Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 25 août 2023, le 29 juillet 2024 et le 8 octobre 2024, la société Parc éolien de Revelles, représentée par Me Gelas, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 5 juillet 2023 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale de construire et exploiter un parc éolien de trois aérogénérateurs et d'un poste de livraison à Revelles (80540) ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Somme de reprendre l'instruction de sa demande dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux du 5 juillet 2023 est insuffisamment motivé et se fonde sur des avis du ministre des armées eux-mêmes insuffisamment motivés ;
- les avis des ministres des armées sur lesquels se fonde l'arrêté litigieux du préfet de la Somme sont entachés d'erreur d'appréciation ;
- ces avis sont entachés d'un défaut de base légale ;
- le refus du préfet est entaché d'erreur d'appréciation dès lors notamment qu'il n'a pas tenu compte de la possibilité de subordonner l'autorisation environnementale sollicitée à la prise en charge par l'exploitant de l'acquisition, de l'installation, de la mise en service et de la maintenance d'équipements destinés à compenser la gêne résultant de cette installation pour le fonctionnement des moyens de détection militaires, ainsi que le permettent les dispositions de l'article L. 515-45-1 du code de l'environnement.
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés les 29 avril et 1er octobre 2024, le préfet de la Somme conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le moyen tiré de l'insuffisante motivation de son arrêté du 5 juillet 2023 est inopérant dès lors qu'il était en compétence liée pour refuser l'autorisation environnementale sollicitée par la société requérante du fait de l'avis conforme négatif émis par le ministre des armées. En tout état de cause, ce moyen n'est pas fondé ;
- le moyen tiré d'un défaut de base légale des avis du ministre des armées est irrecevable en application de l'article R. 611-7-2 du code de justice administrative. En tout état de cause, ce moyen n'est pas fondé ;
- le moyen soulevé de la méconnaissance par l'arrêté du 5 juillet 2023 de l'article L. 51545-1 du code de l'environnement est quant à lui irrecevable au regard des dispositions de l'article R 611-7-2 du code de justice administrative, inopérant au regard de la situation de compétence liée dans lequel il se trouvait et, en tout état de cause, infondé dès lors que la société requérante n'établit pas que des équipements auraient pu compenser la gêne générée par son projet pour le radar militaire de Doullens ;
- les autres moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile,
- le code de l'environnement,
- l'arrêté du 26 août 2011 modifié, relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thulard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Eustache, rapporteur public,
- et les observations de Me Boudrot, représentant la société Parc éolien de Revelles, et les explications de Mme A... pour le préfet de la Somme.
Considérant ce qui suit :
1. La société Parc éolien de Revelles a déposé le 9 décembre 2022 une demande d'autorisation environnementale en vue de construire et exploiter un parc éolien, composé de trois aérogénérateurs et d'un poste de livraison implantés sur le territoire de la commune de Revelles (80540). Par un arrêté du 5 juillet 2023, le préfet de la Somme a rejeté cette demande au motif de l'existence d'avis conformes défavorables rendus par le ministre des armées les 16 février et 27 juin 2023. Par la présente requête, la société Parc éolien de Revelles demande à la cour d'annuler cet arrêté.
Sur le cadre juridique applicable :
2. D'une part, si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-9 du code de l'environnement " L'instruction de la demande d'autorisation environnementale se déroule en trois phases : / 1° Une phase d'examen ; / 2° Une phase de consultation du public ; / 3° Une phase de décision. / Toutefois, l'autorité administrative compétente peut rejeter la demande au cours de la phase d'examen lorsque celle-ci fait apparaître que l'autorisation ne peut être accordée en l'état du dossier ou du projet. [...] ". Aux termes de l'article R. 181-32 du même code dans sa rédaction applicable à l'arrêté en litige : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme [...] 2° Le ministre de la défense, y compris pour ce qui concerne les radars et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR) relevant de sa compétence (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du même code dans sa rédaction applicable à l'arrêté en litige : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : [...] 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable [...] La décision de rejet est motivée ".
4. Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile alors applicables et dont certaines des dispositions ont été par la suite reprises en substance à l'article L. 6352-1 du code des transports : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. / Des arrêtés ministériels déterminent les installations soumises à autorisation ainsi que la liste des pièces qui doivent être annexées à la demande d'autorisation (...) ".
5. Il résulte des dispositions combinées des articles R. 181-32 et R. 181-34 du code de l'environnement citées au point 3 que la délivrance de l'autorisation environnementale portant sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent est subordonnée à un accord du ministre de la défense. Lorsque cet accord est sollicité par le préfet après que ce dernier a été saisi d'une demande d'autorisation environnementale, comme c'est le cas dans la présente espèce, le refus d'un tel accord, qui s'impose au préfet, ne constitue pas une décision susceptible de recours, conformément aux principes énoncés au point 2. En revanche, conformément auxdits principes, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par le préfet pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.
Sur les moyens dirigés contre les avis du ministre des armées en date des 16 février et 27 juin 2023 :
S'agissant de la fin de non-recevoir opposée par le ministre au moyen tiré du défaut de base légale :
6. Aux termes de l'article R. 611-7-2 du code de justice administrative dans ses dispositions alors applicables : " Par dérogation à l'article R. 611-7-1, et sans préjudice de l'application de l'article R. 613-1, lorsque la juridiction est saisie d'une décision mentionnée à l'article R. 311-5, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s'effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 611-3 du code de justice administrative. / Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu'il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l'affaire le justifie. ". L'article R. 311-5 du même code mentionne en son 1° les décisions d'autorisation environnementale prévues par l'article L. 181-1 du code de l'environnement.
7. Il en résulte qu'un moyen nouveau présenté après l'expiration du délai de deux mois prévu par le premier alinéa de l'article R. 611-7-2 est, en principe, irrecevable. Le président de la formation de jugement est cependant tenu de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens dans le cas particulier où le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire .
8. En l'espèce, le premier mémoire en défense du préfet de la Somme a été communiqué à la société requérante le 7 mai 2024. Elle a soulevé le moyen tiré d'un défaut de base légale des avis du ministre des armées des 16 février et 27 juin 2023 dans son premier mémoire complémentaire qui a été enregistré au greffe de la cour le 29 juillet 2024, soit après expiration du délai de deux mois prévu par le premier alinéa de l'article R. 611-7-2 du code de justice administrative. La société Parc éolien de Revelles n'a pas fait valoir que ce moyen serait fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont elle n'aurait pas été en mesure de faire état avant l'expiration de ce délai et cette circonstance ne résulte pas de l'instruction. Dans ces conditions, le préfet de la Somme est fondé à soutenir en défense que ce moyen est irrecevable dans la présente instance.
S'agissant des autres moyens :
9. En premier lieu, les avis du ministre des armées en date des 16 février et 27 juin 2023 comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et sont donc en tout état de cause suffisamment motivés, contrairement à ce que soutient la société requérante.
10. En second lieu, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 août 2011 modifié : " L'installation est implantée de façon à ne pas perturber de manière significative le fonctionnement des radars utilisés dans le cadre des missions de sécurité météorologique des personnes et des biens et de sécurité à la navigation maritime et fluviale. En outre, les perturbations générées par l'installation ne remettent pas en cause de manière significative les capacités de fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés dans le cadre des missions de sécurité à la navigation aérienne civile et les missions de sécurité militaire. ".
11. Il résulte de l'instruction que les avis litigieux du ministre des armées ne sont pas fondés sur l'application d'un critère théorique de distance dans l'appréciation de la perturbation des radars par les éoliennes mais sur une analyse circonstanciée de l'impact du projet de la société Parc éolien de Revelles sur les radars militaires situés à Doullens. A ce titre, il ressort en particulier de la note technique de la brigade aérienne de la posture de la permanence de sûreté du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) produite par l'administration, que l'ensemble des éoliennes projetées sera en intervisibilité électromagnétique avec le radar militaire de Doullens dont il sera de nature à dégrader les performances. Cette note contient en annexe l'analyse de l'incidence de l'intervisibilité électromagnétique réalisée grâce à un outil de calcul dédié dénommé " TIMOR ", dont il ressort que les trois aérogénérateurs, d'une hauteur de 180 mètres et situées à une distance de 47 ou 48 km du radar de Doullens, seraient détectables par celui-ci sur une hauteur de 112 à 123 mètres.
12. La société requérante ne remet pas en cause sérieusement ces conclusions en contestant l'absence d'intervisibilité électromagnétique du fait de la distance entre les éoliennes et le radar de Doullens sans apporter aucun élément précis sur le relief les séparant ou en faisant valoir de manière laconique que l'orientation du rotor des éoliennes par rapport au faisceau radar n'aurait pas été prise en compte. Elle ne saurait non plus se fonder sur une étude de 2006 de l'agence nationale des fréquences fixant des préconisations pour les radars fixes de la défense du fait de l'ancienneté de celle-ci et alors que le ministre fait valoir que l'état de l'art et des connaissances scientifiques a depuis notoirement évolué.
13. Par ailleurs, si la société Parc éolien de Revelles mentionne les conclusions d'une campagne d'études réalisée en 2019 par le ministère des armées lui-même qui selon elle, estime qu'au-delà de 30 km les perturbations créées par les aérogénérateurs sur les radars sont " très aléatoires et difficiles à estimer ", telle n'est pas la conclusion de cette étude. Celle-ci estime que les éoliennes peuvent nuire au fonctionnement des radars en raison de phénomène, premièrement, de faux plots primaires, deuxièmement, de masquage, et, troisièmement, de désensibilisation et que, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, seuls les phénomènes de masquage sont directement en lien avec la distance séparant le radar et des éoliennes et sont, en règle générale, peu marqués au-delà de 30 km. En revanche, les phénomènes de faux plots primaires apparaissent quand l'éolienne est dans le champ de visibilité du radar, ce qui est le cas en l'espèce, et ceux de désensibilisation ont pu être mis en évidence pour des éoliennes implantées jusqu'à 70 km du radar. Il en résulte que la note technique de la brigade aérienne de la posture de la permanence de sûreté du CDAOA n'apparait pas contradictoire avec les conclusions de cette étude de 2019.
14. Si la société requérante fait également valoir que son projet n'est pas susceptible de gêner le fonctionnement du radar de Doullens du fait de l'inclinaison de l'axe du foyer du radar par rapport à l'horizontale, qu'elle estime calé à 1 degré, elle n'assortit cette affirmation d'aucun élément de preuve. Elle ne contredit ainsi pas utilement la note technique de la brigade aérienne de la posture de la permanence de sûreté du CDAOA qui a retenu comme il a été dit une intervisibilité électromagnétique.
15. Enfin, la circonstance que des éoliennes soient implantées à une moindre distance du radar de Doullens que celles projetées par la société Parc éolien de Revelles est en elle-même sans incidence, dès lors que la requérante n'apporte pas de précision quant au relief ou à l'intervisibilité électromagnétique de ces parcs.
16. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne résulte donc pas de l'instruction que le ministre des armées aurait commis une erreur d'appréciation en estimant que le projet de parc éolien en cause était susceptible de perturber de façon significative les capacités de détection du radar militaire de Doullens.
Sur les moyens dirigés contre l'arrêté préfectoral du 5 juillet 2023 :
17. Compte tenu des avis défavorables opposés par le ministre de la défense à l'ensemble des éoliennes projetées les 16 février et 27 juin 2023, le préfet de la Somme était en situation de compétence liée pour rejeter la demande d'autorisation environnementale de la société Parc éolien de Revelles. Les moyens tirés par cette dernière du défaut de motivation de l'arrêté du 5 juillet 2023 et de l'erreur d'appréciation l'entachant, du fait notamment de la possibilité pour le préfet de mettre à sa charge des équipements destinés à compenser la gêne causée par son projet au radar de Doullens en application de l'article L. 515-45-1 du code de l'environnement, doivent par conséquent être écartés comme inopérants.
18. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Parc éolien de Revelles doivent être rejetées. Il en est de même, par voie de conséquence, de ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Parc éolien de Revelles est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien de Revelles et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,
- M. Vincent Thulard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé : V. Thulard
La présidente de la 1ère chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Suzanne Pinto Carvalho
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N°23DA01697