La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/10/2024 | FRANCE | N°23LY02945

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 08 octobre 2024, 23LY02945


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite à l'expiration de ce délai.



Par un jugement n° 2302610 du 7 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.



Procé

dure devant la cour



Par une requête enregistrée le 15 septembre 2023, Mme C..., représentée par Me Vign...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 20 mars 2023 par lequel la préfète de la Drôme l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite à l'expiration de ce délai.

Par un jugement n° 2302610 du 7 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2023, Mme C..., représentée par Me Vigneron, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 juin 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Drôme du 20 mars 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, ou à défaut de réexaminer sa situation, en lui délivrant dans l'attente et sous deux jours une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de trente jours et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ne revêtait pas un caractère définitif, dès lors qu'en application de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le recours exercé auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) faisait obstacle à son éloignement du territoire français ;

- le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'effectivité de sa protection par les autorités grecques ;

- le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne le moyen tiré de ce que la préfète de la Drôme se serait estimée en situation de compétence liée ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- la décision d'éloignement est entachée d'incompétence de son signataire ;

- cette décision méconnaît les dispositions des articles L. 621-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'en qualité de ressortissante étrangère bénéficiaire de la reconnaissance du statut de réfugiée, elle ne pouvait légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais aurait dû faire l'objet d'une remise à la Grèce, Etat membre de l'Union européenne, après avoir été mise à même de présenter ses observations et d'avertir toute personne de son choix préalablement à cette mesure ;

- les procédures d'obligation de quitter le territoire français et de remise à un autre État membre de l'Union européenne ne sont pas assorties de garanties équivalentes ;

- cette décision méconnaît les dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles des articles L. 542-1 et L. 542-2 du même code, en ce qu'elle ne bénéficie pas d'une protection effective de la part des autorités grecques et que la CNDA n'avait pas statué sur son recours dirigé contre la décision de l'OFPRA ;

- la préfète de la Drôme a méconnu sa compétence en prononçant une obligation de quitter le territoire français à son encontre sans prendre en considération les éléments particuliers de sa situation personnelle et en s'estimant en situation de compétence liée au regard du rejet opposé par l'OFPRA à sa demande ;

- la préfète de la Drôme ne s'est pas livrée à un examen sérieux de sa situation personnelle avant d'adopter la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français a été adoptée en méconnaissance de son droit à être entendue préalablement à toute mesure défavorable, principe général du droit de l'Union européenne mentionné à l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de l'OFPRA du 20 février 2023, qui a été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

S'agissant de la décision fixant le pays de destination :

- cette décision est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la préfète de la Drôme ne s'est pas livrée à un examen sérieux de sa situation personnelle avant d'adopter la décision fixant le pays de destination ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2023, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et qu'en particulier la requérante ne justifie pas les craintes alléguées.

Un mémoire présenté pour Mme C..., enregistré le 27 décembre 2023, n'a pas été communiqué, en application des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 30 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 décembre 2023.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Maubon, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante de la République Démocratique du Congo (RDC) née le 28 décembre 1995, déclare être entrée en France le 28 août 2022 pour y solliciter l'asile. Sa demande d'asile a été enregistrée par les autorités françaises le 4 novembre 2022. Par une décision du 20 février 2023, le directeur général de l'OFPRA a rejeté sa demande, ainsi que celle présentée pour son enfant mineur né le 7 mars 2019, comme irrecevable au sens de l'article L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 20 mars 2023, la préfète de la Drôme a obligé Mme C... à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite à l'expiration de ce délai. Mme C... relève appel du jugement du 7 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement de première instance :

2. Les moyens tirés de l'erreur de droit dans l'application du deuxième alinéa de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des articles L. 621-1 et suivants du même code et de la méconnaissance du droit d'être entendu ne relèvent pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé.

3. Le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par la requérante, n'a pas omis de répondre aux moyens tirés de la situation de compétence liée dans laquelle se serait crue être placée la préfète, au point 6 de son jugement, et de la méconnaissance de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux points 8 et 9 du jugement, et a suffisamment motivé son jugement sur ces points. En particulier, eu égard à l'argumentation de la requérante, le tribunal a suffisamment motivé son jugement en considérant qu'" il ne ressort pas des termes de la décision attaquée que la préfète de la Drôme se soit crue en situation de compétence liée par la décision rendue par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 février 2023 " en ce qui concerne le moyen tiré de la situation de compétence liée et en citant l'article L. 542-2, dérogatoire à l'article L. 542-1, pour répondre au moyen tiré de la méconnaissance de cet article.

4. Enfin, l'absence d'effectivité de la protection accordée par les autorités grecques, susceptible d'être invoquée à l'appui d'un recours formé à l'encontre de la décision de l'OFPRA de rejet pour irrecevabilité de sa demande d'asile, est en revanche sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, adoptée sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a été prise en considération de la décision d'irrecevabilité mais pas pour l'application de cet acte, qui n'en constitue pas la base légale. Le tribunal n'a en tout état de cause pas omis d'examiner, au point 20 de son jugement, le moyen de la requérante tiré de ce qu'un retour vers la Grèce aurait des conséquences excessives sur sa situation personnelle et méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Mme C... n'est dès lors pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement de première instance :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, par un arrêté en date du 27 août 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du même jour, la préfète de la Drôme a donné délégation à Mme A... Argouarc'h, secrétaire générale de la préfecture de la Drôme, pour signer tous actes et documents administratifs relevant des services de la préfecture, au nombre desquels figure la police des étrangers, à l'exception d'actes au sein desquels ne figurent pas les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Le moyen tiré de l'incompétence dont serait entaché l'arrêté contesté doit donc être écarté.

7. En deuxième lieu, le droit d'être entendu, principe général du droit de l'Union européenne, se définit comme le droit de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Tout manquement au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

8. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., dont la demande d'asile a été enregistrée par les autorités françaises le 4 novembre 2022, a fait l'objet le 20 février 2023 d'une décision rejetant cette demande comme irrecevable, à la suite de laquelle a été adoptée la décision portant obligation de quitter le territoire français du 20 mars 2023 contestée. Dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile, Mme C... a été entendue tant en ce qui concerne les craintes pour sa sécurité dans son pays d'origine qu'en ce qui concerne l'absence d'effectivité de la protection accordée par la Grèce. Si Mme C... soutient qu'elle aurait pu, préalablement à l'adoption de la décision d'éloignement, apporter des éléments complémentaires en ce qui concerne l'absence de protection effective en Grèce, sa vie privée et familiale et le fait qu'elle a formé un recours à l'encontre de la décision de l'OFPRA, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'impossibilité de faire valoir ces éléments, à propos desquels Mme C... n'apporte au demeurant aucune précision, l'aurait effectivement privée de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que la procédure administrative engagée en vue de son éloignement du territoire français aurait pu aboutir à un résultat différent.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 (...) ; / (...). " Aux termes de l'article L. 621-1 de ce code : " Par dérogation (...) à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 (...), l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. / L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'État. Il est mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. "

10. Il résulte de ces dispositions que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre État ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 621-1, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'État membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 621-2 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1. Il y a lieu de réserver trois séries de cas : l'hypothèse dans laquelle l'étranger demande à être éloigné vers l'État membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, les cas prévus aux dispositions spécifiques des articles L. 621-4 à L. 621-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que le cas des demandeurs d'asile.

11. S'il est constant, ainsi que cela ressort de la décision du directeur général de l'OFPRA du 20 février 2023 rejetant la demande d'asile déposée en France par Mme C... comme irrecevable, que celle-ci s'est vue reconnaître le statut de réfugiée par les autorités grecques depuis le 9 décembre 2020, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait demandé à retourner en Grèce, ni qu'elle se trouverait dans un des cas régis par les articles L. 621-4 à L. 621-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment qu'elle serait titulaire d'un titre de résident de longue durée - UE ou d'une carte de séjour portant la mention " carte bleue européenne " en cours de validité, ni qu'elle aurait déposé une demande d'asile en France sur laquelle il n'aurait pas été statué par les autorités françaises. Ainsi, Mme C... n'est pas fondée à soutenir qu'elle entre dans un cas pour lequel une décision de remise s'imposerait, ou ferait obstacle à l'adoption d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français, quelles que soient les garanties procédurales attachées à l'une ou l'autre de ces procédures. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 621-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit donc être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision./ Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. " Aux termes de l'article L. 542-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : / 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : / a) une décision d'irrecevabilité prise en application des 1° ou 2° de l'article L. 531-32 ; / (...). / Les dispositions du présent article s'appliquent sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. " Aux termes de l'article L. 531-32 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants : / 1° Lorsque le demandeur bénéficie d'une protection effective au titre de l'asile dans un État membre de l'Union européenne ; / 2° Lorsque le demandeur bénéficie du statut de réfugié et d'une protection effective dans un État tiers et y est effectivement réadmissible ; / (...). "

13. Il ressort des pièces du dossier que, le 20 février 2023, le directeur général de l'OFPRA a rejeté la demande d'asile présentée par Mme C... aux autorités françaises, ainsi que celle présentée pour son enfant mineur, comme irrecevable au sens de l'article L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en relevant que Mme C... bénéficie d'une protection effective au titre de l'asile en Grèce. Si la requérante soutient que la protection de la Grèce n'est pas effective et qu'ainsi les conditions pour adopter une décision d'irrecevabilité ne sont pas remplies, ce moyen ne peut être utilement soulevé à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'a pas été prise pour l'application de la décision de l'OFPRA, qui n'en constitue pas la base légale et dont seule la CNDA est compétente pour apprécier la légalité. En application des dispositions précitées du a) du 1° de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dérogatoires à celles de l'article L. 542-1 du même code, le droit de se maintenir sur le territoire français de Mme C... a donc pris fin à la date de cette décision du 20 février 2023, qui lui a été notifiée le 9 mars 2023, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'un recours ait été formé à son encontre devant la CNDA. Ainsi, c'est sans méconnaissance du droit au maintien sur le territoire français de Mme C... que la préfète de la Drôme a pu l'obliger à quitter le territoire français le 20 mars 2023.

14. En cinquième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 9 ci-dessus que le prononcé d'une obligation de quitter le territoire français constitue une faculté pour l'autorité administrative. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des termes de l'arrêté du 20 mars 2023, dont il résulte que la préfète de la Drôme a pris en considération la situation personnelle de Mme C... avant d'adopter à son encontre une décision d'obligation de quitter le territoire français, que la préfète se serait estimée en situation de compétence liée pour adopter une décision d'éloignement à la suite de la décision d'irrecevabilité adoptée par l'OFPRA le 20 février 2023.

15. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier que la préfète de la Drôme a examiné la situation personnelle de Mme C..., et notamment la circonstance qu'elle avait obtenu une protection internationale de la part des autorités grecques, avant d'adopter à son encontre une décision d'obligation de quitter le territoire français. La circonstance que la décision d'éloignement ait été adoptée avant que la CNDA ait statué sur le recours qu'elle avait introduit à l'encontre de la décision d'irrecevabilité de l'OFPRA n'est pas de nature à révéler un défaut d'examen, alors qu'ainsi qu'il a été vu aux points 12 et 13 la décision pouvait être légalement adoptée sans attendre l'issue de ce recours. Le moyen tiré du défaut d'examen doit donc être écarté.

16. En septième lieu, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. L'illégalité d'une décision d'irrecevabilité de l'OFPRA ne peut pas être utilement invoquée par voie d'exception à l'encontre d'une décision portant obligation de quitter le territoire français adoptée sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui est certes prise en considération de la décision de l'OFPRA mais qui n'est pas prise pour l'application de cet acte, qui n'en constitue pas la base légale. Ainsi, Mme C... ne peut pas utilement invoquer l'illégalité de la décision de l'OFPRA du 20 février 2023, dont l'appréciation relève en tout état de cause de la compétence juridictionnelle de la CNDA, que l'intéressée a au demeurant déjà saisie d'un recours. Le moyen ne peut qu'être écarté.

17. En huitième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Mme C... fait état de ce que sa vie privée et familiale se situe en France, où elle réside depuis le mois d'août 2022 avec son enfant mineur et dispose d'un accompagnement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle est entrée très récemment en France et que, célibataire, elle ne dispose pas d'autres liens sur le territoire français que son fils mineur né en mars 2019. Sa demande d'asile a été rejetée comme irrecevable par les autorités françaises. Elle ne conteste pas qu'elle s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par les autorités grecques. Le fait de disposer d'un hébergement en France n'est pas suffisant pour caractériser une vie privée et familiale établie en France. Mme C... n'apporte pas la preuve qui lui incombe que le centre de ses intérêts privés et familiaux serait désormais situé en France. Dans ces conditions, la préfète de la Drôme n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C... une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision attaquée. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit dès lors être écarté.

18. En neuvième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " La décision d'éloignement prononcée à l'encontre de Mme C... n'a ni pour objet ni pour effet de la séparer de son enfant mineur dont elle s'occupe seule et qui n'est pas scolarisé. La circonstance que la famille fasse l'objet d'un accompagnement social n'est pas suffisante pour considérer que la décision d'éloignement porterait atteinte à l'intérêt supérieur de cet enfant. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

19. L'article 2 de l'arrêté du 20 mars 2023 décide qu'à l'expiration du délai de délai de départ volontaire de trente jours prévu à son article 1, Mme C... pourra être reconduite d'office " dans tout pays où elle est légalement admissible notamment la Grèce où elle dispose d'une protection internationale, à l'exclusion du pays dont elle a la nationalité ".

20. En premier lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré de l'illégalité de cette décision et soulevé par voie d'exception à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ne peut qu'être écarté.

21. En deuxième lieu, l'absence d'effectivité de la protection accordée par les autorités grecques, au sens de l'article L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, si elle est susceptible d'être invoquée par Mme C... à l'appui d'un recours formé à l'encontre de la décision de l'OFPRA de rejet pour irrecevabilité de sa demande d'asile, ne peut en revanche être utilement invoquée pour contester la légalité de la décision fixant le pays de destination, qui n'a pas été adoptée sur le fondement de l'article L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

22. Aux termes de l'article L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office. " Aux termes de l'article L. 721-3 de ce code : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français, d'une décision d'expulsion, d'une peine d'interdiction du territoire français ou d'une interdiction administrative du territoire français. " Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

23. Mme C... produit divers rapports et articles de presse dont il ressort que de nombreuses personnes bénéficiant d'une protection internationale accordée par les autorités grecques ne bénéficient pas des droits associés à cette protection, notamment d'accès à l'emploi, au logement et aux prestations sociales et sanitaires. Ce faisant, elle n'établit ni même ne soutient qu'elle serait personnellement soumise à un risque de traitements inhumains ou dégradants si elle devait être reconduite à destination de la Grèce. La production d'échanges de courriers électroniques avec le service des migrations grec et avec une association en charge du logement des demandeurs d'asile en Grèce n'est à ce titre pas suffisante. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision fixant la Grèce comme pays de destination serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

24. Il résulte de toute ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie sera adressée pour information au préfet de la Drôme.

Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,

Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente-assesseure,

Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.

La rapporteure,

G. MaubonLa présidente,

M. D...

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 23LY02945 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02945
Date de la décision : 08/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.

Étrangers - Réfugiés (voir : Asile) et apatrides.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEHL-SCHOUDER
Rapporteur ?: Mme Gabrielle MAUBON
Rapporteur public ?: Mme DJEBIRI
Avocat(s) : VIGNERON

Origine de la décision
Date de l'import : 13/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-08;23ly02945 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award