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16/01/2025 | FRANCE | N°23LY00797

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 16 janvier 2025, 23LY00797


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La société FMR Holding et son assureur, la société Allianz IARD, ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à verser à la société FMR Holding la somme de 6 236 euros en réparation des dommages occasionnés par la manifestation des " gilets jaunes " du 17 novembre 2018 ainsi que les manifestations du 18 novembre 2018 au 16 décembre 2018, et de condamner l'Etat à verser à la société Allianz IARD la somme de 191 718 euros en qualité de su

brogée dans les droits de la société FMR Holding.



Par un jugement n° 2000975 du 19 janv...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société FMR Holding et son assureur, la société Allianz IARD, ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'Etat à verser à la société FMR Holding la somme de 6 236 euros en réparation des dommages occasionnés par la manifestation des " gilets jaunes " du 17 novembre 2018 ainsi que les manifestations du 18 novembre 2018 au 16 décembre 2018, et de condamner l'Etat à verser à la société Allianz IARD la somme de 191 718 euros en qualité de subrogée dans les droits de la société FMR Holding.

Par un jugement n° 2000975 du 19 janvier 2023, le tribunal a rejeté la demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 2 mars 2023, la société FMR Holding et la société Allianz IARD, représentées par Me Esquelisse, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 6 236 euros à la société FMR Holding et la somme de 191 718 euros à la société Allianz IARD ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée, sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, à raison du blocage des magasins Leclerc de Domérat et Montluçon par le mouvement des gilets jaunes le 17 novembre 2018 ainsi du fait des manifestations du 18 novembre 2018 au 16 décembre 2018 ;

- le blocage de ces magasins est à l'origine de pertes d'exploitation, évaluées à 163 789 euros pour le magasin Leclerc de Domérat durant l'ensemble de la période, et 11 940 euros et 11 365 euros pour les magasins de Montluçon à raison du blocage du 17 novembre 2018 ; la société Allianz IARD a en outre supporté des frais d'expertise à hauteur de 9 300 euros ; enfin, la franchise demeurée à la charge de la société FMR Holding s'élève à 6 236 euros ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement d'une responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques.

Par mémoire enregistré le 26 juin 2023, la préfète de l'Allier conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ne sont pas réunies, dès lors que les différents blocages ont été prémédités ;

- les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ne sont pas davantage réunies, dès lors que l'ensemble des acteurs économiques ont été impactés.

Par mémoire enregistré le 2 décembre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la demande de première instance était irrecevable car tardive et pour défaut de décision préalable, et que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Evrard,

- les conclusions de Mme A...,

- et les observations de Me Traoré-Touré pour les sociétés FMR Holding et Allianz IARD.

Considérant ce qui suit :

1. La société FMR Holding a pour filiales, d'une part, la société Chateaugay Distribution, qui exploite un hypermarché sous l'enseigne Leclerc situé zone de Chateaugay à Domérat ainsi qu'un magasin à l'enseigne Leclerc Express situé 343 avenue du président Auriol à Montluçon et, d'autre part, la société Marais-Dis qui exploite un magasin sous l'enseigne E. Leclerc situé 20-26 avenue Pierre Villon à Montluçon. Dans le cadre du mouvement national dit des " gilets jaunes ", des groupes de manifestants ont mis en place des barrages sur les voies d'accès à ces trois magasins le 17 novembre 2018, et ont bloqué partiellement l'accès à l'hypermarché Leclerc de Domérat durant la période du 18 novembre 2018 au 16 décembre 2018. Après le rejet, le 5 février 2020, par la préfète de l'Allier, de la demande préalable d'indemnisation formée par la société Allianz IARD, assureur de la société FMR Holding, ces sociétés ont demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de condamner l'État à leur verser les sommes de 191 718 euros et de 6 236 euros correspondant, respectivement, à l'indemnité versée par la société Allianz IARD à la société FMR Holding en exécution du contrat d'assurance, et à la franchise restée à la charge de cette dernière après paiement de cette indemnité. Les sociétés FMR Holding et Allianz IARD relèvent appel du jugement du 19 janvier 2023 par lequel le tribunal a rejeté leur demande.

Sur les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des attroupements ou des rassemblements :

2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ".

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport établi par le commandant divisionnaire de police de la circonscription de sécurité publique de Montluçon, le 22 septembre 2020 et des articles de presse produits par la préfète de l'Allier ainsi que de ceux joints au rapport d'expertise établi à la demande de la société FMR Holding, que des actions de blocage et de filtrage de la circulation ont été menées entre le 17 novembre 2018 et le 15 décembre 2018 au niveau des axes de circulation desservant l'hypermarché de Domérat, les magasins Leclerc Express et E. Leclerc de Montluçon n'ayant été affectés que le 17 novembre 2018. À cet effet, des manifestants, revêtus de gilets jaunes, ont mis en place des barrages, à l'aide notamment de dépôt de terre et divers objets, pour filtrer le passage, en laissant passer seulement les véhicules légers et en interdisant l'accès aux poids-lourds. Il résulte de l'instruction que les opérations en cause, programmées et annoncées à l'avance, ne procèdent pas d'une simple action spontanée dans le cadre ou le prolongement d'un mouvement national de contestation mais ont été commises de manière concertée et préméditée. Par conséquent, les préjudices qui en ont résulté pour les sociétés FMR Holding et Allianz IARD ne peuvent être regardés comme imputables à un attroupement ou à un rassemblement au sens des dispositions citées au point 2 et ne sauraient ainsi engager la responsabilité de l'État sur ce fondement.

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques :

4. D'une part, lorsque le dommage invoqué a été causé à l'occasion d'une série d'actions concertées ayant donné lieu sur l'ensemble du territoire ou une partie substantielle de celui-ci à des crimes ou délits commis par plusieurs attroupements ou rassemblements et que les conditions d'application de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ne sont pas réunies, la responsabilité de l'Etat peut être engagée sur le fondement des principes généraux du droit de la responsabilité sans faute si le dommage indemnisable présente le caractère d'un préjudice anormal et spécial. D'autre part, les dommages résultant du fait de l'abstention de l'autorité administrative compétente de prendre les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre ne peuvent, lorsque cette abstention n'est pas fautive, engager la responsabilité de cette autorité que si cette abstention a été directement à l'origine d'un dommage anormal et spécial.

5. Il résulte de l'instruction que le blocage ou le filtrage de l'accès automobile aux commerces exploités par les filiales de la société FMR Holding s'inscrit dans un ensemble de manifestations et d'actions de même nature organisées à la fin de l'année 2018 et au début de l'année 2019 sur l'ensemble du territoire et qui ont notamment eu une incidence sur de nombreux commerces dans des zones commerciales ou des centres-villes. Les sociétés requérantes n'apportent aucun élément de nature à établir que les filiales de la société FMR Holding auraient subi un préjudice différent de celui qu'ont supporté d'autres entreprises, notamment de la grande distribution, du fait des actions menées dans le cadre de ce mouvement. Ainsi, le caractère anormal et spécial du dommage allégué n'est pas établi.

6. Il résulte de ce qui précède que les sociétés FMR Holding et Allianz IARD ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté leurs demandes.

Sur les frais liés à l'instance :

7. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société FMR Holding et la société Allianz IARD, parties perdantes, doivent dès lors être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société FMR Holding et de la société Allianz IARD est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société FMR Holding, à la société Allianz IARD et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de l'Allier.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

Mme Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.

La rapporteure,

A. EvrardLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY00797


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY00797
Date de la décision : 16/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05-01 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité régie par des textes spéciaux. - Attroupements et rassemblements (art. L. 2216-3 du CGCT).


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Aline EVRARD
Rapporteur public ?: Mme PSILAKIS
Avocat(s) : SOULIE COSTE-FLORET & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-16;23ly00797 ?
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