Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le permis de construire délivré le 31 mars 2021 par le maire de la commune de Chambéry à la SAS Certas Energy France, ensemble la décision de rejet du recours gracieux du 4 juin 2021, ainsi que le permis de construire modificatif du 4 mai 2022.
Par un jugement n° 2104573 du 13 février 2024, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 avril 2024, la SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR, représentées par Me Poncin, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 février 2024 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler le permis de construire du 31 mars 2021 délivré par le maire de la commune de Chambéry, ensemble la décision de rejet du recours gracieux du 4 juin 2021, ainsi que le permis de construire modificatif du 4 mai 2022 ;
3°) de mettre à la charge respective de la commune de Chambéry et de la SAS Certas Energy France la somme de 3 000 euros chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
S'agissant de la régularité du jugement :
- le jugement devra être annulé, en ce qu'elles justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre les permis litigieux au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme ; que leur intérêt est présumé en ce qu'elles sont propriétaires et occupantes d'un terrain contigu ; qu'au surplus le projet porte sur la réalisation d'une station-service sur un terrain qui était en friche et boisé, qu'il induira des nuisances visuelles, olfactives, sonores et des risques pour la sécurité, liés au trafic, à la présence de cuves d'hydrocarbures mais aussi à l'aggravation des risques d'inondation sur les terrains voisins du fait de la réalisation d'un remblai, et il n'appartient pas au juge administratif de procéder à un bilan des avantages-inconvénients pour l'appréciation de l'intérêt à agir ;
S'agissant du permis de construire initial du 31 mars 2021 :
- ses irrégularités ne sont pas purgées par le permis modificatif ;
- le dossier est incomplet au regard de l'article R. 431-9 du code de l'urbanisme ;
- le plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRi) du Bassin Chambérien est méconnu ; il n'autorise pas des constructions nouvelles sur ce terrain resté à l'état naturel et entièrement végétalisé, sur un terrain remblayé, et n'autorise en tout état de cause pas la construction d'une station-service, eu égard aux risques de pollution en cas de crue et d'inondation ; que la cote 253,50 ne correspond pas au niveau de référence du terrain ; il s'en déduit également une erreur manifeste dans l'application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- il méconnaît les dispositions des articles UA 4, UA 4-4, UA 5, UA 7, UA 9 du règlement du plan local d'urbanisme intercommunal habitat et déplacements (PLUi-HD) de la communauté d'agglomération du Grand Chambéry ;
- le conseil municipal de Chambéry a commis une erreur manifeste d'appréciation et un détournement de procédure en excluant, dans sa délibération du 16 décembre 2019, et sans que cela réponde à une considération d'intérêt général, le terrain assiette du projet du secteur des Landiers, dans lequel un sursis à statuer a vocation à être systématiquement opposé ; le maire a commis une erreur manifeste d'appréciation et un détournement de pouvoir et de procédure en n'opposant pas un sursis à statuer au projet ;
S'agissant du permis de construire modificatif du 4 mai 2022 :
- le dossier est insuffisant au regard de l'article R. 431-9 du code de l'urbanisme ; en l'absence de cotes sur les plans de masse des permis permettant de rattacher les constructions au système de référence du PPRi ; que le terrain n'étant pas plane, le plan de coupe AA, qui comprend une représentation erronée du terrain naturel, ne permet pas d'établir qu'un remblai ne serait pas nécessaire, alors qu'il est proscrit par le règlement du PPRi ; que l'absence de plan de coupe BB et de profils en travers ne permet pas de prendre la mesure du creux ;
- il méconnaît les règles du PPRi et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ; un remblai, à tout le moins pour réaliser une rampe d'accès, sera nécessaire eu égard à la topographie du terrain, pourtant interdit par le PPRi ; le local devant accueillir le personnel de la station-service et les installations seront en dessous de la cote de référence du PPRi ;
- il méconnaît toujours les règles du PLUiHD relatives à la gestion des eaux pluviales : en effet, il n'est pas établi que le projet comprenne un ouvrage de rétention pour les surfaces imperméabilisées répondant aux exigences du PLUiHD.
Par une ordonnance du 4 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juin 2024.
Un mémoire, enregistré le 11 septembre 2024 et non communiqué, a été présenté pour la société Certas Energy France, représentée par Me Bus et Me Frénoy.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Maubon, première conseillère,
- les conclusions de Mme Djebiri, rapporteure publique,
- et les observations de Me Poncin pour les sociétés requérantes.
1. Par un arrêté du 31 mars 2021, le maire de la commune de Chambéry a accordé à la SAS Certas Energy France un permis de construire une station-service sur une parcelle située ... cadastrée section C... sur le territoire de cette commune. Le recours gracieux contre cet arrêté introduit par la SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR a été rejeté le 4 juin 2021. Un permis de construire modificatif a été délivré le 4 mai 2022. La SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR relèvent appel du jugement du 13 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation des décisions du 31 mars 2021, du 4 juin 2021 et du 4 mai 2022, au motif qu'elles ne justifiaient pas d'un intérêt à agir.
2. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement (...). ".
3. Il résulte de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.
4. Le projet en litige consiste à réaliser une station-service comprenant deux pistes de distribution de carburants pour quatre emplacements de véhicules légers et deux pistes de distribution pour véhicules lourds, surmontées d'un auvent de 5,20 mètres de haut, 19,60 mètres de long et 15 mètres de large, délimité par un bandeau d'une hauteur de 50 cm et soutenu par quatre poteaux carrés de 30 cm de large, des cuves d'hydrocarbures enterrées, une station de lavage constituée d'une aire de lavage comprenant une piste à brosses multiprogrammes non couverte, et un local technique. Il porte sur une parcelle d'une superficie de 3 510 m², incluse dans une zone d'aléa fort identifiée dans le plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRi) du Bassin Chambérien, et située en zone UAm2 du plan local d'urbanisme intercommunal habitat et déplacements (PLUiHD) de la communauté d'agglomération du Grand Chambéry, définie comme une zone d'activités en mutation à vocation économique, industrielle, tertiaire, commerciale ou mixte et correspond plus particulièrement à la " zone des Landiers caractérisée par de grands ensembles commerciaux dont l'évolution doit être anticipée ". Cette parcelle, qui est une friche arborée, n'est pas bâtie, et il n'est pas contesté qu'elle servait de champ d'expansion en cas de crue. Elle est bordée à l'est par une voie ferrée la séparant d'une zone naturelle conséquente, à l'ouest par ... (RD 10) qui la sépare d'une vaste zone commerciale supportant des ensembles commerciaux, au sud par des parcelles supportant des constructions individuelles et au nord par les parcelles appartenant à la SCI Pré B..., cadastrées section D... et A... et qui supportent respectivement un bâtiment à usage d'entrepôt, loué pour une activité de commerce d'articles de pêche, et un bâtiment à usage de bureaux, utilisé comme siège social de la société familiale SCI Pré B... et faisant l'objet d'un bail commercial conclu avec la SAS Provent-SDPR, ainsi que des places de stationnement, la majorité de la parcelle MB n° A... étant non bâtie.
5. En l'espèce le projet artificialise en grande partie un terrain qui était en friche et boisé, en supprimant également une partie des arbres existants sur la limite séparative, et conduit à dégrader l'environnement proche de la propriété des sociétés requérantes, qui sont voisines immédiates, du fait du projet architectural et des perspectives visuelles, plus particulièrement au sud, en prenant en compte la réalité du stade de maturité des arbres de haute tige prévus. Il est également de nature à induire des nuisances olfactives, du fait de l'activité envisagée, ou encore, sonores, du fait de la circulation des véhicules et des poids lourds qu'il génèrera, l'accès des pistes et circulation étant projeté près de la propriété des requérantes. Dans ces conditions, et alors qu'elles n'avaient pas à apporter la preuve du caractère certain des atteintes ainsi invoquées, ces sociétés font état, quand bien même l'environnement proche supporte des activités commerciales et que le terrain borde une route départementale et une voie ferrée, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance et à la localisation du projet de construction suffisants et disposaient ainsi, quelles que soient les autres branches de leur argumentation, d'un intérêt à agir pour leur donner qualité à contester les décisions du 31 mars 2021, du 4 juin 2021 et du 4 mai 2022.
6. Il résulte de ce qui précède que la SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 13 février 2024, leur requête a été rejetée comme irrecevable en ce qu'elles étaient dépourvues d'intérêt à agir. Il y a lieu, dès lors, d'annuler ce jugement et, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Grenoble pour qu'il statue sur la demande présentée par les sociétés requérantes.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Chambéry et de la SAS Certas Energy France, chacune, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR liés à l'instance d'appel et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2104573 du 13 février 2024 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Grenoble.
Article 3 : La commune de Chambéry et la SAS Certas Energy France verseront chacune à la SCI Pré B... et la SAS Provent-SDPR une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Pré B... en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la commune de Chambéry et à la société Certas Energy France.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente-assesseure,
Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
La rapporteure,
G. Maubon
La présidente de chambre,
M. E...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui les concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 24LY01085 2