Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
1) Par une requête enregistrée le 22 janvier 2022 sous le n° 2200532, M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 décembre 2021 par laquelle la commission ferroviaire d'aptitudes (CFA) l'a déclaré inapte à la conduite de trains et d'enjoindre à cette commission de reconnaître son aptitude dérogatoire permanente en ce qui concerne la vision des couleurs.
Par un jugement n° 2200532 du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 2 décembre 2021 par laquelle la commission ferroviaire d'aptitudes a déclaré M. C... inapte à la conduite de trains et a enjoint à la commission ferroviaire d'aptitudes de soumettre M. C... à un nouvel examen médical, comprenant le test de la lanterne de Beyne ou un test équivalent, et de prendre une nouvelle décision sur son aptitude à la conduite de trains, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous une astreinte de 200 euros par jour de retard.
2) Par une requête enregistrée le 11 août 2022 sous le n° 2206158, M. F... C... a demandé au tribunal administratif de Lyon, d'une part, d'annuler, la décision n° NC2021/39 du 3 août 2022 de la commission ferroviaire d'aptitudes (CFA) maintenant l'avis d'inaptitude physique du 9 septembre 2021, d'autre part, de le déclarer apte à ses fonctions de conducteur de trains et d'enjoindre à la Société nationale des chemins de fer (SNCF) d'utiliser le test de la boîte à feux en tant que test complémentaire lors de ses visites médicales d'aptitudes, de mentionner, dans son dossier médical, l'obligation d'utilisation du test de la boîte à feux lors des visites médicales d'aptitudes ultérieures et de maintenir en état de fonctionnement le test de la boîte à feux par les CFA, enfin, de prononcer la suspension temporaire des agréments de l'ensemble des médecins et psychologues agréés par la CFA et l'interdiction de délivrance de tout nouvel agrément jusqu'à sa déclaration d'aptitude.
Par un jugement n° 2206158 du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 16 août 2022 sous le n° 22LY02535 et des mémoires enregistrés les 24 janvier et 7 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour d'annuler le jugement n° 2200532 du 4 juillet 2022 du tribunal administratif de Lyon et de rejeter la demande de M. C....
Il soutient que :
- l'Etat a produit, le 15 juin 2022, une note en délibéré qui n'a pas été visée dans le jugement du tribunal administratif de Lyon du 4 juillet 2022 en méconnaissance de l'article R. 731-3 du code de justice administrative ; par suite ce jugement est entaché d'irrégularité et doit être annulé pour ce motif ;
- les dispositions de l'annexe II de l'arrêté du 6 août 2010 relatif aux conditions d'aptitude physique et professionnelle et à la formation du personnel habilité à l'exercice de fonctions de sécurité sur le réseau ferré national imposent que la vision normale des couleurs doit être vérifiée et établie au moyen d'un test reconnu, tel que le test dit " E... ", et précisent que ce test reconnu, quel qu'il soit, peut être " complété par un autre test reconnu si nécessaire " ; le médecin d'aptitude agréé et la CFA ne sont pas liés par les précédents avis d'aptitude physique qui ont pu être délivrés au personnel dans un cadre réglementaire différent ; en outre, le recours, par la CFA, à une expertise complémentaire n'est nullement obligatoire mais est laissé à l'appréciation du médecin d'aptitude en fonction des résultats du premier test ; tel n'est pas le cas lorsque le premier test réalisé a donné lieu à de nombreuses erreurs et que le non-respect de l'exigence tenant à la vision normale des couleurs ne présente aucun doute ;
- sont sans incidence sur la légalité d'une décision d'inaptitude physique à la conduite des trains ou à l'exercice de tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire autres que la conduite des trains, les circonstances qu'un agent a été embauché malgré son problème de vision, a été déclaré apte précédemment malgré ce problème de vision ou souffre d'une pathologie non évolutive ;
- la CFA se trouve en situation de compétence liée, en application des dispositions de l'annexe V de l'arrêté ministériel du 7 mai 2015 modifié, lorsqu'un personnel ne remplit pas l'une des exigences fixées par cet arrêté ;
- ainsi, M. C... ne remplissant pas les conditions exigées en matière de vision précisées à l'annexe II de l'arrêté du 6 août 2010, le médecin d'aptitude agréé de la SNCF, puis sur recours, la CFA, ne pouvaient que refuser de délivrer un certificat d'aptitude physique ;
- dès lors que les prescriptions réglementaires relatives à l'exigence en matière de vision ont été respectées, tant par le médecin agréé de la SNCF que par la CFA, M. C... ne peut utilement remettre en cause la validité du test E... au seul motif qu'il n'a pas été procédé à un test complémentaire, non nécessaire du fait des résultats à ce premier test ;
- M. C... n'est pas davantage fondé à se prévaloir de l'absence de caractère évolutif de sa pathologie et du fait qu'il souffrait déjà de cette pathologie lorsqu'il a été embauché par la SNCF, le seul fait de ne pas avoir satisfait, le 9 septembre 2021, lors d'un test reconnu à l'exigence de vision des couleurs justifie la décision attaquée ;
- les circonstances que M. C... a pu être précédemment déclaré apte à la conduite des trains alors qu'il souffrait déjà de sa pathologie et qu'il n'a été impliqué dans aucun incident sont inopérants ;
- les conclusions tendant à ce que soit prononcé une aptitude dérogatoire permanente, qui en tout état de cause ne relève pas de la compétence de la juridiction, ne pourront qu'être rejetées ;
- le moyen tiré de l'incompétence du signataire des mémoires en défense présentés au nom de l'Etat en première instance est inopérant ; en tout état de cause ce moyen n'a pas été soulevé en première instance et n'a pas davantage constitué le fondement du jugement ;
- M. A... G... était habilité à signer la requête d'appel et, par suite, les moyens relatifs à l'irrecevabilité de la requête seront écartés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 novembre 2022, 25 avril et 21 juin 2023, M. C... , représenté par Me Crepin-Dehaene, conclut au rejet de la requête et demande à la cour d'enjoindre au ministre de lui faire passer un nouveau test de vision des couleurs incluant le test complémentaire de la boîte à feux, sous astreinte de 200 euros par jour de retard au-delà du délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 013 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en raison de l'absence de délégation de signature du concluant ;
- la directive 2007/59/CE du Parlement européen et du conseil du 23 octobre 2007 relative à la certification des conducteurs de trains assurant la conduite de locomotives et de trains sur le système ferroviaire dans la communauté, comme le décret du 29 juin 2010 et l'arrêté du 6 août 2010, prévoient expressément le recours possible à un test complémentaire, le test E... ne prévoyant pas de note éliminatoire ; dès lors, en refusant de faire passer un test complémentaire à M. C..., l'administration l'a placé dans une situation l'empêchant de démontrer ses aptitudes à la vision des couleurs ;
- M. C... souffre d'une dyschromatopsie congénitale qui demeure, par conséquent, insusceptible d'évolution ; ainsi, en déduisant du résultat du test passé le 9 septembre 2021 concluant à une " dyschromatopsie grave ", alors qu'auparavant, les tests avaient conclu à une " dyschromatopsie légère ", l'administration s'est livrée à une interprétation subjective, non fondée médicalement ;
- c'est à juste titre que le tribunal a tenu compte des résultats que M. C... a pu obtenir lors de visites médicales antérieures, incluant le test de la lanterne de Beyne ou " boite à feux " ;
- le fait que le test dit " de la boite à feux " soit réalisé sur des appareils dont la maintenance n'est plus assurée est inopérant ;
- aucun test précis n'est prévu ou imposé par le 2.1 du I de l'annexe II de l'arrêté du 6 août 2010 ; le test " Lagon " n'est pas conforme aux prescriptions de cet arrêté ;
- lors de ses visites médicales d'aptitudes, M. C... a toujours été déclaré apte suite à la réalisation du test dit " de la boite à feux ", qui est un test reconnu, et aucune raison légale ne s'oppose à ce qu'il y soit de nouveau soumis ;
- en outre, il a exercé de 2006 à juin 2016 en qualité de conducteur de trains, sans erreur imputable à l'absence de reconnaissance des couleurs des signaux colorés ;
Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 octobre 2023 à 16h30.
II. Par une requête enregistrée le 22 décembre 2023 sous le n° 23LY03958, et un mémoire enregistré le 26 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Crepin-Dehaene, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2206158 du 27 octobre 2023 du tribunal administratif de Lyon ;
2°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de lui faire passer un nouveau test de vision des couleurs incluant le test complémentaire de la boîte à feux, sous astreinte de 200 euros par jour de retard au-delà du délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 413 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de déterminer si le test " Lagon " répond à la qualification de test reconnu au sens de l'arrêté du 6 août 2020.
Il soutient que :
- le test E... n'a aucune primauté sur un quelconque autre test ;
- il n'est pas démontré que le test " Lagon " répondrait à la définition de " test reconnu " au sens de l'annexe II. I. 2. 1. de l'arrêté du 6 août 2010 et il appartient au ministre d'apporter la preuve de son homologation ;
- contrairement à ce qu'affirme le ministre, l'utilisation d'un test complémentaire n'est pas laissée à la libre appréciation du médecin agréé ;
- depuis qu'il a été recruté, les CFA réalisaient le test complémentaire en utilisant le test dit de " la boîte à feux " dont les résultats étaient satisfaisants ;
- l'anomalie de la vision des couleurs dont il est atteint étant d'origine génétique, elle n'est pas susceptible d'évolution, or, depuis que l'administration a changé le test complémentaire, au profit du test " Lagon ", il échoue ;
- le test " Lagon " n'est pas conforme aux exigences de l'annexe II. I. 2. 1. de l'arrêté du 6 août 2010, car il est fondé sur des différences de couleur relatives ;
- c'est à tort que le tribunal a retenu que les avis d'aptitude antérieurs à celui du 1er août 2022 étaient sans incidence sur la légalité de la décision contestée ;
- la décision de la CFA est irrégulière dès lors que certain de ses membres apparaissent en situation de conflit d'intérêt.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le recours à un test complémentaire est laissé à l'appréciation du médecin d'aptitude en fonction des résultats du premier test ; aucun test complémentaire n'est nécessaire lorsque le premier test réalisé a donné lieu à de nombreuses erreurs et que le non-respect de l'exigence tenant à la vision normale des couleurs ne présente aucun doute ;
- un protocole prévoyant le test " Lagon " à titre de test complémentaire au test E... a été validé par le comité interne médical de la SNCF et ce protocole est suivi, depuis 2016, pour contrôler la vision des couleurs des agents de conduite ;
- ni les dispositions de l'arrêté du 6 août 2010 ni aucune autre règlementation n'imposent un test complémentaire particulier, qu'il s'agisse de celui de la " boite à feux " ou un autre ;
- les tests de la lanterne de Beyne, de Holmgren, de Farnworth Munsell, qui sont utilisés dans d'autres domaines, ne répondent pas aux exigences du 2.1 du I de l'annexe II de l'arrêté du 6 août 2010 dès lors qu'ils ne permettent pas de s'assurer de la reconnaissance des signaux colorés ;
- l'arrêté du 6 août 2010 prévoit que la vision normale des couleurs ne peut être établie que par l'utilisation d'un ou, " si nécessaire ", plusieurs tests " permettant de garantir la reconnaissance des signaux colorés " fondés " sur la reconnaissance de couleurs particulières et non sur des différences relatives " ;
- le test " Lagon " est un test technologiquement plus évolué et précis que le test dit " de la boîte à feux " qui permet, par la projection des 5 couleurs spécifiques du ferroviaire de façon aléatoire sur un écran d'ordinateur, d'évaluer la reconnaissance des couleurs particulières ; il n'est pas fondé sur des différences relatives ;
- dès lors que M. C... ne satisfait plus, à la date de la décision contestée, aux tests de la vision des couleurs utilisés lors des dernières visites d'aptitude ferroviaire, il ne remplit plus l'une des conditions prescrites par l'annexe II de l'arrêté du 6 août 2010 ; la circonstance qu'il ait pu exercer les fonctions de conducteur de trains pendant une dizaine d'années, au bénéfice des résultats favorables lors d'un test dit " de la boite à feux " ou d'un accompagnement en cabine en 2010 par un médecin-inspecteur du travail et un inspecteur du travail, est sans incidence ; la commission se trouve en effet en situation de compétence liée, en application des dispositions de l'annexe V de l'arrêté ministériel du 7 mai 2015 modifié, lorsqu'un personnel habilité aux tâches essentielles de sécurité ferroviaire ne remplit pas ou plus l'une des exigences fixées par cet arrêté ;
- sont sans incidence sur la légalité d'une décision d'inaptitude physique à la conduite des trains ou à l'exercice de tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire autres que la conduite des trains, les circonstances qu'un agent a été embauché malgré son problème de vision, a été déclaré apte précédemment malgré ce problème de vision ou souffre d'une pathologie non évolutive ;
- par suite, les circonstances que M. C... a pu être précédemment déclaré apte à la conduite de trains alors qu'il souffrait déjà de sa pathologie, que cette dernière ne présente pas un caractère évolutif et qu'il n'a été impliqué dans aucun incident sont inopérantes.
Par une ordonnance du 25 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 juillet 2024 à 16h30.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des transports ;
- le décret n° 2010-708 du 29 juin 2010 relatif à la certification des conducteurs de trains ;
- l'arrêté du 6 août 2010 relatif à la certification des conducteurs de train ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,
- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., né le 15 décembre 1984, a été recruté par la Société nationale des chemins de fer français en novembre 2005 pour exercer les fonctions de conducteur de trains. Suite à une visite médicale du 9 septembre 2021, un médecin agréé auprès de la commission ferroviaire d'aptitudes l'a déclaré inapte aux fonctions de conducteur de trains à raison d'une " dyschromatopsie grave ". Par une décision du 23 novembre 2021, notifiée le 2 décembre 2021, la commission ferroviaire d'aptitudes, a confirmé l'inaptitude de l'intéressé. Par un jugement du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 23 novembre 2021 par laquelle la commission ferroviaire d'aptitudes a déclaré M. C... inapte à la conduite de trains et a enjoint à cette commission de soumettre M. C... à un nouvel examen médical, comprenant le test de la lanterne de Beyne ou un test équivalent, et de prendre une nouvelle décision sur son aptitude à la conduite de trains, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous une astreinte de 200 euros par jour de retard. A l'issue des examens complémentaires réalisés le 1er août 2022 en exécution de ce jugement, la commission ferroviaire d'aptitudes a maintenu l'inaptitude de M. C... à l'exercice de ses fonctions par une décision du 3 août 2022. Par un second jugement du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de cette dernière décision.
2. Par une requête enregistrée sous le n° 22LY02535, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires interjette appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 4 juillet 2022. Par une requête enregistrée sous le n° 23LY03958, M. C... interjette appel du jugement de ce tribunal du 27 octobre 2023. Ces requêtes ayant un objet similaire et concernant les mêmes parties, il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur la recevabilité de la requête n° 22LY02535 :
3. Par une décision du 25 novembre 2022, régulièrement publiée au Journal officiel de la République française, M. D... B..., directeur des affaires juridiques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a donné délégation à M. A... G..., attaché d'administration hors classe de l'Etat, chef de bureau du droit général des transports, de la domanialité publique et de la législation économique de la sous-direction des affaires juridiques de l'énergie et des transports, à l'effet de signer, au nom du ministre tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets, pour les affaires relatives aux transports, au domaine public et aux contraventions de grande voirie, y compris en matière contentieuse. Par suite, M. G... avait compétence pour présenter, au nom du ministre, la requête d'appel. La fin de non-recevoir soulevée par M. C... en défense doit donc être écartée.
Sur la régularité du jugement n° 2200532 du 4 juillet 2022 :
4. Aux termes de l'article R. 731-3 du code de justice administrative : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". En vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article R. 741-2 du même code, mention doit être faite dans la décision de justice de la production d'une note en délibéré. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est régulièrement saisi, à l'issue de l'audience, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l'analyser dès lors qu'il n'est pas amené à rouvrir l'instruction et à la soumettre au débat contradictoire pour tenir compte des éléments nouveaux qu'elle contient.
5. Il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à l'audience publique du 15 juin 2022, le ministre de la transition écologique a adressé au tribunal administratif de Lyon une note en délibéré, enregistrée le même jour, soit avant la mise à disposition du public au greffe du tribunal du jugement le 4 juillet 2022. Les visas du jugement attaqué ne font pas mention de cette note en délibéré. Par suite, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité et qu'il doit être annulé pour ce motif.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lyon.
Sur le cadre juridique applicable :
7. Aux termes de l'article L. 2221-7-1 du code des transports : " Les personnels exerçant, sur le système ferroviaire sur lequel s'exerce la mission d'autorité nationale de sécurité de l'Établissement public de sécurité ferroviaire mentionnée à l'article L. 2221-1, lorsqu'il est offert une capacité d'infrastructure, les tâches essentielles pour la sécurité ferroviaire énumérées par un arrêté du ministre chargé des transports sont soumis à une vérification de leur aptitude dans des conditions définies par décret en Conseil d'État /(...) ".
8. Aux termes de l'article 2 du décret du 29 juin 2010 relatif à la certification des conducteurs de trains : " Toute personne exerçant une activité de conduite sur le réseau ferroviaire tel que défini à l'article 17-1 de la loi du 30 décembre 1982 susvisée doit satisfaire aux exigences médicales générales fixées par arrêté du ministre chargé des transports. (...)". Selon les termes de l'article 4 de ce décret : " (...) II. ' L'aptitude physique du candidat est constatée, après un examen, par un médecin, le cas échéant au vu des examens complémentaires qu'il a prescrits (...) ". Selon les termes de l'article 6 du même décret : " I. ' La licence est délivrée pour dix ans. Sa validité est subordonnée à celle des certificats d'aptitudes mentionnés à l'article 4. / 1° Le certificat d'aptitude physique délivré à un conducteur de moins de cinquante-trois ans est valable trois ans. La validité d'un certificat d'aptitude délivré à un conducteur de plus de cinquante-trois ans et de moins de cinquante-cinq ans cesse à la date du cinquante-sixième anniversaire. La durée de validité de tout certificat délivré à un conducteur âgé de plus de cinquante-cinq ans est d'un an. Dans tous les cas, la durée de validité peut être réduite sur décision du médecin mentionné au II de l'article 4. Le certificat mentionne sa date d'expiration. (...) ". Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 6 août 2010 relatif à la certification des conducteurs de train : " Afin de ne pas mettre en danger sa sécurité, celle du personnel, des usagers et des tiers, un conducteur ne doit être sujet à aucune pathologie susceptible de causer : ' une perte soudaine de conscience ; ' une baisse d'attention ou de concentration ; ' une incapacité soudaine ; ' une perte d'équilibre ou de coordination ; ' une limitation significative de mobilité. Il ne doit suivre aucun traitement médical ni prendre de médicaments ou substances susceptibles d'entraîner les mêmes effets. " Aux termes de l'article 11 du même arrêté : " Les examens médicaux à réaliser pour délivrer le certificat d'aptitude physique mentionné à l'article 4 du décret du 29 juin 2010 susvisé comprennent les examens suivants : (...) - examens des fonctions sensorielles (vision, audition, perception des couleurs) (...) ". Enfin, concernant l'aptitude physique des agents, l'annexe II.I.2.1 de cet arrêté précise notamment que : " (...) Les exigences suivantes en matière de vision doivent être respectées (...) : - vision des couleurs normale : utilisation d'un test reconnu permettant de garantir la reconnaissance des signaux colorés, tel que E..., complété par un autre test reconnu si nécessaire ; le test doit être fondé sur la reconnaissance de couleurs particulières et non sur des différences relatives ; (...) ".
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 novembre 2021 de la commission ferroviaire d'aptitudes :
9. Il ressort des pièces du dossier que suite à une visite médicale du 9 septembre 2021, un médecin agréé auprès de la commission ferroviaire d'aptitudes a déclaré M. C... inapte aux fonctions de conducteur de trains à raison d'une altération grave de la perception des couleurs constatée à la suite de la réalisation du seul test E.... Il ressort également des pièces du dossier que depuis 2005, date de son embauche, M. C... a toujours eu des résultats anormaux au test E... lors des visites de contrôle médical d'aptitude, mais qu'il avait néanmoins été déclaré apte au regard de ses résultats au test complémentaire de Beyne, test dit " de la boite à feux ", permettant de démontrer une reconnaissance correcte des signaux colorés. Au vu de ces éléments, en retenant, au vu du seul résultat d'un test E... pratiqué par le médecin agréé le 9 septembre 2021, que M. C... était inapte, sans le soumettre à un test complémentaire reconnu, ainsi que les dispositions de l'annexe II.I.2.1 de l'arrêté du 6 août 2010 relatif à la certification des conducteurs de train lui en donne la possibilité, la commission ferroviaire d'aptitudes a commis une erreur d'appréciation.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande et de la requête, que la décision du 23 novembre 2021 par laquelle la commission ferroviaire d'aptitudes a déclaré M. C... inapte à ses fonctions de conducteur de trains doit être annulée.
Sur le bien fondé du jugement n° 2206158 du 27 octobre 2023 :
11. En premier lieu, la circonstance que M. C... aurait été examiné par certains membres de la commission ferroviaire d'aptitudes au cours de sa carrière n'est pas de nature à caractériser un conflit d'intérêt, un manque d'impartialité ou une violation des dispositions de l'article 12 du règlement de la commission.
12. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet, au cours de la visite de contrôle médical d'aptitude du 1er août 2022, d'une évaluation de sa vision des couleurs au moyen du test E... complété par le test " Lagon ", qui est un test reconnu, évaluation de laquelle il ressort qu'il a une vision anormale des couleurs. Si l'intéressé soutient qu'il a toujours satisfait au test de la lanterne de Beyne, dit test " de la boite à feux ", aucune disposition n'impose aux médecins agréés auprès de la commission ferroviaire réalisant les évaluations médicales de retenir ce test comme test complémentaire au test E.... M. C... ne peut donc utilement soutenir au soutien de ses conclusions que le test de la lanterne de Beyne servirait encore aux évaluations pratiquées dans certains centres d'aptitude, ce qui au-demeurant n'est pas établi. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. C..., il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier de la fiche descriptive du test, que le test " Lagon " ne serait pas conforme aux dispositions précitées de l'annexe II.I.2.1 de l'arrêté du 6 août 2010 en ce qu'elles précisent que " le test doit être fondé sur la reconnaissance de couleurs particulières et non sur des différences relatives. " dès lors que ce test permet notamment une reconnaissance des feux colorés avec un paramétrage variable en dimension et en durée. Par suite, en se fondant sur l'évaluation de la vision des couleurs de M. C... réalisée le 1er août 2022 au moyen du test E... complété par le test " Lagon ", pour retenir que l'intéressé n'avait pas une vision normale des couleurs et confirmer, pour ce motif, son inaptitude, la commission ferroviaire d'aptitudes n'a pas commis d'erreur de droit.
13. En troisième lieu, M. C... se prévaut de ce que sa pathologie étant génétique, elle n'est susceptible d'aucune évolution, notamment d'aggravation, de la circonstance qu'il a antérieurement bénéficié d'avis d'aptitude favorables, notamment en 2010 suite à un contrôle en situation de travail par l'inspection du travail et le médecin du travail, ainsi que de l'absence d'incidents depuis le début de sa carrière de conducteur de trains. Cependant, il résulte des dispositions précitées que le certificat d'aptitude physique délivré à un conducteur de trains n'a qu'une durée limitée de trois ans maximum, l'aptitude physique s'appréciant à chaque renouvellement. Il est par ailleurs constant que M. C... a commis cinq erreurs sur le test E..., que le médecin agréé a relevé de nombreuses hésitations sur les planches de couleur et que le test complémentaire " Lagon " a confirmé que l'intéressé avait une vision anormale des couleurs. Dans ces conditions, dès lors que M. C... ne satisfait pas aux exigences médicales générales fixées par l'arrêté du 6 août 2010 susvisé, la commission n'a commis aucune erreur d'appréciation en le déclarant inapte physiquement, les circonstances antérieures à cette évaluation étant à cet égard sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Par suite, la commission ferroviaire d'aptitudes n'a pas commis d'erreur d'appréciation en le déclarant de nouveau inapte physiquement par une décision du 3 août 2022.
14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
15. Il ressort des pièces du dossier que lors d'une visite de contrôle médical d'aptitude le 1er août 2022 M. C... a été soumis à un test complémentaire reconnu et que, suite à ses examens complémentaires, la commission ferroviaire d'aptitudes a pris une nouvelle décision déclarant l'intéressé inapte le 3 août 2022. Par suite les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. C... dans sa demande enregistrée au tribunal administratif de Lyon sous le n° 2200532 sont devenues sans objet et doivent être rejetées pour ce motif. En outre, aucune disposition légale ou règlementaire n'impose à l'administration de faire réaliser un test de vision des couleurs incluant spécifiquement le test complémentaire dit " de la boîte à feux ".
16. Les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C... dans la requête enregistrée sous le n° 23LY03958 étant rejetées, ses conclusions aux fins d'injonction présentées dans la même instance doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur les frais d'instance :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droits aux conclusions présentées par M. C... sur fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2200532 du 4 juillet 2022 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La décision du 2 décembre 2021 par laquelle la commission ferroviaire d'aptitudes a déclaré M. C... inapte à la conduite de trains est annulée.
Article 3 : Le surplus de conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques et à M. F... C....
Délibéré après l'audience du 16 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pourny, président de chambre,
M. Stillmunkes, président assesseur,
Mme Vergnaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
La rapporteure,
E. Vergnaud
Le président,
F. Pourny
La greffière,
N. Lecouey
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY02535-23LY03958