Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant la mention " protection temporaire ".
Par un jugement n° 2205542 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 7 juillet 2022 et a enjoint au préfet de l'Isère d'accorder à M. A... le bénéfice de la protection temporaire.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 11 octobre 2023, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 septembre 2023 ;
2°) de rejeter les conclusions dirigées contre son arrêté du 7 juillet 2022.
Il soutient que :
- la résidence de M. A... en Ukraine avant le 24 février 2022 n'est pas établie ;
- la qualité de membre de famille d'un ressortissant ukrainien n'est reconnue que si la famille existait déjà en Ukraine avant le 24 février 2022 et si la relation engagée était stable : or la stabilité de la relation de concubinage de M. A... et Mme B... n'est pas établie ;
- en tout état de cause, M. A... n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Arménie ;
- les moyens soulevés à l'encontre de l'arrêté du 7 juillet 2022, qui ne comporte aucune décision portant obligation de quitter le territoire français, ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Huard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence de son signataire ;
- la décision contestée a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, au cours de laquelle il n'a pas disposé du temps suffisant pour rassembler les documents justificatifs nécessaires, ni n'a été invité à les produire ;
- la condition tirée de la possibilité pour l'intéressé de retourner dans son pays d'origine dans des conditions sûres et durables n'est pas opposable à une personne disposant de la qualité de membre de famille d'un ressortissant ukrainien ;
- la décision lui refusant le bénéfice de la protection temporaire est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle.
Par une ordonnance du 2 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 23 septembre 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55 %) par une décision du 3 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;
- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience
Le rapport de Mme Maubon, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant arménien né le 20 août 1982, a fait l'objet d'un arrêté du 7 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui accorder le bénéfice d'une autorisation provisoire de séjour portant la mention " bénéficiaire de la protection temporaire " prévue à l'article L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 21 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de M. A..., annulé son arrêté du 7 juillet 2022 et lui a enjoint d'accorder à M. A... le bénéfice de la protection temporaire.
2. D'une part, aux termes de l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil : " 1. L'existence d'un afflux massif de personnes déplacées est constatée par une décision du Conseil adoptée à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, qui examine également toute demande d'un État membre visant à ce qu'elle soumette une proposition au Conseil. / (...) / 3. La décision du Conseil a pour effet d'entraîner, à l'égard des personnes déplacées qu'elle vise, la mise en œuvre dans tous les États membres de la protection temporaire conformément aux dispositions de la présente directive. La décision contient au moins : / a) une description des groupes spécifiques de personnes auxquels s'applique la protection temporaire ; / b) la date à laquelle la protection temporaire entrera en vigueur ; / (...) ".
3. Pour assurer la transposition de ces dispositions, l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Le bénéfice du régime de la protection temporaire est ouvert aux étrangers selon les modalités déterminées par la décision du Conseil de l'Union européenne mentionnée à l'article 5 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001, définissant les groupes spécifiques de personnes auxquelles s'applique la protection temporaire, fixant la date à laquelle la protection temporaire entrera en vigueur et contenant notamment les informations communiquées par les États membres de l'Union européenne concernant leurs capacités d'accueil. ". Selon l'article L. 581-3 du même code : " L'étranger appartenant à un groupe spécifique de personnes visé par la décision du Conseil mentionnée à l'article L. 581-2 bénéficie de la protection temporaire à compter de la date mentionnée par cette décision. Il est mis en possession d'un document provisoire de séjour assorti, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail. Ce document provisoire de séjour est renouvelé tant qu'il n'est pas mis fin à la protection temporaire. / (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 2 de la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire : " 1. La présente décision s'applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d'Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l'invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date : / a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 ; / b) (...) les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui ont bénéficié d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022 ; et, / c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b). / 2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l'égard (...) des ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui peuvent établir qu'ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d'origine dans des conditions sûres et durables / 3. Conformément à l'article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d'autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables. / 4. Aux fins du paragraphe 1, point c), les personnes suivantes sont considérées comme membres de la famille, dans la mesure où la famille était déjà présente et résidait en Ukraine avant le 24 février 2022 : / a) le conjoint d'une personne visée au paragraphe 1, point a) ou b), ou le partenaire non marié engagé dans une relation stable, lorsque la législation ou la pratique en vigueur dans l'État membre concerné traite les couples non mariés de manière comparable aux couples mariés dans le cadre de son droit national sur les étrangers ; / (...). "
5. Il résulte des dispositions des paragraphes 1 et 4 de l'article 2 de la décision d'exécution 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022, prises en application de l'article 5 de la directive 2001/55/CE et auxquelles se réfèrent les articles L. 581-2 et L. 581-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que, pour pouvoir prétendre au bénéfice de la protection temporaire, les membres de la famille des ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022 doivent établir que la famille était déjà présente et résidait en Ukraine avant le 24 février 2022.
6. Le parcours de M. A... et de sa compagne à compter de leur sortie du territoire de l'Ukraine, le 8 mars 2022, est établi par les pièces du dossier, et notamment par les copies des pages des passeports des deux époux, qui comportent en particulier un tampon d'entrée en voiture en Moldavie le 8 mars 2022, un tampon de sortie de Moldavie le 8 mai 2022, un tampon d'entrée en Roumanie le 8 mai 2022, un tampon de sortie de Roumanie le 22 mai 2022 et un tampon d'entrée en Hongrie le 22 mai 2022, ainsi que par l'acte de mariage des époux, enregistré le 20 mai 2022 par les services de l'ambassade d'Arménie à Bucarest (Roumanie), et une " autorisation de passer les frontières " délivrée par les autorités hongroises le 22 mai 2022 valable jusqu'au 21 juin 2022. En revanche, l'intéressé n'apporte pas de pièce justificative d'un domicile commun des époux avant leur départ d'Ukraine et les pièces qu'il produit, notamment le certificat de travail selon lequel il a été employé à Kiev (Ukraine) pour la période du 2 février 2019 au 31 décembre 2021 en qualité d'intendant, ainsi que les attestations de cohabitation du couple à Kiev de décembre 2019 à mars 2022 établies le 22 juillet 2022 par un notaire et le 25 juillet 2022 par des proches, soit postérieurement à la date de la décision attaquée, ne permettent pas d'établir qu'il a entretenu une relation stable avant le 24 février 2022 avec la ressortissante ukrainienne qu'il a épousée le 20 mai 2022. Ainsi, la condition tenant à ce que la famille était déjà présente et résidait en Ukraine avant le 24 février 2022, et jusqu'à leur départ d'Ukraine, n'est pas remplie.
7. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé l'arrêté en litige en se fondant sur l'existence d'une " relation stable en concubinage en Ukraine du mois de décembre 2019 au 3 mars 2022 ".
8. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions présentées par les parties devant le tribunal administratif.
9. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme Nathalie Cencic, secrétaire générale adjointe de la préfecture de l'Isère, qui bénéficiait d'une délégation de signature du préfet de l'Isère du 2 février 2022, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du même jour, pour signer au nom du préfet, dans le cadre de la permanence de responsabilité départementale, toute décision nécessitée par une situation d'urgence, à l'exception d'actes au sein desquels ne figurent pas les refus de délivrance des autorisations provisoires de séjour portant la mention " protection temporaire ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté du 7 juillet 2022 doit être écarté.
10. En deuxième lieu, M. A... a présenté sa demande de protection le 24 mai 2022, date alléguée de son entrée sur le territoire français, et il a bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'au 23 juillet 2022, ce qui lui permettait, le cas échéant, de compléter sa demande en apportant d'autres éléments justificatifs portant, notamment, sur l'établissement de sa qualité de membre de famille d'une ressortissante ukrainienne. Il ne peut par ailleurs utilement invoquer, à l'encontre du rejet d'une demande de délivrance d'une autorisation provisoire de séjour portant la mention " protection temporaire ", la violation du droit à être entendu préalablement à toute mesure défavorable.
11. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 6, M. A... n'établit pas remplir la condition, prévue au 4 de l'article 2 de la décision du 4 mars 2022, tenant à ce que la famille était déjà présente et résidait en Ukraine avant le 24 février 2022, et ne pouvait ainsi bénéficier des dispositions propres aux membres de famille. Le préfet pouvait, par suite et à défaut, examiner sa situation au regard du 2 de l'article 2 de la décision du 4 mars 2022, et plus particulièrement au regard des conditions tirées de l'exigence d'un titre de séjour permanent et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition, cumulative, tirée de la possibilité de rentrer dans son pays d'origine dans des conditions sûres et durables. Ainsi, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 581-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 doivent être écartés.
12. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 581-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'aucun arrêté interministériel n'a été pris sur le fondement de l'article R. 581-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour mettre en œuvre ces dispositions ouvrant pour les États membres la faculté d'étendre le bénéfice de la protection à des catégories supplémentaires de personnes déplacées qui ne sont pas visées dans la décision du Conseil, doit être écarté comme inopérant.
13. Enfin, les circonstances invoquées par M. A..., tirées du contexte de guerre et de la nécessité de laisser aux demandeurs le temps et la possibilité de rassembler des pièces justificatives, ne sont pas suffisantes pour entacher la décision contestée d'une erreur manifeste d'appréciation.
14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 7 juillet 2022.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le conseil de M. A... demande sur le fondement de ces dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2205542 du tribunal administratif de Grenoble du 21 septembre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, présidente assesseure,
Mme Gabrielle Maubon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 octobre 2024.
La rapporteure,
G. Maubon
La présidente,
M. C...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY03234