Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) De Rode Koe a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2017 et 30 juin 2018 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2015 au 30 juin 2018, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 2104850 du 28 mars 2024, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 16 avril 2024, l'EURL De Rode Koe, représentée par Me Joël Delattre, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification méconnaît l'article L. 57 du livre des procédures fiscales dès lors que le ratio moyen constaté après vérification entre les bases soumises à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 10 % et celles soumises à cette même taxe au taux de 20 %, qui sert au calcul des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, n'est pas suffisamment expliqué, la détermination de ce ratio n'ayant été détaillée qu'à l'occasion du rapport adressé par le service vérificateur à la commission des impôts directs ;
- la proposition de rectification méconnaît l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle ne précise pas la teneur et l'origine des renseignements obtenus auprès des tiers par l'administration dans le cadre de l'exercice de son droit à communication ;
- s'agissant de la reconstitution du chiffre d'affaires, la proportion des encaissements en espèces, déterminée par l'administration à hauteur de 15,6 % des encaissements sur la base des tickets Z du mois de janvier 2019, est exagérée dès lors qu'elle ne s'élève qu'à 6,7 % au regard des tickets Z du mois de septembre 2019 ;
- le pourcentage de 11,56 % appliqué à son chiffre d'affaires pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 % est également exagéré au regard des tickets Z des mois de janvier et juin 2017 et de ce qu'il a été déterminé à tort à partir du chiffre d'affaires toutes taxes comprises et non à partir du chiffre d'affaires hors taxe.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Alice Minet, première conseillère,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur l'objet du litige :
1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) De Rode Koe, qui exploite un restaurant situé à Lille, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er juillet 2015 au 30 juin 2018. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a, par une proposition de rectification du 5 août 2019, rejeté la comptabilité présentée par l'EURL De Rode Koe au motif qu'elle n'était ni probante ni sincère, procédé à la reconstitution de ses chiffres d'affaires et l'a assujettie à une cotisation primitive d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 30 juin 2017 et 30 juin 2018 et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au titre de la période du 1er juillet 2015 au 30 juin 2018. Ces impositions ont été mises en recouvrement le 15 février 2021.
2. Sa réclamation ayant été rejetée, l'EURL De Rode Koe a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille en lui demandant de prononcer, en droits et pénalités, la décharge de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 juin 2016, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2017 et 30 juin 2018 et des rappels de TVA mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2015 au 30 juin 2018, ainsi que des pénalités correspondantes. L'EURL De Rode Koe relève appel du jugement du 28 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
En ce qui concerne la violation de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales :
3. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ".
4. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.
5. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 5 août 2019, qu'après avoir constaté, pour les exercices vérifiés, une minoration du chiffre d'affaires de l'EURL De Rode Koe et une absence de déclaration de TVA au taux de 20 % alors que la carte du restaurant exploité par cette société contenait des boissons alcoolisées, le vérificateur a estimé, au regard des pièces produites concernant le mois de janvier 2019, qu'une proportion de 11,56 % du chiffre d'affaires de la société relevait de la TVA de 20 % et il a, en conséquence, assujetti la société à des rappels de TVA pour les exercices 2016, 2017 et 2018.
6. Cette proposition de rectification comportait, à la septième de ses dix pages, la phrase suivante : " Le ratio moyen constaté après vérification entre les bases soumises à la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 10 % et celles soumises à cette même taxe au taux de 20 % est de 93,24 % du CA HT relevant du taux de 10 % et 6,76 % relevant du taux de 20 % ". L'EURL De Rode Koe soutient que ce ratio de 6,76 % n'a pas été suffisamment expliqué alors qu'il servait au calcul des rappels de taxe sur la valeur ajoutée.
7. Toutefois, il résulte de l'ensemble des mentions de la proposition de rectification du 5 août 2019 que le ratio de 6,76 % n'a été donné par le vérificateur qu'à titre purement indicatif et que les rappels de TVA ont été calculés à partir du pourcentage du chiffre d'affaires soumis à la TVA de 20 % déterminé à partir des pièces produites relatives au mois de janvier 2019 et fixé à 11,56 %.
8. Dans ces conditions, l'EURL De Rode Koe n'est pas fondée à soutenir que la proposition de rectification, qui mentionnait les impositions envisagées, les années d'imposition et la nature, les motifs, les fondements légaux et les montants des rectifications envisagées, était insuffisamment motivée.
En ce qui concerne la violation de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales :
9. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
10. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent.
11. Il résulte de l'instruction que l'EURL De Rode Koe, qui admet que l'administration a satisfait son obligation de communication prévue par les dispositions précitées de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, a reçu, en réponse à sa demande du 2 octobre 2019, communication des documents obtenus par l'administration auprès des tiers, par un courrier du 27 novembre 2019.
12. Dans ces conditions, il doit être tenu pour établi que l'EURL De Rode Koe a eu connaissance, avant la mise en recouvrement des impositions en litige, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus de tiers par le service, alors même que les éléments contenus dans la proposition de rectification du 5 août 2019 auraient été insuffisants à cet égard.
13. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par l'administration, des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions en litige :
En ce qui concerne la charge de la preuve :
14. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions ou le comité mentionnés à l'article L. 59 ou le comité prévu à l'article L. 64 est saisi d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / (...) ".
15. Il résulte de l'instruction, et notamment des mentions de la proposition de rectification du 5 août 2019, que le vérificateur a regardé la comptabilité qui lui avait été présentée, dans le cadre de la vérification de la comptabilité de l'EURL De Rode Koe des exercices clos les 30 juin 2016, 30 juin 2017 et 30 juin 2018, comme non probante.
16. Le service a ainsi relevé que les montants des recettes étaient transmis mensuellement au cabinet comptable, sans justificatif probant et de manière sommaire sous la forme d'un chiffre d'affaires global dépourvu de toute précision quant à la nature des ventes, des moyens de paiement ou du taux de TVA appliqué, de sorte que l'ensemble du chiffre d'affaire était déclaré au taux de TVA de 10 %, les ventes de boissons alcoolisées étant considérées comme marginales, et que les éléments présentés par la société ne permettaient pas, en l'absence de bande de caisse enregistreuse, de doubles de notes ou de tout autre pièce, de justifier du détail physique des recettes en termes de type et nombre de produits ou d'articles, ni des prix pratiqués.
17. Le vérificateur a également relevé que la comptabilité de la société requérante ne retraçait pas l'ensemble des opérations effectivement réalisées dès lors que les encaissements constatés sur le compte bancaire de la société étaient supérieurs aux chiffres d'affaires déclarés en recettes imposables, une partie des encaissements clairement identifiés comme des produits pour la société ayant été portés au crédit du compte courant de la gérante de la société au lieu d'un compte de produits, que les recettes en espèces ne faisaient l'objet d'aucun dépôt sur le compte bancaire de la société, à l'exception d'une somme totale de 3 040 euros au titre de l'exercice clos en 2016, et que l'EURL De Rode Koe ne déclarait pas de TVA au taux normal alors que la carte de son restaurant comportait des boissons alcoolisées.
18. S'il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification du 5 août 2019 que le chiffre d'affaires déclaré de l'exercice clos le 30 juin 2016 n'a été minoré que de 0,70 % par rapport au chiffre d'affaires réalisé, les autres motifs évoqués aux points précédents constituent, à eux seuls de graves irrégularités comptables affectant la comptabilité de cet exercice. Par ailleurs, le chiffre d'affaires a été minoré de 43,55 % pour l'exercice clos le 30 juin 2017 et de 37,33 % pour l'exercice clos le 30 juin 2018, de sorte que cette seule circonstance pouvait être regardée comme constitutive d'une grave irrégularité comptable.
19. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve des graves irrégularités comptables.
20. Par suite, et alors que les impositions établies selon la procédure de rectification contradictoire ont été fixées conformément à l'avis émis le 7 décembre 2020 par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du Nord, il incombe à l'EURL De Rode Koe, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, d'apporter la preuve de l'exagération de ces impositions.
En ce qui concerne le caractère exagéré des impositions en litige :
S'agissant de la proportion des encaissements en espèce :
21. Pour reconstituer le chiffre d'affaires de l'EURL De Rode Koe, l'administration a déterminé les chiffres d'affaires taxables des exercices vérifiés en se fondant sur les encaissements constatés sur les comptes bancaires de la société. En l'absence de dépôt d'espèces sur ces comptes bancaires, à l'exception de la somme de 3 040 euros pour l'exercice clos le 30 juin 2016, l'administration a fixé à 15,6 % la proportion des espèces à partir des tickets Z du mois de janvier 2019 qui lui ont été présentés par l'EURL De Rode Koe au cours des opérations de vérification.
22. Si l'EURL De Rode Koe fait valoir que la proportion des encaissements en espèces ne s'élevait qu'à 6,7 % de son chiffre d'affaires au cours des exercices en litige, elle n'apporte pas la preuve du caractère exagéré de l'estimation faite par l'administration en se bornant à produire les tickets Z du seul mois de septembre 2019, lequel est au demeurant postérieur à la vérification de comptabilité réalisée entre le 18 février et le 17 juillet 2019.
S'agissant de la proportion du chiffre d'affaires soumise à la TVA au taux de 20% :
23. En premier lieu, pour déterminer le montant des rappels de TVA, l'administration a estimé, sur la base des documents relatifs au mois de janvier 2019, que la proportion de son chiffre d'affaires soumise à la TVA de 20 % s'élevait à 11,56 %.
24. Si l'EURL De Rode Koe fait valoir que les tickets des mois de janvier et de juin 2017 montrent que la proportion de son chiffre d'affaires soumise à la TVA au taux de 20 % ne s'élevait respectivement qu'à 7,8 % et 9,1 %, il résulte de l'instruction que ces pourcentages, au demeurant établis sur la base d'éléments d'une comptabilité non probante, sont ceux déterminés au regard du chiffre d'affaires hors taxe global de la société et doivent donc être comparés au ratio de 6,76 % établi par l'administration à partir de ce chiffre d'affaires global.
25. En second lieu, si l'EURL De Rode Koe soutient que la proportion du chiffre d'affaires soumise à la TVA à 20 % aurait dû être déterminée à partir du chiffre d'affaires hors taxe et non du chiffre d'affaires toutes taxes comprises, ce qui aurait conduit à fixer cette proportion à 10,7 %, il résulte de l'instruction que la proportion déterminée par l'administration, qui s'élève à 11,57 %, l'a été à partir des encaissements sur les comptes bancaires de la société qui correspondent nécessairement à des montants toutes taxes comprises.
26. Dans ces conditions, l'EURL De Rode Koe n'établit pas que les impositions en litige présentent un résultat exagéré.
27. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL De Rode Koe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins de décharge, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article R. 761-1 du même code doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'EURL De Rode Koe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL De Rode Koe et à la ministre chargée des comptes publics.
Copie en sera adressée à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
Délibéré après l'audience publique du 22 mai 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- M. François-Xavier Pin, président assesseur,
- Mme Alice Minet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.
La rapporteure,
Signé : A. Minet Le président de chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : E. Héléniak
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Elisabeth Héléniak
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N°24DA00733