Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 11 mai 2023 par lequel le préfet de l'Eure lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné.
Par un jugement n° 2303071 du 22 février 2024, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mai 2024, M. A..., représenté par Me Verilhac, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Eure du 11 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, subsidiairement, de procéder à un réexamen de sa situation, en lui remettant, dans l'attente et dans un délai de huit jours, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, selon qu'il aura été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle ou non, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et/ou 37 de la loi du 10 juillet 1991, une somme de 1 500 euros hors taxe à verser à son conseil désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou une somme de 1 500 euros à lui verser directement.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que la commission du titre de séjour n'a pas été saisie pour avis ;
- elle procède d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour sur laquelle elle est fondée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence des décisions portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français sur lesquelles elle est fondée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2024, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête d'appel de M. A....
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 avril 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Toutias, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., né le 19 mars 1970, ressortissant de la République de Guinée, est selon ses déclarations entré en France le 18 septembre 2011 aux fins d'y solliciter l'asile. Sa demande en ce sens a été successivement rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 31 octobre 2012 et la Cour nationale du droit d'asile le 28 mai 2013. Il a fait l'objet d'obligations de quitter le territoire français les 12 décembre 2013 et 6 juin 2018 auxquelles il n'a pas déféré. Le 9 février 2023, il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 11 mai 2023, le préfet de l'Eure a refusé de faire droit à sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il doit être éloigné. M. A... relève appel du jugement du 22 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles (...) L. 423-23 (...) à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; / (...) / 4° Dans le cas prévu à l'article L. 435-1 ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 435-1 du même code : " (...) / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que la commission du titre de séjour est obligatoirement saisie pour avis, entre autres, lorsque l'autorité administrative envisage de rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans.
3. Il est constant que, quand bien même la demande de régularisation présentée par M. A... n'a été fondée qu'à titre subsidiaire sur les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Eure a examiné sa situation au regard de ces dispositions et qu'à ce titre, l'intéressé peut utilement se prévaloir de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour. Pour justifier de sa résidence habituelle en France, M. A... a produit devant la cour, en complément de celles déjà produites devant le tribunal administratif, de nombreuses pièces qu'il y a lieu de prendre en compte, bien qu'elles n'aient pas été jointes à sa demande de régularisation devant le préfet, dès lors qu'elles révèlent une situation de fait prévalant à la date de l'arrêté attaqué. Ces pièces, qui associent des courriers d'organismes officiels, des documents médicaux et des témoignages, permettent de retenir une résidence habituelle et continue en France depuis l'entrée de M. A... sur le territoire en 2011 jusqu'à la date de la décision attaquée le 11 mai 2023, soit une période de plus de dix ans. Dès lors, le préfet de l'Eure a entaché sa décision de refus de délivrance d'un titre de séjour d'un vice de procédure en la prononçant sans qu'ait été préalablement recueilli l'avis de la commission du titre de séjour. Ce vice de procédure a en l'espèce privé M. A... d'une garantie et est susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise. Le moyen soulevé en ce sens doit, dès lors, être accueilli.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 mai 2023 par lequel le préfet de l'Eure lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et, par voie de conséquence, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu ci-dessus, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet de l'Eure, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. A..., après saisine de la commission du titre de séjour, et de prendre une nouvelle décision, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par M. A....
Sur les frais liés au litige :
6. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Verilhac, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Verilhac de la somme de 1 000 euros toutes taxes comprises.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2303071 du 22 février 2024 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Eure du 11 mai 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Eure, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de procéder au réexamen de la demande de titre de séjour présentée par M. A..., après saisine de la commission du titre de séjour, et de prendre une nouvelle décision, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Verilhac une somme de 1 000 euros toutes taxes comprises en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Verilhac renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur, au préfet de l'Eure et à Me Verilhac.
Délibéré après l'audience publique du 4 février 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. ToutiasLe président de la formation
de jugement,
Signé : L. Delahaye
La greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00873