleuse et Lavacquerie étaient à l'arrêt, ce qui aurait pour effet de minimiser l'impact sonore du projet. Toutefois, il ressort de l'étude acoustique actualisée de décembre 2020 que pour prendre en compte l'impact sonore du projet du parc éolien de Monsures cumulé à l'impact sonore des parcs éoliens de Belleuse et Lavacquerie, le bruit ambiant a intégré les installations des trois parcs " en fonctionnement, sans bridage ", tandis que le bruit résiduel a été mesuré lors de la mise à l'arrêt de toutes les installations. La circonstance que le bruit résiduel n'intègre pas le bruit généré par les éoliennes des parcs de Lavacquerie et de Belleuse a nécessairement abouti à des mesures réduites de ce bruit. Dès lors que l'émergence résulte de la différence entre le bruit ambiant et le bruit résiduel, la réduction de ce dernier a nécessairement eu pour effet de l'accroître, et donc d'augmenter l'impact sonore du projet. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle aboutit la nouvelle étude acoustique qui évoque une " plus forte sensibilité acoustique " du projet du fait de la prise en compte des deux autres parcs. La méthodologie suivie par le cabinet d'ingénierie n'a fait l'objet d'aucune observation de la part de la MRAe et de la commissaire-enquêtrice. Par suite, M. B... C... et autres ne sont pas fondés à remettre en cause la méthodologie suivie par la société d'ingénierie acoustique et vibratoire missionnée par la société Parc éolien de Monsures, qui est conforme aux dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 26 août 2011 et permet la prise en compte effective des parcs de Belleuse et de Lavacquerie.

53. En deuxième lieu, les mesures acoustiques réalisées au niveau des neuf habitations voisines du projet, potentiellement les plus impactées, ont mis en évidence un risque de dépassement des seuils réglementaires de jour comme de nuit, nécessitant un plan de bridage pour réduire le bruit, que la société a détaillé sur cinq pages, en distinguant les différents modes, leurs modalités de mise en œuvre, leurs conditions d'application et en établissant un plan de fonctionnement selon quatre périodes diurne, intermédiaire de début de journée, intermédiaire de fin de journée et nocturne et selon l'une des deux directions de vents dominantes sud-ouest ou nord-est.

54. Si M. B... C... et autres critiquent l'absence de modalités de bridage par vents nord-ouest et sud-est, ils ne démontrent pas que la zone soit soumise à ces directions de vent. En outre, s'ils estiment que le plan de bridage proposé dans la nouvelle étude acoustique n'est pas suffisamment clair, en l'absence notamment de précision sur ce que recouvre le " mode 0 " figurant dans les tableaux de mesure, premièrement, ce mode correspond habituellement au mode standard non bridé, les modes suivants correspondant à des bridages de plus en plus accentués, deuxièmement, le plan envisage de manière détaillée les configurations temporelles et climatiques qui peuvent se produire pour adapter le mode de fonctionnement des éoliennes et réduire le bruit qu'elles génèrent. Au surplus, dans son nouvel avis du 15 mars 2021, la MRAe a indiqué que, si l'étude acoustique complémentaire avait mis en évidence un risque de dépassement des seuils réglementaires sur certaines zones pendant les périodes diurnes, intermédiaires de début et de fin de journée ainsi qu'en période nocturne, le bridage des éoliennes a été défini pour réduire la vitesse de rotation des pales de sorte qu'après la mise en place du plan, " l'ensemble des résultats est conforme aux seuils réglementaires ". Il suit de là que le plan de bridage inclus dans l'étude acoustique complétée permet de garantir le respect de la réglementation sonore.

55. En troisième lieu, conformément aux préconisations du tribunal, une enquête publique complémentaire a été régulièrement organisée du 1er septembre 2021 au 1er octobre 2021 et le commissaire enquêteur a relevé, dans ses conclusions et avis du 25 octobre 2021, que le dossier de régularisation soumis au public présentait l'étude acoustique complémentaire réalisée par la société Parc éolien de Monsures et qu'après la mise en place d'un plan de bridage les seuils réglementaires seraient respectés.

56. Il suit de là que le vice tenant à l'insuffisance de l'étude acoustique dans le dossier de demande d'autorisation doit être regardé comme régularisé.

57. Si M. B... C... et autres soutiennent que l'arrêté préfectoral du 15 février 2022 n'est pas suffisamment précis en ce qui concerne le nouveau plan de bridage, cette critique ne porte pas sur le vice identifié par le jugement avant-dire droit mais sur les conséquences qu'a tirées le préfet de sa régularisation. Il y a donc lieu de l'examiner au titre des vices propres de la mesure de régularisation.

S'agissant du vice tiré de l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale :

58. Ainsi qu'il a été dit au point 26, le tribunal administratif a relevé que l'avis rendu par l'autorité environnementale sur l'étude d'impact du projet était irrégulier. La société Parc éolien de Monsures ne remet pas en cause l'existence et l'étendue de ce vice, tandis que M. B... C... et autres ne contestent pas sa régularisation, qu'il appartient toutefois au juge d'appel de vérifier.

59. D'une part, il résulte de l'instruction que, conformément aux préconisations du tribunal, la MRAe des Hauts de France a émis le 15 mars 2021 un avis sur le projet de parc éolien en litige, portant actualisation de l'avis de l'autorité environnementale du 7 novembre 2017 ". Cet avis, présentant les qualités d'impartialité requises, a été rendu, ainsi qu'il a été dit précédemment, notamment au vu d'une nouvelle étude acoustique réalisée par la société pétitionnaire.

60. D'autre part, conformément aux préconisations du tribunal, une enquête publique complémentaire a été régulièrement organisée du 1er septembre 2021 au 1er octobre 2021 et la commissaire-enquêtrice a relevé, dans ses conclusions et avis du 25 octobre 2021, que l'avis de la MRAe a été régulièrement délibéré, transmis au porteur du projet, qui a pu apporter des réponses à ses recommandations et interrogations, et communiqué au public dans le cadre de l'enquête complémentaire.

61. Enfin, l'arrêté du 15 février 2022 indique en son article 1 que l'arrêté préfectoral du 4 mai 2018 est modifié " au vu du nouvel avis émis par une autorité environnementale présentant les garanties d'impartialité requises sur l'étude d'impact actualisée ", ce qui atteste de la prise en compte par l'administration de la régularisation effectuée à cet égard.

62. Il suit de là que le vice tenant à l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale doit être regardé comme régularisé.

63. Si M. B... et autres soutiennent que certaines recommandations contenues dans l'avis rendu par la MRAe n'ont pas été suivies d'effet, cette critique ne porte pas sur le vice identifié par le jugement avant-dire droit mais sur les conséquences qu'a tirées la société pétitionnaire de cet avis. Il y a donc lieu de l'examiner au titre des vices dont les intéressés estiment qu'ils ont été révélés à l'occasion de la procédure de régularisation.

64. Il résulte de tout ce qui précède que les trois vices identifiés par le jugement avant-dire droit ont été régularisés avant le jugement clôturant la première instance.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués en appel par M. B... C... et autres :

S'agissant de l'opérance des moyens :

65. M. B... C... et autres font référence à leurs moyens de première instance et développent en appel plusieurs moyens d'annulation de l'autorisation environnementale initiale déjà écartés par le jugement avant-dire droit, soit comme non fondés, soit comme irrecevables. Par application des principes énoncés au point 21, quand bien même les intéressés développeraient de nouveaux arguments, de tels moyens ne sont pas opérants dans la présente instance, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité au regard des règles de cristallisation posées par l'article R.611-7-2 du code de justice administrative, dès lors qu'ils n'entachent pas d'un vice propre l'arrêté du 15 février 2022 pris par le préfet à titre de mesure de régularisation et ne reposent sur aucun élément nouveau révélé par la procédure de régularisation.

66. Il en va ainsi, premièrement du moyen tiré de l'irrégularité de l'avis rendu par le ministre chargé de l'aviation civile, dont le jugement avant-dire droit a souligné aux points 48 et 49 qu'il avait été régularisé sans que le public n'ait eu besoin d'en être informé, deuxièmement, du moyen tiré de l'absence d'avis régulier de la commune de Monsures en violation de l'article R.512-6 du code de l'environnement, que le jugement avant-dire droit a écarté au point 33 en soulignant que l'avis de l'adjoint au maire avait été joint au dossier de demande, troisièmement, du moyen tiré de l'insuffisance des mesures de publicité de l'arrêté portant ouverture de la première enquête publique en méconnaissance de l'article R. 123-11 du code de l'environnement, que le jugement avant-dire droit a écarté au point 53 comme non fondé, quatrièmement, du moyen tiré de l'insuffisance de l'étude de dangers, que le jugement avant-dire droit a écarté au point 20 en soulignant que tous les éléments permettant de s'assurer de la conformité des liaisons électriques intérieures étaient présentés, cinquièmement du moyen tiré de l'atteinte au principe de précaution et à l'article R.111-2 du code de l'urbanisme, que le jugement a écarté au point 67 comme non fondé. Aucun des trois premiers moyens précités ne caractérise des vices propres qui entacheraient l'arrêté du 15 février 2022 ni ne se rattache à des éléments qui auraient été révélés par la procédure de régularisation. Si au titre des quatrième et cinquième moyens, M. B... C... et autres font valoir que le risque d'incendie des terrains d'assiette des éoliennes, accru par le réchauffement climatique, n'a pas été pris en compte, alors qu'il est de nature à porter atteinte à la sécurité publique, cet élément n'a pas été révélé par la procédure de régularisation, même si des articles de presse récents attestent de l'actualité de ce risque.

67. M. B... C... et autres développent également des moyens nouveaux non abordés en première instance, tirés, premièrement, de l'absence de consultation et d'accord de la communauté de communes Somme Sud-Ouest en méconnaissance de l'article R.423-53 du code de l'urbanisme, deuxièmement, de l'absence de prise en compte du parc de Blanc-Mont dans l'étude acoustique, ainsi que cela a été dit au point 49, troisièmement, de l'absence de prise en compte dans l'étude d'impact de l'atteinte portée à la commodité du voisinage au regard de certains villages et sites, quatrièmement, du détournement de pouvoir résultant de l'intérêt du maire de Monsures au projet et, cinquièmement, de la méconnaissance de l'article L.220-1 du code de l'environnement et du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ces moyens sont inopérants en l'absence de tout lien avec la procédure de régularisation et ne révèlent aucun vice propre de l'arrêté du 15 février 2022.

68. En revanche, M. B... C... et autres peuvent utilement soutenir que le nouvel avis émis par la MRAe à titre de régularisation du vice tenant à l'irrégularité de l'avis de l'autorité environnementale du 7 novembre 2017 comporte des observations et recommandations qui révèlent de nouveaux vices et que l'arrêté du 15 février 2022 est entaché d'un vice propre en lien avec la régularisation du vice affectant l'étude acoustique.

S'agissant du bien-fondé des moyens opérants :

Quant aux moyens fondés sur des éléments révélés par la régularisation de l'avis de la MRAe :

69. En premier lieu, M. B... C... et autres critiquent l'insuffisance des mesures d'évitement, de réduction et de compensation (ERC) concernant l'avifaune. Ils font valoir les risques inférés par le diamètre des rotors compris entre 114 et 117 mètres, alors que la MRAe a recommandé d'étudier la possibilité de choisir des modèles d'aérogénérateur dotés d'un rotor d'un diamètre inférieur à 90 mètres pour minimiser les incidences.

70. Aux termes des dispositions du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, la protection et la gestion des espaces, ressources et milieux naturels s'inspirent notamment du : " 1° (...) principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; 2° (...) principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées. / Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ".

71. Il résulte de l'étude d'impact complétée en 2020 que les enjeux locaux pour l'avifaune pendant les périodes les plus sensibles de nidification et de migration post-nuptiale, n'ont pas évolué depuis les mesures réalisées en 2014-2015 et peuvent toujours être qualifiés de " faibles " à " modérés ". La société pétitionnaire a retenu plusieurs mesures d'évitement et de réduction : implanter les éoliennes en plaines agricoles à une distance suffisante des haies et boisements, orienter le parc de manière parallèle aux flux migratoires observés, espacer les éoliennes de manière suffisante pour ménager des voies de passage. Après l'application de ces mesures, l'impact résiduel est prévu pour être " non significatif ". Ces éléments sont suffisamment probants pour ne pas justifier des mesures complémentaires de réduction, dès lors que, d'une part, la MRAe n'a pas contesté le caractère complet et fiable des éléments de l'étude d'impact relatifs à l'avifaune, d'autre part, elle a rédigé de manière peu prescriptive sa recommandation relative aux rotors, en se bornant à faire référence à une note publiée en décembre 2020 par la société française pour l'étude et la protection des mammifères, sans faire état d'éléments précis et circonstanciés sur la zone d'étude du projet.

72. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance des mesures ERC en ce qui concerne les incidences sur l'avifaune doit être écarté.

73. En deuxième lieu, M. B... C... et autres soutiennent que le projet entraînera des nuisances visuelles excessives et des effets d'encerclement et de saturation sur certains villages et sites, alors que la MRAe a formulé quatre séries de recommandations relatives à la protection du paysage et aux risques de saturation : premièrement, justifier la sélection des photomontages actualisés ; deuxièmement, réaliser des photomontages complémentaires avec des vues panoramiques et des vues en hiver, en l'absence de végétation dense ; troisièmement, compléter l'étude de saturation en tenant compte du parc de Blanc-Mont situé à 6,5 kilomètres ; quatrièmement, étudier des mesures complémentaires de réduction et d'accompagnement pour la protection du château de Monsures et la vallée de la Selle.

74. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ".

75. Il résulte de l'instruction que, dans un mémoire d'avril 2021, la société pétitionnaire a apporté des éléments de réponse aux lacunes signalées par la MRAe.

76. Premièrement, le choix des photomontages actualisés a été justifié par la circonstance que les effets cumulés les plus forts seront ceux liés à la présence des parcs de Lavacquerie et de Belleuse, qui forment un ensemble continu avec le projet, et par les risques particuliers auxquels sera exposé le village de Belleuse.

77. Deuxièmement, la société pétitionnaire a produit en décembre 2020 une étude paysagère complémentaire, versée au dossier d'enquête publique, qui actualise une sélection de neuf photomontages sur les 61 contenus dans l'étude initiale, en tenant compte des parcs nouvellement apparus ou étoffés, à l'instar des parcs d'Oresmeaux, du Bosquel, de la Cressonnière, et des parcs disparus au sud-ouest et au nord. Des vues panoramiques ont été produites sous la forme de " frises de contextualisation " avec un angle de vue de 120°. En outre, si chaque photomontage n'a pas été réalisé en hiver, sans végétation, il résulte de l'instruction qu'une vue hivernale n'est pas toujours pertinente au regard de la végétation présente et que certaines vues ont été prises en hiver, à l'instar de la vue n°15.

78. Troisièmement, s'agissant de l'étude de saturation, il résulte de l'instruction que si les huit éoliennes du parc de Blanc-Mont apparaissent sur les figures 2 et 3 de l'étude paysagère complémentaire de 2020, ce parc n'est pas mentionné sur les neuf photomontages que comporte cette étude. C'est donc à raison que la MRAe a souligné une lacune sur ce point dans l'étude paysagère. Cependant, la société pétitionnaire a tenu compte de ce parc dans l'étude d'encerclement complémentaire réalisée en avril 2021, ainsi que cela ressort des différents diagrammes que contient cette étude. La prise en compte du parc de Blanc-Mont a modifié les indices théoriques d'occupation des horizons depuis les villages de Tilloy-les-Conty et de Contre. Pour autant, pour ces villages comme pour celui de Conty, les valeurs théoriques n'apparaissent pas préoccupantes, dès lors qu'avec le projet, l'indice d'occupation des horizons n'est que de 79° à Contre, de 85° à Tilloy-lès-Conty et de 111° à Conty pour une valeur plafond de 120° dans la région des Hauts-de-France ; quant à l'indice de respiration visuelle, la prise en compte du projet ne le change pas à Conty (103°) et à Tilloy-lès-Conty (133°) et ne le fait décroître que légèrement à Contre (de 122°à 115°). Ces indices théoriques ne justifiaient donc pas la production, par la société pétitionnaire, de photomontages complémentaires pour ces trois villages dans l'étude paysagère.

79. S'agissant en particulier du village de Monsures, que mentionne la MRAe et pour lequel la société pétitionnaire n'a pas fourni d'étude d'encerclement actualisée, les photomontages produits montrent que le projet ne sera que très partiellement visible depuis l'intérieur du village. Ainsi, il ressort du point de vue n°23, pris sur le parvis de l'église, que seules les éoliennes E2, E3, E6, E7 sont visibles et seulement très partiellement en raison d'un haut rideau végétal, tandis que le parc de Blanc-Mont ne sera pas visible. Aux entrées et sorties du village de Monsures, les boisements environnants créent une distance par rapport au projet qui s'intègre dans la continuité des parcs existants. A cet égard, il résulte de la vue n° 24 de l'étude initiale et de la figure n°2 de l'étude paysagère actualisée que le bois de Wailly entoure presque entièrement le parc de Blanc-Mont et notamment dans l'axe du village de Monsures, alors que, par ailleurs, la vallée des Evoissons et les boisements proches de Conty et de Luzières s'intercalent entre le parc de Blanc-Mont et le village de Monsures. Eu égard à cette configuration, les incidences visuelles du parc de Blanc-Mont sur le village de Monsures apparaissent très limitées et ne justifiaient pas un photomontage spécifique.

80. Enfin, s'agissant du village de Belleuse, la MRAe se borne à indiquer qu'" un photomontage à la sortie de Belleuse montre à la page 19 un arbre avec feuilles au premier plan, ce qui ne permet pas d'apprécier les impacts tout au long de l'année " et ne mentionne pas le village comme présentant un risque particulier de saturation. Le moyen nouveau tiré d'une atteinte excessive à ce village ne s'appuie donc pas sur un élément révélé par la procédure de régularisation et est inopérant.

81. Quatrièmement, s'agissant des mesures paysagères d'évitement, de réduction et d'accompagnement, l'avis de la MRAe ne traite que des incidences sur le château et le village de Monsures, ainsi que sur la vallée de la Selle. Sur ces deux points, l'avis ne critique pas la complétude de l'étude d'impact, mais le caractère suffisant des mesures proposées.

82. Toutefois, les photomontages de la demande initiale ne révèlent pas une atteinte excessive sur la vallée de la Selle, qui n'est pas un site protégé, ni sur le village de Monsures ou son château, protégé au titre des monuments historiques. D'une part, comme le montre par exemple le point de vue n°9, le projet sera effectivement présent dans le paysage de la vallée de la Selle, mais il sera masqué en partie par les boisements qu'elle comporte. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 79, les points de vue n°23 et 24 ne caractérisent pas une atteinte excessive au village de Monsures, même en tenant compte du parc de Blanc-Mont, tandis que le point de vue n°28 montre clairement qu'il n'y aura aucune covisibilité entre le projet et le château de Monsures.

83. Il résulte de ce qui précède que les réponses apportées par la société pétitionnaire en avril 2021 ont permis de lever les doutes exprimés par la MRAe, en confirmant l'absence d'incidence visuelle excessive, même en tenant compte du parc de Blanc-Mont. Le moyen tiré de ce que le projet porte une atteinte excessive à la commodité du voisinage résultant des phénomènes de densification et de saturation qu'il induit doit donc être écarté.

84. Si M. B... C... et autres produisent de nombreux autres arguments sur les risques d'atteinte au paysage ou à la commodité du voisinage, ceux-ci ne s'appuient pas directement sur les critiques formulées par la MRAe, de sorte qu'ils ne sont pas susceptibles d'être regardés comme révélés par la procédure de régularisation et sont par conséquent inopérants. Ainsi, M. B... C... et autres ne peuvent utilement se prévaloir des motifs de l'arrêté préfectoral du 22 mars 2022 portant refus du parc éolien de la Cressonnière tenant notamment au caractère emblématique et remarquable des vallées de la Selle, Luzières et Evoissons, dans la mesure où cet arrêté, postérieur à l'arrêté du 15 février 2022 et concernant un autre projet de parc éolien, a été annulé par la cour dans un arrêt n°22DA01052 du 21 décembre 2023 et où, surtout, son existence n'est pas révélée par l'avis de la MRAe, ni par la correction d'un autre vice identifié par le jugement avant-dire droit.

85. En quatrième lieu, M. B... C... et autres critiquent l'absence de demande et de délivrance d'une dérogation " espèces protégées ".

86. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : /1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; (...) ". Aux termes de l'article L.411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ainsi que des sites d'intérêt géologique, y compris des types de cavités souterraines, ainsi protégés ; /2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; /3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : /a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; /b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; /c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; /d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens. (...) ".

87. Il résulte de ces dispositions, que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

88. Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci.

89. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

90. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

91. Pour déterminer, enfin, si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects mentionnés au point 3, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l'état de conservation des espèces concernées.

92. Contrairement à ce que soutiennent M. B... C... et autres, il ne suffit pas que des espèces protégées soient présentes sur le site pour exiger de la société pétitionnaire une demande de dérogation sur le fondement des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, mais il convient de tenir compte du contenu des mesures d'évitement et de réduction proposées, et de leur garantie d'effectivité. En l'espèce, il ressort de l'arrêté du 15 février 2022 portant autorisation modificative qu'il prévoit, comme l'autorisation initiale, quatre mesures d'évitement et de réduction en son article 3.1 : l'installation d'une " grille de protection afin d'empêcher l'intrusion des chiroptères dans les éoliennes ", " une implantation à 270 mètres au minimum des haies, boisements et bosquets ", la mise en œuvre d'un " dispositif de suivi de la mortalité des chiroptères " durant la période de travaux et la phase d'exploitation et, enfin et surtout, la mise en œuvre d'un plan de bridage des éoliennes E5, E6 et E7, du " début du mois de mars à la fin du mois de novembre ", durant la période nocturne " définie comme allant de une heure avant le coucher du soleil à une heure après le lever ", lorsque les vents soufflent faiblement (jusqu'à 6 m/s) et que la température n'est pas froide (supérieure à 7°C). Si M. B... C... et autres contestent le caractère suffisant de ce plan, ils se contentent de développements très généraux et ne produisent aucune contre-expertise, alors que l'étude d'impact actualisée en 2020 était, ainsi qu'il a été dit au point 36, complète et fiable. Il ne résulte pas de l'instruction que les mesures proposées seraient insuffisantes ou ne seraient pas effectivement mises en œuvre par la société pétitionnaire.

93. Par suite, en l'absence de risque " suffisamment caractérisé ", le moyen tiré de l'absence de demande et de délivrance d'une dérogation " espèces protégées " doit être écarté.

94. Il résulte de tout ce qui précède que les éléments révélés par la régularisation, et en particulier par l'avis de la MRAe, ne permettent pas d'établir l'existence de nouveaux vices.

Quant aux moyens ayant trait à des vices propres de l'arrêté du 15 février 2022 :

95. M. B... C... et autres soutiennent que l'arrêté du 15 février 2022, qui modifie l'arrêté du 4 mai 2018 pour assurer la régularisation notamment du vice tiré de l'insuffisance de l'étude acoustique, est lui-même affecté d'un autre vice, qui lui est propre. Ce vice tient à ce que les prescriptions relatives au plan de bridage contenues dans l'arrêté ne sont pas suffisamment précises au regard des résultats de l'étude acoustique.

96. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 15 février 2022 indique en son article 1 que l'arrêté préfectoral du 4 mai 2018 est modifié " au regard (...) de la prise en compte dans la nouvelle étude acoustique du potentiel impact cumulé avec les parcs éoliens de Belleuse et de Lavacquerie ", notamment en ce qui concerne " le plan de bridage acoustique ". Il ressort de l'article 5.1.2 de cet arrêté consacré au " plan de bridage acoustique " que " l'exploitant met en place le plan de bridage tel que prévu dans son dossier de demande d'autorisation dès la mise en service du parc. ". L'arrêté se réfère à plusieurs reprises au dossier complété le 21 décembre 2020, qui comporte un nouveau plan de bridage, qui diffère significativement de celui formalisé par l'arrêté du 5 mai 2018. Contrairement à ce que soutiennent M. B... C... et autres, le préfet n'était pas tenu de reproduire dans son arrêté le contenu du nouveau plan de bridage et pouvait simplement s'y référer, cette référence suffisant pour rendre le plan de bridage opposable. Les articles 5.1.1 et 6 de l'arrêté prévoient, au demeurant, que des mesures de contrôle acoustique seront mises en œuvre dans les six mois de la mise en service des installations, que les résultats seront transmis à l'inspection des installations classées et que la société pétitionnaire devra prendre les actions correctives appropriées pour garantir le respect des valeurs réglementaires définies dans l'arrêté ministériel du 26 août 2011, y compris en renforçant le plan de bridage. En renvoyant à ces dispositions, le préfet de la Somme a défini avec une précision suffisante le bridage acoustique du projet, alors qu'il a, par ailleurs, prévu des mesures de suivi, d'auto surveillance et, le cas échéant, de correction. Par suite, le vice tiré de l'insuffisance du plan de bridage prévu dans l'arrêté du 15 février 2022 n'est pas caractérisé.

97. Il résulte de ce qui précède que la mesure de régularisation formalisée dans l'arrêté du 15 février 2022 n'est entachée d'aucun vice propre.

98. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Parc éolien de Monsures est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a annulé l'arrêté du 4 mai 2018 et l'arrêté du 15 février 2022.

Sur les frais liés à la première instance et à l'instance d'appel :

99. Parties perdantes dans les deux instances, M. B... C... et autres ne peuvent voir accueillies leurs conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

100. Il y a en revanche lieu de mettre à la charge de M. A... B... C..., de l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles et de l'association Sites et Monuments la somme de 1 000 euros, chacun, à verser à la société Parc éolien de Monsures sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 16 juin 2022 est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. B... C... et autres tant en première instance qu'en appel sont rejetées.

Article 3 : M. B... C... versera à la société Parc éolien de Monsures la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : L'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles versera à la société Parc éolien de Monsures la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : L'association Sites et Monuments versera à la société Parc éolien de Monsures la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... C..., à l'association samarienne de défense contre les éoliennes industrielles, à l'association Sites et Monuments, à la société Parc éolien de Monsures et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 9 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Vincent Thulard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2025.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°22DA01576 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01576
Date de la décision : 23/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Eustache
Avocat(s) : JEANTET ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-23;22da01576 ?
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