Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La SARL Beaufils a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'avenant n° 1 conclu entre la société coopérative d'intérêt collectif Evoléa et la société Besse Echafaudage dans le cadre du chantier de réhabilitation thermique de la résidence " Les Gâteaux " à Moulins (Allier) et de condamner la société Evoléa à lui verser une somme de 76 234,30 euros toutes taxes comprises (TTC), subsidiairement de 47 095,20 euros TTC ou de 9 600 euros TTC, au titre du préjudice subi, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts.
Par jugement n° 2100240 du 26 octobre 2023, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 décembre 2023 et le 23 mai 2024, la SARL Beaufils, représentée par Me de Sigoyer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'avenant n° 1 d'un montant de 223 200 euros hors taxe (HT) conclu entre la société coopérative d'intérêt collectif Evoléa et la société Besse Echafaudage dans le cadre du chantier de réhabilitation thermique de la résidence " Les Gâteaux " à Moulins et de condamner la société Evoléa à lui verser une somme de 47 095,20 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre du préjudice subi, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle à compter du 29 janvier 2022 ;
3°) de mettre à la charge de la société Evoléa la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, à défaut de comporter les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé, en l'absence de réponse aux arguments tirés de la mauvaise définition de ses besoins par le maître d'ouvrage et du non-respect des prescriptions contractuelles par le nouveau titulaire du lot " échafaudage " ;
- l'avenant conclu le 14 novembre 2019 entre les sociétés Evoléa et Besse Echafaudage méconnaît l'article R. 2194-2 du code de la commande publique, dès lors qu'il ne répond pas à un besoin nouveau et nécessaire, mais à une mauvaise définition des besoins initiaux, et que ces prestations étaient déjà incluses dans le marché initial, sans répondre à une demande de sa part ;
- cet avenant entraine un bouleversement de l'économie du contrat ;
- il constitue un nouveau contrat passé en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence ;
- elle aurait eu des chances sérieuses de remporter ce contrat et peut donc prétendre à l'indemnisation de son manque à gagner, soit 47 095,20 euros TTC ;
- subsidiairement, elle a droit au remboursement des frais engagés pour répondre à la procédure de consultation relative au lot 1, soit 9 600 euros TTC.
Par mémoires enregistrés le 13 mars 2024 et le 26 juin 2024 (non communiqué), la société Evoléa, représentée par Me Kern, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SARL Beaufils la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle expose que :
- la demande de première instance tendant à l'annulation de l'avenant était tardive et par suite irrecevable, la requérante ayant eu connaissance de l'avenant qu'elle conteste dès le 16 septembre 2020 ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été fixée au 18 juin 2024, par ordonnance du même jour.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
- les conclusions de Mme Christine Psilakis ;
- les observations de Me de Sigoyer, pour la SARL Beaufils, et celles de Me Kern, pour la société Evoléa.
Considérant ce qui suit :
1. Pour assurer la réhabilitation thermique de la résidence " Les Gâteaux " à Moulins, l'office public de l'habitat Moulins Habitat, auquel a succédé, à compter du 1er juillet 2019, la société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) Evoléa, a, par actes d'engagement du 27 septembre 2018, attribué un lot n° 1 " échafaudage " à la SARL Da Silva, ainsi qu'un lot n° 3 " traitement des façades " à la SARL Beaufils. Le premier de ces lots a toutefois été résilié, aux torts du titulaire, par décision du 16 avril 2019. Un nouveau marché, à l'attribution duquel la SARL Beaufils a candidaté en vain, a été conclu aux mêmes fins au mois de juin 2019 avec la société Besse Echafaudage, pour un montant de 685 536 euros TTC. Par un avenant du 6 novembre 2019, le montant de ce lot a été porté à 953 376 euros TTC. La SARL Beaufils a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand l'annulation de cet avenant, outre la condamnation de la SCIC Evoléa à lui verser une indemnité en réparation des préjudices causés par la conclusion irrégulière de celui-ci. Le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 26 octobre 2023, dont elle relève appel.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Eu égard à l'objet des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, la signature de la minute de la décision par le greffier d'audience, en sus du président de la formation de jugement et du rapporteur, présente un caractère substantiel. Le défaut de cette signature sur la minute entraîne donc l'irrégularité de la décision.
3. Il ressort de la copie qui en est versée au dossier de première instance que la minute du jugement attaqué est dépourvue de la signature de la greffière d'audience. Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué, que ce jugement est irrégulier et doit être annulé.
4. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par la SARL Beaufils devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand.
Sur la validité de l'avenant n°1 :
5. Aux termes de l'article L. 2194-1 du code de la commande publique : " Un marché peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence (...), lorsque : (...) 2° Des travaux, fournitures ou services supplémentaires sont devenus nécessaires (...). Qu'elles soient apportées par voie conventionnelle ou, lorsqu'il s'agit d'un contrat administratif, par l'acheteur unilatéralement, de telles modifications ne peuvent changer la nature globale du marché ". Aux termes de l'article R. 2194-2 du même code : " Le marché peut être modifié lorsque, sous réserve de la limite fixée à l'article R. 2194-3, des travaux, fournitures ou services supplémentaires, quel que soit leur montant, sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans le marché initial, à la condition qu'un changement de titulaire soit impossible pour des raisons économiques ou techniques tenant notamment à des exigences d'interchangeabilité ou d'interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants achetés dans le cadre du marché initial ". Aux termes de son article R. 2194-3 : " Lorsque le marché est conclu par un pouvoir adjudicateur, le montant de la modification prévue à l'article R. 2194-2 ne peut être supérieur à 50 % du montant du marché initial (...) ".
6. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui d'un recours de plein contentieux contre un contrat, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
7. Il résulte de l'instruction que le marché du lot n° 1 " échafaudage " confié à la société Besse Echafaudage au mois de juin 2019, après la résiliation, le 16 avril 2019, du marché précédemment conclu avec la société Da Silva, la chargeait de mettre en place un échafaudage réglementaire adapté, sur toute la hauteur de façade et toute la périphérie des bâtiments à réhabiliter, pour un montant de 571 280 euros HT. L'avenant n° 1 à ce marché, conclu le 6 novembre 2019, prévoyait, d'après la copie versée au dossier, l'installation d'un échafaudage comprenant une largeur de circulation d'un mètre, accompagnée d'une console de 70 centimètres et d'un escalier extérieur sur les bâtiments-barres, pour un montant de 223 200 euros HT. D'une part, en se bornant à modifier les caractéristiques, en particulier la largeur, de l'échafaudage à installer, sans affecter ni la nature des prestations attendues, ni leur périmètre, cet avenant n'a pas eu pour effet de changer la nature globale du marché initialement conclu. En outre, la SARL Beaufils ne démontrant nullement que la réglementation applicable impliquait nécessairement l'installation d'un échafaudage aux dimensions requises par l'avenant n° 1 ainsi qu'une échelle extérieure, elle ne peut soutenir que les prestations supplémentaires prévues par cet avenant figuraient déjà dans le marché initial. D'autre part, la SARL Beaufils, qui ne peut utilement se prévaloir à cet égard d'ambiguïtés résultant des courriers du 15 novembre 2019 et du 10 décembre 2019, ne conteste pas que le montant de la modification apportée par ce premier avenant est ainsi inférieur à 50 % du montant du marché initial. Par ailleurs, en se bornant à invoquer une stipulation du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de son propre marché, portant sur le traitement des façades, l'autorisant à apporter des modifications mineures et adaptations de sécurité à l'échafaudage avec l'accord de son installateur, la SARL Beaufils ne conteste pas davantage utilement l'impossibilité de changer de titulaire du marché pour des raisons techniques, tenant notamment à l'exigence de l'emploi de matériel d'une même origine. Enfin, il résulte de l'instruction que la résiliation, le 16 avril 2019, du marché précédemment conclu avec la société Da Silva était justifiée par une double inexécution contractuelle, tenant, d'une part, à l'absence de production d'une étude d'adéquation établie contradictoirement et, d'autre part, à l'inadéquation aux stipulations du CCTP du monte-charges et personnel installé. Si la SARL Beaufils, en tant que titulaire du lot n° 3, avait, notamment par un courrier du 14 novembre 2018, dénoncé ces inexécutions contractuelles avant la conclusion d'un nouveau marché avec la société Besse Echafaudage au mois de juin 2019, en revanche, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle avait alors précisément fait état de ses besoins, notamment de son exigence de disposer d'un couloir de circulation d'un mètre de largeur et d'un poste de travail sur console de 50 centimètres de large, dont elle a fait part au maître d'ouvrage par courrier du 15 juillet 2019. Il ressort au contraire de comptes-rendus de chantier du 12 novembre 2018 et du 22 juillet 2019 que la largeur de 80 cm jusqu'alors installée avait été jugée suffisante, notamment par le maître d'œuvre. Par ailleurs, le maître d'ouvrage indique, sans être contredit, que la mise en place d'un escalier extérieur vise à répondre à la demande de la SARL Beaufils de bénéficier d'un monte-personnes. Ainsi, et nonobstant la brièveté du délai écoulé depuis la signature du marché initial, l'avenant contesté a eu pour objet de répondre aux exigences auxquelles la SARL Beaufils a subordonné l'exécution du lot n° 3, telles que formulées par celle-ci postérieurement à la conclusion du marché initial dans son courrier du 15 juillet 2019, sans que celle-ci n'établisse qu'ainsi qu'elle le prétend, il aurait été rendu nécessaire par une mauvaise définition des besoins lors de la passation de ce marché. En conséquence, la SARL Beaufils, qui ne peut utilement se prévaloir de l'article R. 2194-8 du code de la commande publique lequel ne constitue pas le fondement de l'avenant contesté, n'est pas fondée à soutenir que cet avenant aurait été adopté en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2194-2 du code de la commande publique et qu'il constituerait ainsi un marché public distinct du marché initial, adopté en méconnaissance des règles de publicité préalable et de mise en concurrence.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la SARL Beaufils n'est pas fondée à contester la validité de l'avenant n° 1 conclu le 6 novembre 2019 entre la SCIC Evoléa et la société Besse Echafaudage et à en demander l'annulation.
Sur les conclusions indemnitaires :
9. La SARL Beaufils n'étant pas fondée à contester la validité de l'avenant n° 1 conclu le 6 novembre 2019 entre la SCIC Evoléa et la société Besse Echafaudage, ses conclusions indemnitaires doivent également être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SCIC Evoléa, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la SARL Beaufils. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement d'une somme de 1 500 euros à la SCIC Evoléa, en application de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2100240 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 26 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SARL Beaufils devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand et le surplus de ses conclusions présentées en appel sont rejetés.
Article 3 : La SARL Beaufils versera à la SCIC Evoléa une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Beaufils, à la société coopérative d'intérêt collectif Evoléa et à la société Besse Echafaudage.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, où siégeaient :
Mme Aline Evrard, présidente,
M. Bertrand Savouré, premier conseiller,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2025.
La rapporteure,
S. CorvellecLa présidente,
A. Evrard
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne à la préfète de l'Allier en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 23LY03949