Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Rouen :
- d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
- d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, de procéder à un nouvel examen de sa situation, et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;
- et de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros hors taxes à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ou, à défaut, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2302679 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2024, et un mémoire de production de pièces, enregistré le 4 avril 2024, Mme A... C... épouse B..., représentée par Me Marie Verilhac, demande à la cour :
1°) avant-dire droit, d'enjoindre à l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de produire l'ensemble des éléments sur lesquels les médecins de l'office se sont fondés pour apprécier l'offre de soins présente en Arménie pour sa pathologie ;
2°) de saisir, à titre préjudiciel, le conseil d'Etat d'une demande d'avis concernant la question de la production des éléments sur lesquels se base l'administration pour déterminer la réponse à la question de l'offre de soins dans les contentieux des décisions de refus de titre de séjour et d'obligation de quitter le territoire français ;
3°) d'annuler ce jugement ;
4°) d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement ;
5°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Seine-Maritime, en cas d'admission d'un moyen de légalité interne, de lui délivrer une carte de séjour temporaire valable un an et portant la mention " vie privée et familiale " ou à défaut, en cas d'admission d'un moyen de légalité externe, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de son dossier ;
6°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros hors taxes à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ou, à défaut, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle souffre d'une motivation insuffisante ;
- elle a été adoptée à la suite d'une procédure irrégulière car la commission du titre de séjour n'a pas été saisie alors qu'elle réside en France depuis plus de dix ans ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle souffre d'une motivation insuffisante ;
- elle est, en raison de l'illégalité de la décision lui refusant un titre de séjour, dépourvue de base légale ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 611-3 9° et L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et procède d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle souffre d'une motivation insuffisante ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle procède d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est, en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, dépourvue de base légale ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations des articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Un mémoire de production de pièces, présenté par le directeur général de l'OFII, a été enregistré le 15 mai 2024.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2024, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 27 février 2025.
Mme A... C... épouse B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mars 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- et les observations de Mme A... C... épouse B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... C... épouse B..., ressortissante arménienne, née le 29 août 1976, affirme être entrée en France le 25 avril 2008. Elle a déposé une demande d'asile le 13 juin 2008 qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 8 septembre 2008 et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 3 juin 2009. Du 14 novembre 2013 au 18 octobre 2017, Mme C... a été autorisée à séjourner en qualité de visiteur, en accompagnement de son époux malade, M. D... B..., et a bénéficié d'une autorisation provisoire au séjour jusqu'au 20 août 2018. Le 9 décembre 2019, elle a sollicité auprès de la préfecture du Nord son admission exceptionnelle au séjour et s'est vu opposer le même jour une décision verbale de refus d'enregistrement, qui a été annulée par un jugement définitif n°1901825 du 5 avril 2022 du tribunal administratif de Lille. Mme C... a alors sollicité le 21 septembre 2022, sur la plateforme de démarches simplifiées, son admission au séjour. Par un arrêté du 21 avril 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Mme C... interjette appel du jugement n°2302679 du 19 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté ainsi que ses conclusions à fin d'injonction et de remboursement de ses frais d'instance.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Par son jugement définitif du 5 avril 2022 annulant la décision verbale du 9 décembre 2019 par laquelle un agent de la préfecture du Nord avait refusé d'enregistrer la demande de titre de séjour de Mme C..., le tribunal administratif de Lille a enjoint à l'autorité préfectorale d'enregistrer sa demande d'admission exceptionnelle au séjour. Le préfet de la Seine-Maritime doit donc être regardé comme ayant été saisi de la demande de titre de séjour de Mme C... à la fois sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile invoqués en 2022 mais aussi sur celui de l'article L. 435-1 du même code invoqué en 2019 et auquel l'administration avait illégalement opposé un refus d'enregistrement.
En ce qui concerne le vice de procédure tenant au défaut de consultation de la commission du titre de séjour :
3. D'une part, aux termes de l'article L.432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour qui est saisie pour avis par l'autorité administrative : / 1° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer ou de renouveler la carte de séjour temporaire prévue aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-13, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21, L. 423-22, L. 423-23, L. 425-9 ou L. 426-5 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; /2° Lorsqu'elle envisage de refuser de délivrer la carte de résident prévue aux articles L. 423-11, L. 423-12, L. 424-1, L. 424-3, L. 424-13, L. 424-21, L. 425-3, L. 426-1, L. 426-2, L. 426-3, L. 426-6, L. 426-7 ou L. 426-10 à un étranger qui en remplit effectivement les conditions de délivrance ; (...) / 4° Dans le cas prévu à l'article L.435-1 ". Aux termes de l'article L. 432-15 du même code : " L'étranger est convoqué par écrit au moins quinze jours avant la date de la réunion de la commission qui doit avoir lieu dans les trois mois qui suivent sa saisine ; il peut être assisté d'un conseil ou de toute personne de son choix et être entendu avec l'assistance d'un interprète. / Il peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, cette faculté étant mentionnée dans la convocation. L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par le président de la commission. /Les conditions dans lesquelles l'étranger est autorisé à séjourner en France jusqu'à ce que l'autorité administrative ait statué sont déterminées par décret en Conseil. ". Il résulte de ces dispositions que la consultation de la commission du titre de séjour, à laquelle est attachée la possibilité pour l'étranger de présenter ses observations, revêt ainsi pour ce dernier le caractère d'une garantie.
4. D'autre part, aux termes de l'article L.435-1 de ce code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", "travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ".
5. Il résulte de l'application combinée de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du titre de séjour du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues aux articles cités par le 1° et le 2° de l'article L. 432-13 et auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité, et non du cas de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions. En revanche, il est tenu de saisir la commission du titre de séjour lorsqu'il envisage de ne pas faire droit à la demande d'admission exceptionnelle au séjour fondée sur l'article L.435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans.
6. En l'espèce, Mme C... a produit de nombreuses pièces administratives et médicales desquelles il résulte qu'arrivée en France en 2008, elle a déposé une demande d'asile dont elle a été déboutée définitivement en 2009 mais qu'elle a bénéficié de récépissés de demandes de titre de séjour et de cartes de séjour entre novembre 2013 et août 2018. Sa résidence à Lille entre 2009 et 2020 est justifiée par l'attestation du 6 mai 2020 d'une association lilloise témoignant de son accompagnement et de son hébergement durant cette période, par des relevés de compte retraçant le loyer d'un logement qu'elle a occupé à Lille avec son époux entre 2016 et 2021 et des avis d'impôt sur les revenus déclarés avec son époux entre 2011 et 2021. Mme C..., qui affirme s'être séparée de son époux courant 2021, justifie par de nombreux comptes-rendus d'analyses médicales et de consultations au centre hospitalier de Rouen ainsi que par des attestations dressées par deux associations de Dieppe, résider à Dieppe depuis 2021 et ce jusqu'à la date de l'arrêté attaqué intervenu le 21 avril 2023. Ainsi, dans la mesure où Mme C... démontre sa présence habituelle sur le territoire français depuis plus de dix ans, elle est fondée à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime, en ne saisissant pas au préalable la commission du titre de séjour pour avis, a entaché son arrêté portant notamment refus de titre de séjour d'un vice de procédure.
7. Par suite, et sans qu'il soit besoin, d'une part, de saisir à titre préjudiciel le Conseil d'Etat de la demande d'avis sollicité par l'appelante, qui au demeurant relève d'un pouvoir propre du juge, d'autre part, d'enjoindre à l'OFII de produire l'ensemble des éléments sur lesquels les médecins de l'office se sont fondés pour apprécier l'offre de soins présente en Arménie pour sa pathologie, enfin, de statuer sur les autres moyens de la requête, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
9. Le présent arrêt, qui annule pour un vice de procédure la décision de refus de titre de séjour prise à l'encontre de Mme C... et, par voie de conséquence, la décision portant obligation de quitter le territoire et fixant le pays de destination, implique nécessairement d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à l'intéressée sans délai une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance d'appel :
10. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, Me Marie Verilhac peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et, sous réserve que l'avocate de l'appelante renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Verilhac.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°2302679 du 19 décembre 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à Mme C... sans délai une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Marie Verilhac en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse B..., à Me Marie Verilhac et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience publique du 30 avril 2025 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Damien Vérisson, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.
La présidente-rapporteure,
Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : N. Roméro
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Nathalie Roméro
N°24DA00668 2