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16/01/2025 | FRANCE | N°24LY01164

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 16 janvier 2025, 24LY01164


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société Chapelle d'Abondance loisirs développement a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de la Chapelle d'Abondance à lui verser la somme de 864 012 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction de la procédure d'attribution de la délégation du service public des remontées mécaniques.



Par un jugement n° 1702695 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commu

ne de la Chapelle d'Abondance à verser à la société Chapelle d'Abondance loisirs développement une somme de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Chapelle d'Abondance loisirs développement a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de la Chapelle d'Abondance à lui verser la somme de 864 012 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction de la procédure d'attribution de la délégation du service public des remontées mécaniques.

Par un jugement n° 1702695 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune de la Chapelle d'Abondance à verser à la société Chapelle d'Abondance loisirs développement une somme de 22 588 euros, outre intérêts au taux légaux à compter du 11 janvier 2017.

Procédure devant la cour avant cassation et renvoi :

Par une requête enregistrée le 20 janvier 2021, ensemble des mémoires complémentaires enregistrés les 26 septembre et 25 octobre 2022, la SAS Chapelle d'Abondance loisirs développement (CALD), représentée par la SELARL Carnot Avocats agissant par Me Deygas, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1702695 du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'il a limité la somme que la commune de la Chapelle d'Abondance a été condamnée à lui verser à 22 588 euros ;

2°) de condamner la commune de la Chapelle d'Abondance à lui verser la somme de 864 012 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017 et capitalisation à la date de sa requête, en réparation du préjudice que lui a causé son éviction de la procédure d'attribution de la délégation du service public des remontées mécaniques ;

3°) de mettre à la charge de la commune de la Chapelle d'Abondance une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société CALD soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la procédure de passation est irrégulière compte tenu de l'adjonction de critères non indiqués, de l'imprécision du projet de contrat, de la modification apportée sur la charge des gros entretiens et travaux, et enfin de l'absence d'échéancier prévisionnel des travaux d'investissement et d'une note méthodologique dans l'offre retenue ;

- l'offre retenue étant irrégulière et son offre étant meilleure sur les seuls critères indiqués, son offre, qui est régulière, aurait dû être retenue ;

- elle a subi un préjudice de manque à gagner ;

- les fins de non-recevoir opposées en défense ne sont pas fondées.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juin 2022, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 12 octobre 2022, la commune de la Chapelle d'Abondance, représentée par la SELARL Paillat Conti et Bory agissant par Me Bory, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à ce que les conclusions indemnitaires de la société CALD soient rejetées ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société CALD sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de la Chapelle d'Abondance soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que la société CALD ne justifie pas être la même société que celle qui a candidaté sans succès ;

- la requête est irrecevable en l'absence de demande préalable et en tant que le montant demandé excède le montant indiqué dans la demande préalable ;

- elle n'a commis aucune irrégularité dans la procédure de passation ;

- l'offre retenue n'était pas irrégulière ;

- l'offre de la société CALD n'était pas régulière dès lors qu'elle a proposé une solution alternative sur le gros entretien, les travaux de grosse réparation et le renouvellement, et la loyauté des relations processuelles fait obstacle à ce qu'elle puisse contester la proposition alternative faite par la SELCA sur ce point ;

- la société CALD n'a pas perdu de chance sérieuse d'emporter le contrat ;

- ni le manque à gagner ni le coût de l'offre ne sont établis ;

- l'indemnisation doit être réduite en considération de la résiliation du contrat qui a été prononcée le 22 février 2017.

Par un arrêt n° 21LY00192 du 10 janvier 2023, la cour a porté à 450 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017 et capitalisation au 20 janvier 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure, la somme que la commune de la Chapelle d'Abondance a été condamnée à verser à la société CALD.

Par une décision n° 472038 du 24 avril 2024, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire.

Procédure devant la cour après cassation et renvoi :

Par un mémoire complémentaire après renvoi enregistré le 3 juin 2024, la SAS CALD, représentée par la SCP Melka Prigent Drusch agissant par Me Melka, conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.

La société ajoute que la résiliation est justifiée par l'irrégularité de l'offre retenue, ce qui est sans incidence sur son droit à indemnisation.

Par courrier du 3 octobre 2024, la cour a demandé à la commune de fournir dans les meilleurs délais toutes explications utiles et circonstanciées sur les motifs précis et complets de la résiliation du contrat, ainsi qu'une copie des remarques formulées par le service de contrôle de légalité qu'elle évoque.

Par un mémoire complémentaire après renvoi enregistré le 11 octobre 2024, la commune de la Chapelle d'Abondance, représentée par la SELARL Paillat Conti et Bory agissant par Me Bory, conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens.

La commune ajoute que la résiliation se fonde essentiellement sur le vice tenant à la durée excessive du contrat, ce qui est opposable à la société requérante qui n'a pas proposé de réduction de cette durée.

Par ordonnance du 12 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 14 octobre 2024 à 16h30. Par ordonnance du 11 octobre 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 31 octobre à 16h30.

Un mémoire complémentaire, présenté pour la SAS CALD et enregistré le 29 octobre 2024, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code du tourisme ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016, ensemble le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Deygas, représentant la société CADL,

- et les observations de Me Bory, représentant la commune de la Chapelle d'Abondance.

Une note en délibéré, présentée pour la société CALD, a été enregistrée le 16 décembre 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de la Chapelle d'Abondance a engagé la procédure de passation d'un contrat d'affermage du service public des remontées mécaniques et des pistes de ski alpin de la commune, par avis d'appel public à la concurrence publié les 30 et 31 mars 2016. Le contrat a été conclu le 10 novembre 2016 avec la société d'exploitation La Chapelle d'Abondance (SELCA). La société Chapelle d'Abondance loisirs et développement (CALD), candidat évincé, a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande indemnitaire au titre du préjudice résultant de son éviction. Par le jugement attaqué du 19 novembre 2020, le tribunal a retenu qu'une irrégularité entachant la procédure de passation avait fait perdre à la société CALD une chance simple d'emporter le contrat et a en conséquence condamné la commune à verser à la société CALD une somme de 22 588 euros au titre des frais de présentation de son offre. Par un arrêt du 10 janvier 2023, la cour a porté ce montant à 450 000 euros, correspondant à la perte des bénéfices escomptés, en retenant la perte d'une chance sérieuse d'emporter le contrat du fait d'une autre irrégularité entachant la procédure de passation. Par une décision du 24 avril 2024, le Conseil d'Etat a cassé l'arrêt de la cour et lui a renvoyé l'affaire.

Sur la recevabilité de l'appel de la société CALD :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et notamment des différents extraits Kbis produits, que la société CALD a été immatriculée pour la première fois le 10 décembre 2009 au registre du commerce et des sociétés de Thonon-les-Bains, son activité ayant commencé le 17 novembre 2009. Son adresse se situait alors à la Chapelle d'Abondance. A la suite du déménagement de son siège social à Barberaz, son immatriculation a été transférée le 6 mars 2017 au registre du commerce et des sociétés de Chambéry. Le 31 mai 2021, son siège social a été transféré à la Motte Servolex. Ainsi, contrairement à ce qui est allégué, la société requérante, qui a rectifié l'erreur matérielle figurant sur sa requête portant sur l'adresse de son siège, est la même société que celle qui a présenté une offre dans le cadre de la procédure d'attribution de la délégation de service public litigieuse et que celle qui était demanderesse en première instance. Sa demande de première instance ayant été partiellement rejetée, elle a qualité pour faire appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de la Chapelle d'Abondance tirée du défaut de qualité à agir de la requérante, doit être écartée.

3. En second lieu, la décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur. Il en va ainsi quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. La victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. En l'espèce, il résulte des pièces fournies en première instance que, par décision du 6 février 2017, la commune a rejeté la demande indemnitaire formée par la société, le fait générateur invoqué étant l'irrégularité de la procédure de passation. La société était dès lors recevable à présenter en première instance et en appel des conclusions indemnitaires au titre de ce fait générateur, alors même que leur chiffrage excéderait celui de sa demande indemnitaire préalable.

Sur la responsabilité de la commune de la Chapelle d'Abondance :

4. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

5. D'autre part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité et si les chances sérieuses de l'entreprise d'emporter le contrat sont établies, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation. Il lui incombe aussi d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.

6. Enfin, dans le cas où le contrat a été résilié par la personne publique, il y a lieu, pour apprécier l'existence d'un préjudice directement causé par l'irrégularité et en évaluer le montant, de tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu.

En ce qui concerne la régularité de l'attribution de la délégation de service public :

7. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction applicable : " Les délégations de service public (...) sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes (...) / La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières (...) / La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations (...) / Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire ".

8. Le règlement de la consultation prévu par une autorité délégante pour la passation d'une délégation de service public est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité délégante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.

9. En l'espèce, le règlement de consultation a prévu que les offres devraient répondre aux caractéristiques du service et conditions de fonctionnement définies au cahier des charges ainsi qu'à l'ensemble des demandes formulées par ce cahier des charges et qu'en particulier les documents demandés dans le corps du cahier des charges devaient obligatoirement être produits. Si l'article 3/3 du règlement précise que " l'ensemble des autres clauses du document de consultation pourront faire l'objet d'observations ou de propositions alternatives motivées de la part du candidat, qui seront intégrées dans leur proposition ", ces dispositions ne pouvaient permettre d'exonérer un candidat de l'obligation de produire l'un des documents demandés, et notamment l'échéancier prévisionnel des travaux d'investissement à envisager en terme de remplacement ou de renouvellement des biens prévu à l'article 23 du cahier des charges.

10. Il résulte de l'instruction que l'offre de la SELCA ne comprenait pas cet échéancier prévisionnel. La SELCA n'a pas plus produit, en cours de négociation, cet échéancier, de sorte que la convention de délégation de service public signée prévoyait : " Les parties décident de définir dans la première année d'exploitation de la délégation un plan de renouvellement, de développement des installations du domaine skiable. A la date anniversaire de ce contrat, un avenant sera validé entre les parties et composera l'annexe 7 ". La production d'un tel échéancier prévisionnel des travaux, qui permettait d'éclairer la commune sur la nature de l'offre proposée par la société et les coûts correspondants, n'était pas dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures. Par suite, et contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, qui a toutefois jugé la procédure d'attribution de la délégation irrégulière pour un autre motif, la société CALD est fondée à soutenir que la délégation de service public a été attribuée à un candidat qui ne respectait pas une des exigences imposées par le règlement de consultation et que la délégation de service public ne pouvait, pour ce motif, être attribuée à la SELCA. Compte tenu de l'incidence de cette irrégularité sur l'attribution de la délégation de service public, il y a lieu de substituer ce motif d'irrégularité à celui retenu par le tribunal.

En ce qui concerne le lien de causalité entre le préjudice et l'irrégularité ainsi commise :

11. En premier lieu, le cahier des charges mis à disposition des candidats à l'attribution de la délégation de service public comprenait un article 22, relatif aux " Travaux d'entretien courant et spécifique, réparations " ainsi qu'un article 23, relatif au " Gros entretien, réparation, renouvellement ". Si chacun de ces deux articles prévoyait, dans leur formulation soumise aux candidats, que ces différents travaux seraient pris en charge par le délégataire, les encadrés suivant chacun de ces articles invitaient les candidats à proposer librement une répartition différente de la charge et de la responsabilité de ces travaux. Par suite, la commune de la Chapelle d'Abondance n'est pas fondée à soutenir que la proposition de la société CALD qui, comme la proposition de la SELCA, prévoyait une répartition des charges de ces travaux entre le délégant et le délégataire, n'aurait pas été régulière et que la société CALD ne pouvait, de ce seul fait, être regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse d'obtenir la délégation.

12. En deuxième lieu, l'offre de la société CALD a été classée deuxième, après celle de la SELCA. L'offre de la SELCA ne pouvant être retenue pour le motif exposé au point 7, la société CALD, ancienne exploitante, avec laquelle des négociations avaient été engagées et dont la qualité des propositions avait été soulignée, disposait d'une chance sérieuse d'obtenir la délégation. La société CALD doit ainsi, en principe, être indemnisée de l'intégralité du manque à gagner dont elle a été privée.

13. En troisième lieu, toutefois, il résulte de l'instruction que, par courrier du 25 novembre 2016, le préfet de la Haute-Savoie a attiré l'attention de la commune de la Chapelle d'Abondance sur les vices entachant le contrat conclu avec la SELCA, tenant à l'absence d'indications essentielles de la publicité, du règlement de la consultation et du cahier des charges, aux incohérences entre le rapport présenté au conseil municipal en vue de recourir à la gestion déléguée, les avis d'appel public à candidature, le règlement de la consultation, le cahier des charges et la convention finalement signée, à l'absence de publication des critères de comparaison des offres utilisés lors de la négociation avec les trois candidats retenus et, enfin, à la durée excessive de la convention signée. Le préfet a en conséquence invité la commune à mettre fin au contrat. La commune a prononcé la résiliation par décision du maire du 22 février 2017, remise en mains propres le jour même, en se fondant sur les irrégularités ainsi relevées.

14. D'une part, aux termes de l'article L. 342-3 du code du tourisme : " Conformément aux dispositions de l'article 34 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, la durée de ces contrats est modulée en fonction de la nature et de l'importance des investissements consentis par l'aménageur ou l'exploitant (...) ". L'article 14 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 à laquelle il est ainsi renvoyé, alors applicable, prévoyait que : " I. - Les contrats de concession sont limités dans leur durée. Cette durée est déterminée par l'autorité concédante en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire, dans les conditions prévues par voie réglementaire (...) ". Aux termes de l'article 6 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 d'application de cette ordonnance : " I. - Pour l'application de l'article 34 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 susvisée, les investissements s'entendent comme les investissements initiaux ainsi que ceux devant être réalisés pendant la durée du contrat de concession, nécessaires pour l'exploitation des travaux ou des services concédés. Sont notamment considérés comme tels les travaux de renouvellement, les dépenses liées aux infrastructures, aux droits d'auteur, aux brevets, aux équipements, à la logistique, au recrutement et à la formation du personnel. / II. - Pour les contrats de concession d'une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat n'excède pas le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, applicable à la date d'engagement de la procédure de passation : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre (...) ". La durée normale d'amortissement au sens de ces dispositions est la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements.

15. D'autre part, eu égard à l'impératif d'ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d'une délégation de service public constitue un motif d'intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge.

16. Il résulte de l'article 1er du cahier des charges mis à disposition des candidats pour les besoins de la consultation, que la commune s'engage à remettre au délégataire les ouvrages et équipements publics existants, dont la liste est dressée à l'article 10, le délégataire étant tenu d'exploiter le service à ses risques et périls. L'article 2 prévoit que le contrat est normalement d'une durée de 12 ans, sauf à ce que le candidat propose à titre alternatif une durée de 8 ans, ces durées pouvant être prolongées. L'article 3 précise que le délégataire est chargé d'entretenir et renouveler en tant que de besoin les équipements mis à sa disposition et qu'il est possible d'envisager qu'il s'engage à financer et réaliser des équipements nouveaux concernant les remontées mécaniques ou la neige de culture, étant précisé que cette possibilité est indiquée comme relevant uniquement " des clauses concessives possibles ". Les articles 19, 22 et 23 précisent par ailleurs que le délégataire est tenu de renouveler, remplacer, entretenir en bon état de fonctionnement et réparer à ses frais les ouvrages, équipements et matériels permettant le bon fonctionnement du service. Il résulte ainsi de l'ensemble de ces dispositions destinées à fixer l'économie générale du futur contrat que le délégataire n'a pas vocation à réaliser des investissements significatifs, mais seulement à assurer, pour les besoins de l'exploitation du service, le maintien en l'état des équipements et matériels qui lui sont confiés, sauf à ce qu'il accepte ponctuellement et de façon purement optionnelle de réaliser certains équipements nouveaux. La durée de 12 ans prévue par le contrat, ou même la durée optionnelle éventuelle de 8 ans, apparaissent ainsi manifestement excessives au regard de cette charge limitée, ce motif étant de nature à justifier la résiliation du contrat, quel que soit l'attributaire. Au demeurant, après la résiliation du contrat conclu le 10 novembre 2016, une nouvelle procédure de passation a été engagée et un contrat a été conclu le 15 décembre 2017, toujours avec la SELCA. Ce contrat, qui porte sur la délégation du même service public dans un périmètre similaire, est qualifié de concession et met à la charge du délégataire, outre l'exploitation du service, la réalisation de quelques aménagements, pour des espaces ludiques et un réseau de pistes nordiques. Pour autant, la durée a pu être limitée à 5 ans, sans déséquilibre manifeste au regard de la nature et de l'importance des investissements prévus. Le contrat précédant la procédure de passation en litige, qui était attribué à la société CALD, était lui-même d'une durée initiale limitée à 6 ans.

17. Compte tenu de ce qui a été exposé au point précédent, la résiliation prononcée le 22 février 2017 l'aurait été quel que soit le candidat retenu. Le préjudice subi par la société CALD n'est, dès lors, en lien avec l'irrégularité de la procédure de passation, qui est seule invoquée, que dans la limite de la durée maximale d'exécution que le contrat aurait pu connaitre avant d'être résilié. En l'absence d'autre fondement de responsabilité invoqué, l'indemnisation de la société CALD doit ainsi être opérée au titre du manque à gagner perdu du fait de son éviction irrégulière, dans la limite temporelle qui vient d'être indiquée.

En ce qui concerne le montant du préjudice :

18. Le manque à gagner d'une entreprise candidate à l'attribution d'un contrat de délégation de service public, évincée à l'issue d'une procédure irrégulière, est évalué par référence au montant théorique de bénéfices résultant de la soustraction du total du chiffre d'affaires non réalisé de l'ensemble des charges variables et de la quote-part des coûts fixes qui aurait été affectée à l'exécution du marché si elle en avait été titulaire. Compte tenu du risque inhérent à l'exécution d'un tel contrat, il incombe aussi au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain, en tenant compte notamment, s'agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l'exploitation, de l'aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci.

19. A l'appui de son offre, la société CALD a produit deux comptes d'exploitation prévisionnels. Le premier compte d'exploitation prévisionnel, " Evasion ", a été établi sur la base d'une offre commerciale de forfaits dans la continuité de l'offre jusque-là proposée par la société CALD dans le cadre de la régie intéressée. La marge nette est de 493 853 euros sur les douze ans du contrat. Le second compte d'exploitation, qui fait apparaître une marge nette de 864 012 euros, se fonde sur la création d'un forfait plus rentable, le forfait " Liberté ", qui nécessite des accords avec les stations voisines. La mise en œuvre de ce second forfait présentant ainsi un caractère incertain et éventuel, les données figurant dans ce second compte d'exploitation ne peuvent servir de base suffisamment certaine à la détermination du préjudice subi par la société. En outre, lors de l'examen des offres, la commune, qui a jugé que l'offre de la société CALD était sérieuse, a néanmoins noté que les données de la société CALD reposaient sur une approche " optimiste " de croissance du chiffre d'affaires de la station, d'autant plus incertaine que la durée du contrat était particulièrement longue. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que le second compte d'exploitation, qui repose sur des bases incertaines et l'éventualité d'accords conclus avec des tiers, puisse être retenu comme suffisamment probant. C'est donc la base d'analyse constituée par le premier compte d'exploitation prévisionnel, non sérieusement contesté, qui doit être retenue comme base d'analyse, sous réserve de l'aléa qui affecte inévitablement les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci, qui doivent conduire à moduler cette évaluation sur la durée totale du contrat. En l'espèce, il a été dit que le contrat conclu avec la société SELCA l'a été le 10 novembre 2016 et qu'il a été résilié le 22 février 2017. Il ne résulte pas de l'instruction que le calendrier aurait été sensiblement différent si l'offre de la société CALD avait été retenue. Sur la durée très brève d'exécution précédant la résiliation qui aurait dû être prononcée et en l'absence d'aléa marqué sur une telle durée très limitée, l'évaluation du manque à gagner peut être faite sans abattement. En retenant une durée d'exécution maximale de trois mois et demi avant qu'une résiliation d'intervienne, le préjudice de la société CALD tenant au manque à gagner s'élève ainsi, prorata temporis, à 12 003,37 euros.

20. Toutefois, dans l'hypothèse où le préjudice de manque à gagner subi par un candidat évincé qui avait une chance sérieuse d'emporter le contrat est inférieur au coût de présentation de son offre, la somme qui lui est allouée ne peut être inférieure à ce dernier montant, que l'irrégularité de la procédure de passation l'a en tout état de cause conduit à engager en vain. En l'espèce, cependant, l'essentiel des montants demandés par la société au titre du coût de présentation de son offre correspond au coût salarial, sans que soit établi que la société aurait, en vue de la procédure de passation, spécialement recruté des personnels, de telle sorte que ce coût ne correspond à aucun frais supplémentaire mais à la seule utilisation de ses moyens normaux sans surcoût lié à la procédure de passation. Les seuls frais supplémentaires invoqués, au titre des déplacements, repas et frais divers, et qui peuvent être regardés comme en lien avec la procédure de passation, se limitent à la somme totale de 2 340 euros, en supposant que le seul tableau dressé par la société et produit au tribunal puisse être regardé comme suffisamment probant. Ce montant étant inférieur au manque à gagner perdu dont la société CALD est fondée à demander le remboursement, c'est le montant du manque à gagner, tel qu'il a été exposé au point 19 du présent arrêt, qui doit dès lors être alloué à cette société.

21. Il résulte de ce qui précède que le préjudice de manque à gagner subi par la société CALD dont elle est fondée à demander le remboursement par la commune de la Chapelle d'Abondance doit être évalué au montant de 12 003,37 euros.

En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :

22. La société CALD a droit aux intérêts au taux légal sur la somme que la commune de la Chapelle d'Abondance est condamnée à lui verser, à compter du 11 janvier 2017, date de réception de sa demande préalable par la commune. Elle a en outre demandé pour la première fois le 20 janvier 2021 la capitalisation de ces intérêts. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande et de prévoir la capitalisation des intérêts à compter du 20 janvier 2021 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de la Chapelle d'Abondance est uniquement fondée à soutenir, à titre incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble n'a pas limité la somme qu'elle a été condamnée à verser à la société CALD au montant de 12 003,37 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 20 janvier 2021 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

Sur les frais de l'instance :

24. La commune de la Chapelle d'Abondance n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions dirigées contre elle par la société CALD sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de la Chapelle d'Abondance sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La commune de la Chapelle d'Abondance est condamnée à verser à la société Chapelle d'Abondance loisirs développement la somme de 12 003,37 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 20 janvier 2021 et à chaque échéance annuelle à compter de cette dernière date.

Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1702695 du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Chapelle d'Abondance loisirs développement et à la commune de la Chapelle d'Abondance.

Délibéré après l'audience du 16 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01164


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01164
Date de la décision : 16/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL PAILLAT CONTI & BORY

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-16;24ly01164 ?
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